Chapitre IX : Un livre et une révélation

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Aujourd’hui, c’est lundi. Aujourd’hui, je retourne à l’école. Je ne vais pas mentir : je stress complètement. Il pourrait se passer tellement de choses ! Est-ce que la rumeur sera toujours là, ou bien aura-t-elle disparu du jour au lendemain ? En fait, je ne suis pas bête, je ne suis pas non plus optimiste. Je sais bien que la rumeur sera toujours présente quand je passerai les portes du lycée. Je le sais, ça ne fait aucun doute. J’espère simplement que plus de personnes me soutiendront après le petit message de Finn sur les réseaux.

J’espère mais j’appréhende. Depuis hier soir, mon estomac est serré comme jamais. Je redoute le pire. Et puis, comme si ce n’était pas suffisant, il y a cette histoire de plan. Ce dernier m’a poussé à étreindre Finn. Merde, je lui ai fait un câlin.

C’était avant-hier, mais j’ai encore la sensation de ses bras autour de moi. D’ailleurs, j’ai dormi avec sa veste, cette nuit-là. Je ne souhaite pas que ça se sache, mais ça m’arrive régulièrement de m’endormir, emmitouflée dans son odeur. Je trouve ça rassurant. Parce que c’est toujours lui qui me trouve quand je suis au plus bas, c’est toujours lui qui est là pour m’offrir les mots et le réconfort dont j’ai besoin. Alors quand je me sens mal, je sors sa veste de mon armoire. Je ne l’ai jamais lavée. Je ne veux pas faire disparaitre son parfum, ce mélange caractéristique de menthe et de citron vert.

Cependant, que ce soit bien clair, je n’assume absolument pas mon acte, et je préfère qu’il s’agisse d’un secret. Même Hannah n’est pas au courant. Je pense d’ailleurs qu’elle devrait être la dernière à le savoir. Vu la langue pendante qu’elle a, si elle était mise au courant, je suis persuadée qu’il ne faudrait même pas une heure pour que tout le lycée le soit aussi. Et tout le lycée, ça comprend Finn également.

En parlant de Finn, j’ai toujours cette image en tête. Celle de moi sur son téléphone. Il a un fond d’écran de moi ! Le pire, c’est que je ne sais même pas d’où provient cette photo. Il a dû la prendre à mon insu. Mais qui sait de combien de photos semblables est composée sa galerie ? Je ne peux pas oublier son expression quand il a vu que j’avais allumé son téléphone. Pas plus que je peux faire disparaitre de ma mémoire l’empressement avec lequel il m’a arraché le téléphone des mains. Je ne sais pas ce qu’il cache, mais je compte bien le découvrir.

Et puis, après, il y a eu cette phrase. Si tu continues comme ça, tu vas finir par perdre à ton propre jeu, Grenouille. Mais que voulait-il donc dire ?

Je réajuste mes cheveux, les démêle avec mes doigts, et quitte ma chambre. Je descends les escaliers à pas feutrés pour ne pas que mes parents me remarquent. Je sais qu’ils sont probablement déjà partis, mais je préfère être prudente.

Comme de fait, quand je jette un coup d’œil à la fenêtre, je remarque que leurs voitures ont disparues, ce qui confirme que je suis bien la seule personne dans cette maison. Enfin, il y a aussi des rats qui grouillent dans la cave, mais c’est une autre affaire. Je considère que les rats ne comptent pas.

Je prends la direction de la cuisine et ouvre le frigo pour chercher quelque chose à me mettre sous la dent. Rien. À part des légumes et de la charcuterie, le frigo est pratiquement vide. Pas grave. À la place, je saisis une pomme verte dans la corbeille à fruits et je mords dedans. C’est bon, mais rien d’excellent non plus.

Je prends également une bouteille d’eau, mes cours que je fourre dans mon sac à dos, et je quitte la maison. L’arrêt de bus est à deux rues d’ici et je suis légèrement en retard, donc je dois marcher rapidement, mais je finis par l’atteindre. Plusieurs personnes attendent déjà à l’arrêt, donc un adolescent brun qui mesure une tête de plus que moi et qui sourit quand il me voit arriver. Encore et toujours ce même sourire en coin.

— Salut Grenouille. Tu as l’air épuisée, remarque Carder quand je m’approche de lui, essoufflée.

Je le fusille du regard et lui rétorque :

— Evidemment que je suis épuisée ! J’ai dû courir jusqu’ici, et je n’ai pratiquement pas dormi de la nuit.

Son visage perd de sa gaieté. Il semble soucieux. Pourtant, il ne faut pas. C’est juste un coup de stress à cause de mon retour à l’école après un départ catastrophique. Mais ce n’est rien, tout va bien se passer.

— Tu as mal dormi ?

Je soupire et enfouis mon visage dans mes mains.

— J’avais peur de revenir à l’école, j’avoue honteuse.

Il fronce les sourcils et attrape mon visage pour me forcer à le regarder. Dans son regard je peux lire beaucoup de choses et ça me donne des frissons. Parce qu’il est réellement inquiet. J’ai grandi dans le doute, dans l’observation. J’ai appris comment faisaient les gens pour mentir et faire croire. Et là, je sais ce que je vois. En fait, j’en suis certaine. Il est inquiet. Finn Carder s’inquiète réellement pour moi. Dans ses yeux, il y a ce quelque chose en plus de d’habitude. J’ai l’impression que je commence à le connaitre, que je peux le cerner sans aucun problème. Je le comprends, maintenant. Il m’aura fallu même pas deux mois pour le connaitre. Mais maintenant, je le vois vraiment comme il est. Gentil.

Merde, je dois me sortir cette idée de la tête, et tout de suite !

J’essaie de changer la vision que j’ai de lui à cet instant, mais quand je croise son regard, cette hypothèse devient une conviction, un fait. Et je tombe un peu plus bas encore. Pourtant, j’essaie de l’écouter, d’être attentive quand il me dit :

— Tu ne dois pas avoir peur, tu ne dois pas avoir honte. Je comprends – ou du moins, j’essaie vraiment de comprendre – ce que tu vis et je suis à tes côtés, je te soutiens.

J’ouvre la bouche pour lui répondre, mais c’est à ce moment que je vois le bus pivoter dans la rue et rouler jusqu’à l’arrêt avec 4 minutes de retard. Je sors ma carte de bus et la scan avant de chercher une place assise.

— Réserve-moi une place, je vais payer le bus, me prévient Finn.

J’acquiesce et m’assied à une banquette de deux, libre. Je prends la place côté fenêtre, quand je me rends compte que la situation n’est pas habituelle. Les autres jours, Carder prend toujours sa voiture pour aller au lycée. Et aujourd’hui, il prend le bus. Ce n’est pas normal. Quelque chose n’est pas normal.

Quand il vient s’installer près de moi, Finn m’adresse un petit sourire avant de se laisser aller contre son siège. Je décide que c’est le bon moment pour lui demander ce qu’il fait là.

— Carder ?

— Hmm ?

— Pourquoi tu prends le bus ?

Il me dévisage avant de sourire mystérieusement. OK, là, il devient carrément flippant, par contre. Pourquoi il a l’air si bizarre, tout à coup ?

— Parce que je savais que tu aurais peur de venir au lycée après la rumeur de vendredi.

BOUM, BOUM. C’est ce que fais mon cœur quand il prononce ces mots. Enfin non, ça fait plutôt BOUM BOUM BOUM BOUM. Je crois que mon cœur bat bien trop vite. Est-ce que je vais faire un arrêt cardiaque, une crise de panique ? Pourquoi m’on corps réagit-il comme ça à une simple phrase ?

— Tu… Tu veux dire que c’est pour moi que tu fais ça ?

Je déglutis quand je le vois acquiesce, le plus sérieusement possible. C’est confirmé : il s’agit d’un arrêt cardiaque. Je me sens un peu trop importante, tout à coup, ce qui est mal. On m’a toujours ignorée, mes parents ont toujours considéré que je ne faisais que mentir et qu’il ne servait à rien d’écouter mes besoins.

Et voilà que Finn se pointe dans un bus pour ne pas que je me rende seule au lycée ? Non, c’est trop. C’est surtout irréaliste de penser ça. De se rendre compte que les gens peuvent m’écouter.

Mon cerveau est en alerte devant les mots de Finn, je ne sais pas quoi lui répondre. Alors, je sors la première phrase qui me vient à l’esprit, même si elle est complètement ridicule.

— Eh bien, merci, c’est gentil.

Il rigole, ce qui est plutôt bon signe. Mais j’espère qu’il peut lire dans mon regard toute la gratitude que je ressens pour lui en ce moment. Parce que je suis idiote et je n’arrive pas à exprimer avec des mots tout ce que j’ai sur le cœur, mais je ne sais pas comment le remercier tellement son geste me fait plaisir.

On pourrait penser que j’exagère et que ce n’est qu’un simple trajet en bus, mais pour moi, c’est bien plus. C’est un signe qu’il tient assez à moi que pour se soucier de mon bien être et de ce que je ressens.

Comment revenir sur ce que je disais tout à l’heure ? C’est vrai, il est tellement gentil, personne ne peut le nier. Personne ! Il est altruiste, généreux, empathique, tellement gentil. Et, même si j’ai horreur de l’avouer, il est terriblement drôle. Et derrière mon masque neutre et exaspéré, je ne peux m’empêcher de sourire à chaque fois qu’il raconte une de ses blagues pourries.

Je reviens soudain à la réalité quand Finn me sort de mes pensées. Je le vois ouvrir son sac à dos pour y ranger son portefeuille. Mais là… Je vois un livre coincé entre ses cours.

— Tu lis quoi ?

Je ne peux pas m’empêcher de me dévisser le cou pour essayer de lire le titre, mais sans succès. J’ai juste eu l’occasion de voir un carré mauve sur la couverture.

— C’est rien, réponds précipitamment Carder.

Je le dévisage et un petit sourire moqueur prend place sur mon visage. OK, j’essaie surtout de ne pas me remémorer ce à quoi je pensais avant.

— Le Grand Carder lit des livres à l’eau de rose ? je le questionne avec une moue rieuse.

Je vois ses joues se teinter de rose. Je trouve ça mignon, mais je chasse vite cette idée de mon esprit. À la place, je décide d’emboiter les pièces du puzzle, et je comprends que j’ai visé juste. J’écarquille les yeux de surprise et explose de rire. Il m’avait dit le jour de notre contrat qu’il aimait lire, mais je ne m’attendais pas à ce qu’il lise ces livres-.

— J’ai une excellente excuse ! essaie de s’expliquer Carder.

Je le défie du regard et le pousse à développer.

— Tu te souviens de notre contrat ? Tu devais lire mes livres préférés et regarder mes films préférés. Eh bien je me suis dit que ça devait se faire dans les deux sens, continue-t-il. Donc, j’ai décidé de lire tes livres préférés et de regarder tes films préférés.

Donc, pour résumer, je viens clairement de dénigrer mes propres livres préférés. Mais ce n’est rien ! Je n’étais pas au courant, donc ça ne compte pas. Encore une fois, ça ne compte pas.

— Oh. Et comment tu connais mon livre préféré ? je le questionne en fronçant les sourcils.

Il me dévisage comme si la réponse était évidente – ce qui n’est absolument pas le cas – avant de clarifier.

— Tu parles tout le temps de ton livre préféré, Grenouille ! Alors ça m’a intrigué.

Je souris et me sens un peu bête. Parce que je ne lis pas des romans historiques ! Et qui sait ce que Finn Carder a bien pu lire… A cette simple pensée, je rougis. J’essaie de me cacher de sa vue, mais je crois qu’il a remarqué que mes joues rougissaient. Heureusement, il ne dit rien.

Tout à coup, je me sens bête. Parce que je n’ai jamais lu ses livres préférés, je n’ai jamais regardé ses films préférés. Il va falloir que j’y remédie. Parce que s’il fait des efforts, je dois en faire aussi.

Le bus finit par s’arrêter devant le lycée et tout le monde descend. Finn me laisse passer en première et marche derrière moi. Alors que nous passons les grandes portes de l’établissement, une fille s’approche de nous. Elle a des cheveux noirs, une peau bronzée et une beauté à couper le souffle. Elle nous dévisage un instant, Carder et moi, avant de s’adresser directement à Finn.

— Je ne comprends pas pourquoi tu es toujours avec elle. Tu n’as pas entendu ? Cette fille est une harceleuse. Tu vas finir comme l’autre fille, tu vas finir minable.

Elle le regarde de ses yeux perçants avant de laisser son regard divaguer sur moi. Je peux lire du mépris sur son visage. Elle croit à tout ce qu’elle a entendu et elle est prête à tout pour que tout le monde se range de son avis.

— Et toi, je te conseille de t’éloigner de lui. Sauf si tu souhaites encore briser quelqu’un d’autre.

Je sens mon cœur se décrocher, mon souffle se couper. Parce que derrière la cruauté de ses mots se trouve une horrible vérité, une réalité qui me rend malade. Elle a raison, je vais le détruire. Parce que c’est mon but, ce qui me pousse à avancer.

Mais je ne veux pas casser quelqu’un d’autre, je ne veux pas faire subir à une personne ce que j’ai enduré pendant tant d’années. J’ai la tête qui tourne, les yeux qui se mouillent. Non, je ne peux pas pleurer maintenant. Je n’en ai pas le droit !

Mais je n’en ai pas l’occasion non plus. Parce que Finn me tire en arrière. Et quand je crois qu’il va partir, il se positionne devant moi et fait face à la fille, la surplombant de toute sa grandeur. Même sur des talons elle parait ridicule face à lui.

— Je te conseille de la fermer, gronde-t-il. Si j’avais eu besoin de ton avis pour mes relations amoureuses, je serais venu te parler. Si j’avais eu besoin d’entendre des conneries, je serais aussi venu te parler. Mais, tu vois, il y a comme un petit problème : je ne suis pas venu te parler. Je me suis tenu loin de toi. Alors de quel droit viens-tu vers moi ? Qu’est-ce qui te permet d’insinuer des choses fausses sur Jessie alors que tu ne sais rien d’elle et que tu n’as aucune idée de la vérité. As-tu la moindre idée de ce que les gens peuvent vivre ? As-tu la moindre idée des mensonges qui circulent partout autour de toi, dans le monde dans lequel nous vivons ? Non, je ne crois pas. Alors, pour la dernière fois, ferme-la ou je le ferai à ta place.

Parfois, il suffit d’un mot, d’un simple geste ou d’un sourire pour que tout s’écroule. Pour que notre monde s’effondre et que nos idées volent en éclat. Et c’est ce qui se passe en ce moment. Tous mes préjugés, mes idées toutes faites et bien encrées dans ma tête se détruisent une à une pour en former de nouvelles.

Parce que Finn Carder vient de me défendre et que tout le lycée s’est retourné pour le regarder et l’écouter. Ses poings sont serrés, il se contient. Mais mon dieu je n’arrive pas à penser clairement. Parce que mes sentiments aussi sont en train de basculer.

Il te défend, il te défend, il te défend.

Mais je refuse parce que je ne peux pas tomber amoureuse. Pas maintenant, je n’ai pas le droit d’éprouver des sentiments à mon égard. C’est lui qui doit tomber, pas moi. Pas moi.

Je secoue la tête et fixe le sol. Autour de moi, les gens me dévisagent, me regardent bizarrement. Je les vois passer à côté en appuyant leurs regards sur moi, je les vois disparaitre je ne sais où. J’ai du mal à me repérer, mais quand je sens une main se poser sur mon épaule, je sursaute à m’en coincer la nuque.

Devant moi, Finn a le visage fermé, essayant de refouler la colère passée. Mais moi, je ne peux pas le regarder en face, pas après ce que je viens de réaliser. Non, je me mens, je ne l’aime pas.

— Jessie, tout va bien ?

NON ! Ne m’appelle pas Jessie. Ne recommence pas à jouer au gentil avec moi parce que je refuse de ressentir tout ça pour toi. Alors tais-toi, tais-toi, tais-toi !

J’ai envie de lui crier tout ça, de lui hurler au visage s’il le faut. Mais je n’en fais rien. J’acquiesce le plus naturellement possible.

— Oui, oui, ça va. Il ne fallait pas me défendre, tu sais. Je m’en sors parfaitement. Je vais juste… Euh, je vais rejoindre Hannah et Lise. OK ?

Il acquiesce en me faisant comprendre par le biais de son regard qu’il a compris que quelque chose clochait. Comme si j’allais te dire quoi ! Il peut encore rêver, mais c’est hors de question que je lui dise que je commence à l’apprécier un peu plus que je ne le devrais.

Il faut que je trouve mes amies, maintenant. Je dois leur expliquer la situation, leur dire que je suis dans le pétrin. J’arpente les couloirs de long en large à la recherche des filles, mais je ne les trouve pas. Je finis par aller à la cafétaria, et je les vois, là, assise à notre table habituelle. Quelle ironie ! Elles se trouvent à l’endroit même où je leur ai expliqué mes sentiments complexes pour Dan. Et maintenant, je vais leur expliquer mes sentiments complexes pour Finn !

Tremblante, le regard fixé sur le sol, je me dirige vers elles. Je me laisse tomber sur ma chaise habituelle et Lise et Hannah doivent sentir que quelque chose cloche car elles me dévisagent.

— Raconte-nous tout, chérie, me dit Lise, la mine soucieuse.

Je soupire et les observe une à une en espérant que la réponse à mes sentiments se reflètent sur leurs visages.

— Je crois que je suis mal. Genre, vraiment mal. Y a quelque chose qui va pas dans ma tête, dans mon corps. Putain, foutus hormones !

Je n’ai pas l’habitude de jurer devant mes amies et elles me regardent avec des yeux écarquillés.

— Oh, doucement, tente de m’apaiser Hannah. Ce n’est rien, respire. Dis-moi ce qui ne vas pas. Parce que je sais que tout va bien dans ta tête.

Je les regarde, les yeux remplis de larmes contenues. Je ne peux pas pleurer pour ça, pour des sentiments. Je ne peux pas faire ce plaisir à Finn. Mais je dois leur expliquer ce qui se passe, c’est trop tard pour faire marche arrière.

— Je crois que je suis tombée amoureuse de Finn, je dis dans un murmure à peine audible.

A peine audible, et pourtant, mes deux amies sourient, signe qu’elles ont parfaitement compris ce que je viens de dire.

— JE LE SAVAIS ! s’écrie Hannah, fière d’elle et de ses intuitions. JE LE SAVAIS ET JE TE L’AVAIS DIT !

Je lève les yeux au ciel et la bonne humeur de Hannah, aussi contagieuse soit-elle, arrive à me calmer un peu.

— Ma chérie, ajoute Lise. On le sait bien, tu dois être la dernière au courant. Mais ça crève les yeux !

Je fronce les sourcils. De quoi parle-t-elle ? Comment ça, je suis la dernière au courant ? Et puis, comment ça « ça crève les yeux » ? Je viens à peine de m’en rendre compte, je viens de découvrir mes sentiments. Alors comment pourraient-ils dont être perçus par d’autres avant moi ?

Je dévisage mes amies, une à une, dans l’espoir qu’elles répondent à ma question silencieuse.

— Bon sang, Jess ! s’écris Hannah. Tes yeux !

Mes yeux ? Je sais que j’ai parfois du mal avec les relations sociales et que je ne comprends pas toujours « les signes », mais je ne vois vraiment pas le rapport entre mes yeux et mes sentiments.

— Ils ont quoi mes yeux ? je grogne.

— Déjà, ils sont très beaux, me répond ma meilleure amie, ce qui étire mes lèvres. Mais ils montrent aussi tout ce que tu ressens. Tu devrais te voir quand tu le regardes. Les étincelles, ce n’est pas pour de faux, je te le promets.

Soudain, l’image de Hannah dévorant Sam du regard me revient en mémoire et je crois comprendre de quoi elle parle. Mes deux amis ne se connaissaient que depuis une heure à peine mais, il y avait ça dans leur regard quand ils s’épiaient en cachette. C’était une sorte d’étincelle. Mais je suis pourtant certaine de ne jamais en avoir eu à l’égard de Carder !

— Chérie, tu devrais te voir quand vous êtes ensemble. Il y a comme une connexion invisible entre vous, et vous êtes les seuls à ne pas la remarquer.

Je dévisage Lise. Sérieusement ? Elle s’y met aussi ?

— Mais c’est impossible ! je proteste.

— En quoi est-ce mal ? demande Lise en fronçant les sourcils. Moi, je trouve ça beau.

— Ce n’est pas le sujet. Mais c’est impossible que vous disiez la vérité parce que je viens seulement de m’en rendre compte. Je n’avais pas encore compris mes sentiments pour lui, alors comment se fait-il que vous ayez pu les remarquer ?

Mes amies échangent un regard entendu et je me sens stupide. Quand il s’agit d’amour, de relations, elles comprennent toujours tout et se communique tout ce qu’il y a à dire par le regard. Elles doivent avoir raison, finalement ; parfois, les yeux disent plus que les mots.

— Jess, écoute-moi, commence Hannah. Tu viens de t’en rendre compte, mais ce n’est pas pour ça que tes sentiments viennent d’apparaitre. Et tout le monde le sait, il suffit de t’observer quand tu es avec lui. Tu rayonnes !

La chaleur se répand sur mes joues. Parce que j’ai peur que ce soit vrai. Mais en même temps, depuis le début, je fais semblant, elles n’ont peut-être vu que la comédie. Mais elles ne peuvent pas le savoir car elles ne sont pas au courant pour mon plan débile. Je devrais peut-être leur en parler ? Leur expliquer en face à face que je suis la plus grande psychopathe du monde, que je ne mérite personne et encore moins leur confiance après cette idée stupide ?

— Je… Je crois que je dois vous raconter quelque chose. Vous allez me prendre pour une folle, mais ça explique mon comportement et… les étincelles.

Hannah lève les yeux au ciel, pensant sans doute que je vais balancer une histoire ridicule pour expliquer mes sentiments. Mais c’est faux, je veux juste rétablir la vérité. Lise, elle, me regarde attentivement. Au moins, j’ai réussi à piquer la curiosité d’une des deux.

Je prends une grande inspiration et commence à leur raconter.

— Depuis le début, j’ai utilisé notre fausse relation pour deux buts. Le premier, c’est bien sûr Dan. Mais le deuxième, c’est que j’ai toujours voulu me venger de Carder. Je veux dire, j’ai l’impression qu’il fait toujours son possible pour m’ennuyer, me rendre minable aux yeux des autres. Alors je me suis dis que pour une fois, c’était à mon tour de le blesser et de le laisser se ridiculiser devant les autres.

Je jette un coup d’œil alentour pour vérifier que personne ne nous écoute avant de finir mon histoire.

— En acceptant ce contrat, je me suis jurée de lui briser le cœur et de me venger de tout ce qu’il a déjà pu me faire subir. Pour ça-

— Arrête, Jess.

Je sursaute quand Hannah me coupe soudain. Elle essaie de rester sérieuse, mais je vois qu’elle réprime un immense sourire. Qu’y a-t-il de drôle à la situation ? Elle devrait me crier dessus, me trouver bête et méchante. Mais non, elle a envie de rigoler.

Le pire ? Elle n’est pas la seule. Je vois que Lise aussi est amusée. Mais elle n’essaie pas de le cacher. Son visage est barré d’un large sourire qui révèle ses dents d’une blancheur étonnante.

— Tu y croyais vraiment ?

Je fronce les sourcils devant la question de Hannah.

— Oui, pourquoi est-ce si drôle ?

— Parce que c’est ridicule, Jess ! Enfin ! Tu as essayé de te convaincre de quelque chose parce qu’il te fallait une bonne raison de lui demander ce contrat. Au fond de toi, il te fallait une motivation pour avancer et t’élancer.

J’en reste bouche bée. Comment serait-ce possible ? J’ai toujours voulu me venger, faire comprendre à Carder que je ne suis pas une petite chose fragile et pleurnicharde, que je peux me défendre et faire mal, moi aussi.

— Tu sais, continue Lise. On ne te l’a jamais fait remarquer, mais tu aurais pu faire semblant avec n’importe qui. Tu aurais aussi bien pu prendre un garçon moins populaire, moins tape à l’œil mais qui l’est suffisamment que pour que tu te fasses remarquer. Mais toi, tu as choisi Finn. Tu as choisi celui qui te fait ressentir le plus de choses. Ces choses, elles étaient peut-être négatives, mais, comme on dit, il n’y a pas tant de différence entre aimer et détester. Tu es tombée de l’autre côté, chérie. Et crois-moi, c’est mieux comme ça.

Ses paroles me font du bien autant qu’elles me font mal. Parce qu’elle a raison. Elles ont toutes les deux raisons. Putain, mes sentiments, c’est pas nouveau.

Là, plusieurs images se forment dans ma tête. Finn et moi qui rions, Finn qui m’offre sa veste, qui me réconforte et me prends dans ses bras quand je pleure, Finn qui sèche pour savoir comment je vais, Finn qui a une photo de moi en fond d’écran, Finn qui me défend.

C’est toujours plus simple de voir de la colère, de la haine, plutôt que de comprendre que les sentiments sont plus profonds. C’est difficile de voir la vérité en face ; voir qu’on peut aimer quelqu’un. Surtout quand ce quelqu’un est sensé être votre ennemi, celui que vous détestez.

— Est-ce que j’ai un problème ? Parce que ce n’est clairement pas normal de tomber amoureuse d’un idiot.

Ma voix oscille entre rire et sanglot. Immédiatement, mes amies se lèvent de leurs chaises pour venir me serrer dans leurs bras. Je me sens un peu mieux dans la chaleur de leurs corps, mais j’ai toujours ce sentiment que dans l’histoire, ce n’est pas Finn qui est bête ; c’est moi.

Parce que ça recommence. Je tombe à nouveau amoureuse de quelqu’un qui est trop pour moi, de quelqu’un que je ne mérite pas. Mais si surtout, je tombe amoureuse de quelqu’un qui ne m’aimerai jamais en retour. À ce constat, mon cœur se brise un peu plus.

— Ma chérie, tu n’es pas tombée amoureuse d’un idiot. Sauf si tu parles de Dan. Parce que, crois-moi, Finn est tellement mieux, tellement plus gentil, plus attentionné et généreux. Si tu lui demandais de décrocher la lune pour toi, il le ferait. Car, quoi que tu croies, il t’aime autant que tu l’aimes, ça ne fait pas l’ombre d’un doute.

C’est faux, c’est faux, c’est faux.

Je sais que je ne dois pas y croire, mais mon cœur est naïf autant que mon cerveau. Une étincelle nait en moi. La même qui habite mes yeux quand je le regarde, si on écoute Hannah et Lise.

— Qu’est-ce que je vais faire ? Pourquoi ma vie est-elle si compliquée ? A la base, je suis juste du bas de la pyramide, et soudain, j’ai Le mec populaire qui me fait une déclaration et moi, grosse ingrate que je suis, je préfère l’autre beau gosse. Oh non, rien ne va. Rien du tout.

Ne pouvant plus se retenir, Hannah éclate de rire. Je lui donne un coup de coude dans les côtes, mais rien n’y fait, moi aussi je ris du ridicule de la situation.

— Oh, ma petite Jess ! Quelle horreur, on t’accorde de l’attention ! Mais ne t’en fais pas, avec Lise, on est là pour toi et on te soutient. S’il faut qu’on étouffe Finn, on le fera. Mais tu n’as aucun problème à te faire, ma belle ; vous deux, ça va bien finir.

Je souris. Et c’est un sourire sincère parce que je n’essaie pas de la croire. Je suis presque sûre qu’elle a raison. Et s’il ne partage pas mes sentiments, je pourrai toujours dire que notre histoire est terminée, que ce n’était que le temps d’une saison.

Mais… Et Dan, dans tout ça ? Parce que je ne peux pas aimer deux personnes en même temps, c’est impossible. Et Dan… Je ne sais pas. C’est comme si je n’avais jamais douté, mais au final, est-ce que ça a été vrai juste un jour ? Ou bien je me suis tout inventé ? Si je l’aimais vraiment, je n’aurais pas hésité, j’aurais sauté sur l’occasion quand elle s’est présentée à moi. Mais je ne l’ai pas fait, je me suis réfugiée dans les bras de Carder.

— Les filles. Je crois que je n’ai jamais aimé Dan.

— Bien sûr que tu ne l’as jamais aimé, lâche Hannah comme si c’était logique. J’ai essayé de te le dire, mais tu n’as pas vraiment écouté. En même temps, heureusement que tu ne m’as pas écoutée. Parce que maintenant, tu as vu qui comptait vraiment pour toi : Carder.

— En fait, intervient Lise, je ne crois pas que Jessie aime Carder.

Froncement de sourcils partagé pour Hannah et moi. Mais qu’est-ce qu’elle nous chante ? Lise est sensée être la fille sage du groupe, pas la folle. A-t-elle écouté ce qui vient de se dire ? Mais face à son grand sourire, je comprends qu’elle va encore nous sortir une grande théorie pour nous retourner le cerveau.

— Chérie, tu n’aime pas Carder. Parce que Carder, dans ta tête, c’est celui que tu détestes, celui que tu voulais « détruire », dit-elle en mimant des guillemets dans les airs. C’est de Finn que tu es tombée amoureuse. Tu aimes le gentil, celui qui sourit et à qui tu ne peux pas refuser ton rire et tes sourires. C’est lui que tu aimes. Et c’est celui-là qui t’aime aussi.


___


J'ai passé mon temps à sourire quand j'ai écris ce chapitre - surtout la deuxième partie, je l'avoue.

Jessie comprend enfin ce que tout le monde sait depuis le début. Mais que va-t-elle faire de cette information ? Mystère ! :)

Bref, j'espère que ce chapitre vous aura plus ! Je ne sais pas quand va sortir le prochain parce que j'ai pas mal de travail pour l'école en ce moment, mais je l'écris au plus vite.


Saluuuut !


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