En aparté

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Écrire ne peut être distingué de l'acte de penser. Quand la pensée nous échappe en torrent déchaîné, ruisseau limpide ou rivière boueuse, selon l'instant, selon l'individu, elle va en flot, continu, électrique entre nos deux oreilles et parfois en dehors de son lit.

Bien qu'il soit possible de suivre ce courant un temps, vous conviendrez que, quoi qu'il advienne, la pensée finira toujours par vous échapper, cascadant vers un néant inconscient, happée par le temps océan.

L'écriture, quant à elle, s'ancre.

Elle apparaît au travers d'une multitude de médias et peut potentiellement, aujourd'hui, toucher des millions d'individus alors même qu'on l'avait cru éphémère, l'ayant déposée distraitement sur une toile quelconque ; et ce, qu'elle soit juste ou non, bien agencée ou pas, mise en avant ou oubliée...

Pendant quelques instants, l'écriture aura suivi le cours de la pensée et tracé à ses côtés les sentiers d'une rupture avec le temps.

Si nos espoirs doivent être écrasés par le poids de l'âge, de la peur ou de la mort, il me faut continuer d'écrire. Même avec maladresse, même sans talent, pour griffer l'époque et ses mensonges.

  • C'est bon, t'as fini là ? Mes griffes n'ont que faire de ton ode à l'écriture !
  • Tout doux la bête, j'introduis l'épopée. Viendra ton tour de causer mais tant que je ne t'aie pas présentée, j'apprécierais que tu conserves ta mignonne gueule bien close.
  • Génial, me voilà décriée. Entends-tu la manière dont tu t'adresses à moi ? Moi qui suis si fidèle, si bonne compagne. Je viens te porter conseil et tu voudrais me museler ? Encore ? Tes parents vont rougir de ces vilaines diatribes qu'ils seront finalement les seuls à lire. Le reste du monde s'en contrefout de tes états d'âme. De mon humble avis, canidé européen, mère d'une multitude de cabots plus doux les uns que les autres, ce que le reste du monde semble vouloir, c'est se divertir toujours plus, caché derrière les vitrines qui lui sont vendues, le reflet d'un espoir, d'un rêve ; ici, un texte. Je vois déjà le tableau : d'un côté les combats et les humains agonisants, la misère et le peuple des rues, le sang, la sueur et les larmes ; d'un autre, de belles solutions toutes faites, applicables partout et en tout temps, savamment distillées ici et là et dont on pourrait se saisir ou s'agacer sans trop réfléchir, une utopie naïvement pacifiste pour maraîchers du dimanche. Le tout porté par un brave jeune homme, croyant faire les bons choix, toi. Un jeune homme qui pourrait-être notre enfant, notre ami, notre camarade. La plèbe veut de la passion, un truc dans lequel elle puisse se retrouver, sur lequel elle puisse pleurer ou se rassurer, un spectacle à contempler...
  • Je ne sais rien de tout cela, je n'ai qu'une histoire à raconter.
  • … Et moins de dix personnes la liront.
  • Je ne sais pas. Je n'aurais sûrement pas l'usage de l'ouvrage achevé. C'est dans sa construction que je tente de m'épanouir, car je serai à coup sûr déçu de sa finalité. Seulement alors emprunteront ce pont celles et ceux qui y trouveront un intérêt.
  • C'est pour ça que je vais me permettre d'intervenir, mettre un peu de chien dans tes agencements et essayer de semer du poil sur tes écrits trop lisses...
  • J'hésite, le récit perdrait en crédibilité.
  • Mais non, tu n'en as déjà plus. Elle s'est perdue à l'ombre des pancartes que tu as posé pour survivre, elle s'est perdue quand tu as cessé de travailler, quand tu as accepté de vivre de la sueur des autres... Tu n'as plus rien à craindre de ce côté-là. Je serai le témoin de tes interrogations... Et la plupart des gens adorent les chiens.
  • Il conviendrait de nous accorder sur la définition du mot "travail" mais admettons, tu parleras, maintenant laisses moi avancer.
  • Heureuse de te voir l'écrire. Je ne te dérange pas plus.

La bête s'éloigne tandis que je cherche mes mots. S'il y a une chance de mettre en commun nos savoirs et nos expériences, d'analyser l'usage que nous avons de ce que nous définissons comme nos territoires ou nos propriétés, et de redéfinir nos sociétés en fonction, alors il faut repenser la façon dont nous nous organisons pour vivre ensemble.

L'un des territoires les mieux gardés, les plus difficiles d’accès, cette tour de Babel aux milliers de chambres, de couloirs et de caves mais qui dans sa structure nous rassemble tous, est la communication, la langue, le vocabulaire dans ses déclinaisons d'accents, de gestuels, de graphies et de grammaires, notre capacité à communiquer les uns avec les autres. Communiquer ne signifie pas seulement être capable de s'exprimer mais aussi et surtout être capable de se rendre compréhensible, d'accepter que les mots que nous croyons maitriser peuvent être sujets à interprétation, faire résonner l'écoute au delà du mot. Les mots dont nous croyons connaître la signification : économie, social, travail, famille, amis... anarchie. Ils ne sont là que pour rendre compréhensible notre pensée, pour nous permettre de nous abreuver de nos émotions et de ce que nos sens perçoivent. Sans expériences misent en commun, les mots ne sont que des vases vides, que chacun rempli de ses propres idées, de ce qu'il a appris ou entendu.

Les médias donne l'illusion d'une expérience commune, mais aux mains de quelques-uns, ils ne nous donnent que l'occasion d'expériences choisies pour leur popularité et souvent pour leur rentabilité économique, l'occasion donc de réflexions conduites et choisies. Si nos expériences communes se limitent à ces courtes fenêtres, nous nous privons de la capacité à partager nos individualités et de par là même, d'entre-voir notre complémentarité et interdépendance.

Alors je continue d'écrire pour témoigner, afin que nos communauté est l'occasion, même fortuite, de prendre conscience que nous aspirons tous à une vie meilleure, qu'au travers de nos conduites et de nos vies nous fassonons notre rapport social et sommes bien trop souvent les meilleurs gardiens des limites que nous nous imaginons.

Nous n'aurons d'autres choix que de nous engager pour réaliser nos rêves. L'histoire de l'humanité s'écrit chaque jour au travers des choix de chacun d'entre nous. Si la mélanine caractérisait...

  • Stop !
  • Attends, j'ai presque fini, encore quelques mots.
  • Et moi dans tout ça ? Tu dis que tu vas faire une annonce, une mise en page pour me présenter, que tu vas me laisser de la place, et que nenni, rien, que dalle, peau de balle... Et tu voudrais qu'on accorde du crédit à tes récits ? Mais tu prends les gens pour des cons copain, moi qui te faisait confiance...
  • Tu le sais la bête, t'es ma conscience, ça va venir. Impatiente que tu es, regarde juste là, tu ponctues chaque chapitre de ma vie, regarde ce récit et bien autre, tu es toujours présente.
  • Et je me demande bien souvent ce que je fais là, ça ne rapporte que des croquettes.

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