Aimer les gares

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17 h 26. Et merde ça caille quand même. Quelle idée de revenir en plein mois de décembre aussi... Alors je sais, je pourrais attendre à l’intérieur de la gare. Mais dès le premier pas fait dans cette direction, je retourne à ma position intiale. Ca m’énerve. J’ai l’impression d’être ridicule. Je pense très sincèrement que je vais clouer mes pieds à cet endroit-ci. Et puis qu’est ce qu’il fout ce fichu train ? Toujours en retard la SNCF… Et avec la grève, laisse tomber. Il aurait mieux fait de revenir à cheval, ça aurait été plus vite. D’accord, je me calme.

17 h 28. Le temps s’écoule étrangement lentement non ? Ou alors c’est peut-être l’horloge de la gare qui déconne. Il faudrait que je demande à quelqu’un d’autre. Non, je ne vais pas faire ça, je vais avoir l’air d’une idiote. Discrètement, je me penche pour observer la montre de l’homme qui se trouve non loin de moi. Elle affiche la même heure que celle de la SNCF. Mais pourquoi est-ce si long ? J’en ai marre. Le temps ne s’écoule pas de la même manière que dans ma tête, c’est très agaçant. Je suis perdue, je suis assassinée. Bon d’accord, j’y vais un peu fort à citer du Molière.

17 h 30. Dix minutes de retard, je n’y crois pas ! J’hésite à aller me plaindre à l’accueil. Enfin, cela ne servirait vraiment pas à grand-chose, tout compte fait.

17 h 32. La voix insupportable de la dame de la SNCF – d’ailleurs, est ce que c’est une vraie dame ? - retentit et annonce l’entrée en gare du train. Ca y est. Enfin. Je le vois, il s’approche. Sa course se ralentit de plus en plus. Il est à peine en mouvement, avançant toujours de quelques centimètres, quelques milimètres. Il s’immobilise avec une douceur insoupçonnée. La seconde qui précède l’ouverture des portes semble s’éterniser. Les passagers descendent, beaucoup de passagers. J’avais peur de ne pas l’apercevoir, mais tel l’étoile du Berger, il se détache de la masse noire de personnages. Nos regards se croisent, mon corps s’envole. Mes oreilles s’emplissent d’une explosion. Une explosion répétée, régulière, séquentielle. C’est mon coeur qui détonne de l’intérieur. Soudain mes pieds se souviennent qu’ils peuvent marcher, qu’ils peuvent même courir. Je suis jetée dans ses bras. Il me serre contre lui. Ses cheveux bouclés chatouillent mes joues. J’ai chaud. Je suis en sécurité, ses bras sont chaleureux. Je veux rester là. Ma bombe sanguine a explosé, maintenant tout est calme. Laissez moi manier la magie, j’ensorcellerai la seconde pour qu’elle dure un siècle. Impression d’être suspendue dans le vide, dans le temps, tout de dissout autour. Il se détache de moi. Ses yeux clairs m’envoûtent, pourquoi chercher à maîtriser la magie ? Lui sait le faire si naturellement. Quelle injustice. Je lis dans ses prunelles beaucoup d’émotions indissociables les unes des autres. Subtilement, ses doigts s’entremelent parmi les miens. Et bientôt il se penche vers moi, et je sens une pression sur mes lèvres. C’est joli, c’est doux. Tout cette distance, tous ces mois attendus, je n’en pouvais plus. S’il était arrivé quelques secondes plus tard je serais probablement morte étouffée. Qui aurait pu croire qu’un quai puisse être la scène d’un de mes plus beaux moments ? Mon coeur est une coupe trop remplie de joie, de soulagement, et peut-être même de larmes. Je ne peux pas lâcher sa main. Elle serre la mienne avec intensité. Je ne peux me détacher de son visage, ses yeux étincellent. On s’éloigne, et on se retrouve en ce lieu si ambivalent. Je crois que je pourrais même me mettre à aimer les gares.

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