Chapitre X - Introspection
De retour dans l'amphithéâtre de l'auditorium où il avait de plus en plus la sensation d'être un touriste. Voire même le cancre de service qui se bascule sur sa chaise, alors qu'il a toujours été dans sa scolarité un élève assez studieux qui écoutait en classe plutôt que de s'acharner sur ses devoirs.
La conférence de l'après-midi était celle pour laquelle il avait choisi cette formation, mais son engouement s'était considérablement modéré, et son intérêt et son attention étaient quasiment aux abonnés absents. Son esprit errait en imaginant la liberté dont jouissait Uüstia. Pas de contrainte, pas de travail, pas de chef, la possibilité de se téléporter, la vie éternelle. Il en était presque jaloux.
Il philosophait sur l'objectif de passer sa vie à travailler, pourquoi l'humanité, ou plutôt la société humaine, avait-elle choisi cette voie ? Pour s'occuper ? Pour ne pas s'ennuyer ? Pour qui ? Pourquoi ? Il comprenait l'objectif de s'investir pour un collectif mais le monde dans lequel il vivait était bien loin de cette idéologie. Le chacun pour soi, l'esprit de compétition, le profit, la loi de la jungle, tout ça le rendait dubitatif et songeur. Pour la première fois de sa vie, il ne se sentait plus à sa place.
La conférence se termina par une standing ovation, cela le prit de court et le sortit de ses pensées. Il se leva et se mit à applaudir comme un mouton de Panurge pour faire comme tout le monde. Il se surprit lui même de ce qu'il était en train de faire. Pourquoi claquait-il des mains alors qu'il n'avait rien suivi ? Était-il un de ces moutons décérébrés qui se laissaient embarquer par les mouvements de masse sans forger au préalable son propre avis ?
Il se rassit, regarda le fascicule du programme pour connaître le sujet suivant. La foule commença à quitter l'auditorium pour une petite pause, des groupes se formaient pour discuter au sujet de ce qui venait d'être dit. Lui resta stoïc, assis, le regard dans le vide. Que faisait-il là ? Il se dit "J'ai payé, alors je vais rester !". L'argent dictait son choix et il en prit conscience.
C'est alors qu'il se rappela qu'il avait encore un vœu. C'était le dernier, il ne fallait pas qu'il se trompe et il devait être plus précis que le précédent. Être milliardaire ? Oui, mais pourquoi ? Il avait souvent entendu parler des gagnants de l'Euromillions en dépression. Qu'allait-il bien pouvoir souhaiter ?
Le public revint et l'oratrice suivante prit place au pupitre et commença une fois le brouhaha ambiant terminé. Samuel n'y prêta même pas attention, son esprit logique était en action pour d'autres desseins. Il essaya cependant de fermer son esprit pour ne pas être entendu à distance par sa succube, même s'il ne savait pas si elle pouvait lire en lui à distance ou si ce qu'il faisait avait la moindre efficacité. La voix de cette dernière vint le sortir de sa réflexion en arborescence.
~ J'espère que tu as faim car on mange tôt ce soir !
~ Que m'as tu préparé ?
~ Surprise mon cher !
~ Est-ce que je pourrais te déguster en amuse-bouche ?
~ Je n'en dirai pas plus petit coquin ! À tout à l'heure, conclut-elle avec un langoureux baiser virtuel sur la bouche.
Au vu du regard désopilé de ses voisins, il a dû sacrément avoir l'air ridicule en essayant de rendre ce baiser dans le vide. Il les ignora et commença à ranger ses affaires, regarda sa montre et s'installa bras croisés en attendant la fin sans trop écouter la dernière intervenante de la journée. De toutes façons, il n'avait rien suivi depuis le début de son allocution. Qu'avait-elle prévu ? Où avait-elle été cette fois ? Il était tout excité !
La journée était finie, enfin ! C'est long une journée quand on ne fait pas ce qu'on voudrait faire, Einstein avait raison, le temps, c'est relatif ! Il remis sa veste et hissa son sac sur le dos, il se dit d'ailleurs que son sandwich devait sacrément tirer la langue. Il se dirigea guilleret vers le métro, le pas léger et s'arrêta devant un sans domicile fixe à la barbe grisonnante qu'il avait croisé ce matin alors qu'il était dans sa phase hallucinatoire et lui donna le sandwich auquel il ajouta un billet de dix euros. Il se sentait l'âme généreuse, même s'il ne croyait pas au karma, une bonne action donne toujours du baume au cœur. L'homme lui retint l'avant bras et le regarda droit dans les yeux.
- Merci l'ami ! Crois en toi, crois en l'impossible, crois en l'infini ... Une utopie n'est qu'un rêve qui ne s'est pas encore réalisé !
- Heu ... Merci l'ami, et bon appétit !
L'homme lâcha Samuel en faisant un clin d'œil de son oeil droit un peu voilé.
- Vis, rêve et jouis !
- Merci du conseil !
Le barbu jeta ses canines sur le sandwich et ne prêta plus attention à Samuel qui décida de continuer son chemin vers sa rame de métro. Sur le quai, il regarda les gens autour de lui, la plupart avait les yeux rivés sur leur smartphone pour lire des articles, regarder des vidéos, jouer, parcourir les réseaux sociaux ou écrire des messages. Il trouva éminemment curieux que lui n'ai pas eu l'idée de sortir son téléphone de la journée alors qu'habituellement, c'était une prolongation de sa main. Il vit ce monde réel qui se déconnectait peu à peu, chacun perdant la perception de ce qui l'entoure.
Il sortit son téléphone, jaugea ses notifications et l'éteignit avant de le jeter au fond de son sac. Un peu comme le fumeur qui planque son paquet de cigarettes pour ne plus le voir et ne pas être incité à en allumer une autre.
La voix monocorde du métro lui indiqua son arrêt, il descendit et regagna l'air libre en évitant tous ces zombies pressés comme dans le jeu de voitures auquel il jouait enfant où il fallait esquiver de droite et de gauche. Une petite marche et il aperçut enfin son hôtel aux néons audacieux que sa note de frais modérée lui avait permis de louer. Devant l'entrée, il prévint Uüstia de son arrivée imminente.
~ Coucou, je suis en bas, j'arrive !
~ Tu iras prendre ta douche, puis tu me rejoins, d'accord ?
~ D'accord !
Samuel s'engouffra dans le hall l'air conquérant et le pas décidé. Plus rien d'autre ne comptait.
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