Aux caves /1
- Rendez-vous, vous êtes en état d'arrestation, déclama le grand milicien d'une voix forte. Il ne vous sera fait aucun mal, ajouta-t-il, jugeant sans doute que le chasseur était un coriace qu'il valait mieux éviter d'affronter, même à cinq contre un.
- Que voulez-vous ? Nous sommes de simples voyageurs, rétorqua Talixan, la flèche toujours pointée droit sur la gorge de celui qui venait de parler.
- Je vous emmène au chateau. Le seigneur Lamier décidera de la suite. On a vu un ptéromoran au-dessus des champs aujourd'hui, il est à vous ?
Talixan feignit la surprise, nia tout rapport avec eux, insistant qu'ils n'étaient que de simples voyageurs égarés, attaqués par des brigands.
Le regard du milicien, qui semblait être le chef, s'arrêta sur les lanières de tissu qui recouvraient le torse de Zephyr. Il se pencha et émit un petit sifflement à la vue de l'estafilade qu'on devinait dans le dos du jeune homme.
Ses yeux s'abaissèrent ensuite vers les lignes tracées au sol, à leurs pieds.
- Il se passe des choses suspectes ici, je ne sais pas ce que vous fomentez, mais ça se réglera au chateau. Baissez votre arme, et laissez-vous lier les poignets par mes hommes.
Talixan s'exécuta de mauvaise grace. Deux hommes lui lièrent les poignets dans le dos, et firent ensuite de même avec Zephyr. Le milicien sembla soulagé que tout se passe sans plus de heurts. Par contre, il évitait ostensiblement de poser à nouveau les pieds sur le dessin tracé dans la terre, auquel il jetait des petits coups d'oeil pleins d'appréhension.
- Maintenant, dans le cabanon, dit-il à ses hommes. Arrêtez-moi tous les individus que vous trouverez là-dedans, et criez si vous voyez la moindre bestiole bizarre bouger.
On entendit les hommes réveiller sans ménagement les occupants de la cahute et, quelques minutes plus tard, ils revenaient avec Kanoo, Stepo et les cinq baribes, dont ils avaient également ligoté les mains. Les nouveaux venus, tirés brutalement de leur sommeil, écarquillaient encore les yeux sans comprendre où les miliciens voulaient en venir.
Kanoo se mit à protester énergiquement, qu'elle était là pour diriger les baribes, qu'elle n'avait rien à se reprocher. Que toute personne qui s'en prendrait à elle aurait des comptes à rendre au seigneur Lamier lui-même.
Pas démonté par les propos véhéments de la jeune fille, le milicien en chef lui annonça qu'elle aurait à répondre d'avoir hébergé sur les terres du seigneur Lamier des individus d'origine inconnue, qui pratiquaient la sorcellerie, et qu'on soupçonnait d'avoir laché dans la nature un ptéromoran.
Cela refroidit aussitôt les ardeurs de Kanoo, qui engloba ses deux invités dans les regards furieux qu'elle adressait à la ronde.
La troupe se mit en marche, et Zephyr constata que son dos le faisait beaucoup moins souffrir qu'un instant auparavant. Le sort avait fonctionné ! Il en tira une petite fierté intérieure, bien vite éclipsée par la situation périlleuse dans laquelle ils se trouvaient tous désormais. Il rechercha des yeux Stepo. L'enfant, lui, n'avait pas les mains liées, et en profitait pour s'accrocher des deux bras à une jambe de la grande baribe qui l'avait accueilli sur ses genoux la veille.
- On va où ? demanda-t-il de sa voix de garçonnet. Il insista plusieurs fois, avant que Zephyr finisse par lui répondre :
- Au chateau.
- C'est loin ? J'ai envie de faire pipi ! renchérit l'enfant d'un ton pressant.
- Plus tard ! tonna le milicien. Avancez, allez ! Fit-il en faisant mine de pousser les baribes qui trainaient à l'arrière.
Ils marchèrent d'un pas traînant à travers champs, sur des sentiers qu'on devinait à peine sous la lune, puis rejoignirent un chemin mieux dessiné, qui au bout d'un moment se trouvait bordé de haies.
Enfin un grand bâtiment en U à deux étages, flanqué d'une tour, se dessina dans les ombres.
Lorsqu'ils approchèrent de la bâtisse, que les locaux nommaient pompeusement "le chateau", le milicien les dirigea vers la tour. L'ensemble était silencieux et obscur, à l'exception d'une patrouille qui sortit de la tour avec des torches, et s'avança vers eux.
- Alors, vous l'avez ? dit une voix.
A quoi le milicien en chef répondit qu'ils n'avaient pas capturé le ptéromoran, mais des individus suspects qui pratiquaient la magie. Il avait préféré les amener au plus vite, mais le plus important restait à dénicher. Il conseilla à son interlocuteur d'envoyer sa brigade du côté d'où ils venaient. On sentit le regret de ce dernier, qui avait un instant espéré que sa nuit serait épargnée.
La troupe et ses prisonniers pénétrèrent dans la tour et descendirent un escalier de pierre grossière. Arrivés en bas, ils se tenaient à l'entrée d'une immense cave. Près d'eux, des piles de nourriture, d'armes et d'objets disparates s'ammoncelaient sans ordre bien défini. Ensuite, des tables et bancs barraient le chemin. Cependant, au-delà, on devinait des grilles, alignées tout le long d'un profond couloir. Zephyr comprit qu'il s'agissait de cachots.
Il se tourna vers Talixan, dont le visage était fermé. Il chercha derrière lui Stepo, et s'aperçut que le petit garçon s'était éloigné pour aller se soulager dans une jarre entreposée devant la montagne d'objets de l'entrée.
- Stepo, ne fais pas ça, commença-t-il, soupçonnant que la jarre pouvait contenir de la nourriture. Puis il s'interrompit, en se disant qu'avec un peu de chance le contenu de la jarre était destiné aux soldats et que ce serait bien fait pour eux.
Après avoir raconté en détail son histoire au type assis à la table, devant les cachots, le milicien en chef réunit ses prisonniers et les dirigea jusqu'à une grande cellule encore inoccupée. Ils y entrèrent tous, et l'homme referma la grille derrière eux.
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