Je m'en vais retrouver ma vie.
J'ai confié à ton oncle William le soin de te remettre cette lettre quand il te jugera suffisamment mature pour lire les derniers écrits de ton père.
Le plus sincère des pardons ne pourrait effacer l'acte que je vais inévitablement commettre par la suite. J'aimerais donc que tu saches que je regrette profondément de ne pas m'être battu et d'avoir aimé ta mère si fort que rien, ni même toi, n'ai pu me retenir sur cette terre. Il y a des choses inexplicables, étranges mais puissantes qui peuvent pousser l'héritier d'un gouverneur tyrannique dans les bras d'une soit disant Marquée. Ce que j'ai ressenti pour ta mère, personne ne pourrait l'entendre ou l'expliquer. Ce dont je suis certain est qu'elle m'a fait renaitre de nouveau. Alors comprends moi, comment pourrais-je vivre sans mon souffle de vie?
Le bonheur qu'elle a insufflé en moi à atteint son apogée le 11 avril 1850, alors que je te tenais pour la toute première fois entre mes mains maladroites. Dès lors, tu fus bien plus que ma fille : tu devins la source de mon espoir, la raison pour laquelle je croyais en un avenir certain. Pourtant, ta mère est partie et je n'ai pas trouvé la force de rester près de toi. Je ne puis m'empêcher de penser que je suis coupable de sa mort. Rien ne lui serait arrivé si mon regard n'avait pas croisé le sien, si la répulsion injustifiable que j'avais ressenti à son égard ne s'était pas métamorphosée en une réelle inclination. Mais tu n'aurais alors pas ouvert les yeux sur le monde et je serais resté ce libertin égaré et narcissique.
J'ai à peine vingt et cinq ans et ai néanmoins l'impression d'avoir vécu plus longtemps que les hommes d'âges mûrs. J'ai fait, vu et entendu des choses que tu ne pourrais imaginer. Et le secret le plus important qu'il me vient à coeur de te révéler est de ne jamais cacher ton vrai visage derrière un masque que la société t'impose à revêtir. Tu dois être une femme fidèle à toi-même, qui refuse de vivre aux dépends des autres. Poète? Danseuse? Exploratrice? Tu peux être la personne que tu désires. J'ai caché mon talent, persuadé dès mon plus jeune âge que le monde ne s'intéresserait pas aux peintures du fils d'un gouverneur. J'ai manqué la chance de montrer que j'étais bien plus qu'un homme égoïste et orgueilleux.
Je regrette tant de ne pas avoir su protéger ta mère, de ne pas avoir pris le temps de profiter de sa présence. De l'avoir aimée trop tard pour la perdre si tôt. Je veux que tu sois fière de qui tu es. Que tu profites de chaque moment de ta vie. Peu importe ceux qui t’entourent, l'endroit où tu te trouves, n'oublie jamais que tu es le fruit d'un amour réel. Le lien qui m'unissait à ta mère était vrai et indestructible. Je ne puis laisser la mort nous séparer.
Je pense à ce que je vais faire et je n'ai pas peur car je crois que Mathilde m'attend. Déjà, je l'entends qui m'appelle de sa voix douce et rassurante. Déjà, je la vois tendre ses mains vers moi. Et pour elle, je veux croire en une vie après la mort. Pour elle, je veux croire que ce que nous avons vécu n'est que le début de notre histoire. Les hommes nous ont détruits mais rien, ni les anges ni les démons, ni les Libres ni les Esclaves, ne pourront ébranler les barrières de notre amour.
Je t'en prie, ne me blâme pas. Après tout, je ne suis qu'un homme brisé par la violence et la passion d'un amour perdu. Ta mère l'ayant quitté, je t'aime désormais plus fort que tout au monde.
Je m'en vais retrouver ma vie.
Je t'aime.
Ton père.
Andrew George Johanson
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