Episode 16
Je rentre à la maison, épuisée. J’ai pleuré jusqu’à ce que mes yeux sèchent par manquent de larmes. Puis j’ai attendu encore.
Je suis sur le pas de la porte maintenant et j’hésite à rentrer. Mes yeux sont rouges et gonflés, j’ai les joues pleines de traces de larmes. Si je rentre dans cet état je vais inquiéter mes parents. Mais après ce qu’il s’est passé, n’est-ce pas une réaction normale de pleurer ? Peu importe. Je ne vais pas rester planté là. J’entre. Mon père est à la table du salon, les lunettes sur le bout du nez, en train d’essayer de réparer un réveil. Ma mère est dans la cuisine penchée sur la préparation du dîner.
- Ma chérie ! Tu es rentrée ? Crie-t-elle en entendant la porte se refermer.
Elle sort de la cuisine avec un grand sourire, qui s’efface dès qu’elle voit ma tête défaite et mes yeux rougis.
- Ça va maman, ne t’inquiète pas… je suis passée voir Anna.
- Tu… tu savais où c’était ?
- Oui… je sais pas comment, mais oui. Comme si j’y étais déjà allée.
- Ah bon… si tu veux en parler, nous sommes là ma chérie, dit-elle en désignant mon père et elle de la main.
- Non ne vous inquiétez pas, ça va. Par contre aujourd’hui on m’a fait une proposition, et j’avoue que j’y ai bien réfléchis, j’aimerais en parler avec vous.
- Une proposition ? Quel genre de proposition ?
- Je vais tout vous expliquer. Il y a des choses que je ne vous ai pas dit…
J’ai pris ma décision sur le chemin du retour, je dois tout leur dire. Je ne peux pas continuer à leur raconter des mensonges ou à leur cacher la moitié des informations.
- Promettez-moi de ne pas me prendre pour une folle, je suis très sérieuse, j’ai moi-même longtemps douté, mais je ne vois que ça comme explication.
Mes parents sont assis sur le canapé côte à côte, ils se tiennent les mains.
- Vas-y ma chérie, nous t’écoutons.
- Je viens de me réveiller d’un peu plus d’un mois de coma, jusque-là vous êtes d’accord ?
- Oui…
- Bien, et je vous ai parlé de Jun aussi.
- Oui, le jeune homme avec qui tu as appris le coréen ?
- Oui, tout à fait. Et bien je le connais depuis un peu plus d’un mois seulement.
Mes parents me regardent avec de grands yeux lorsqu’ils font sens.
- Mais… ! Qu’est-ce que tu racontes ? Comment tu peux le connaitre si tu étais dans le coma ?
- Il n’y a pas que ça… Depuis que je me suis réveillée j’ai des souvenirs, des images qui reviennent. Des souvenirs d’avant l’accident, de l’accident mais aussi de pendant mon coma. Comme si… comme si ma conscience avait eu une vie propre durant cette période, pendant que mon corps se remettait du traumatisme.
Je les vois échanger un regard inquiet. Ils ne me croient pas, ils me prennent pour une folle. Ou alors ils mettent ça sur le compte du coma, mais ils n’essayent même pas de me prendre au sérieux. Ça me met en colère.
- Vous ne me croyez pas, c’est ça ?
- Si ! Si ma chérie bien sûr… ! C’est juste que… le médecin nous avait parlé d’effets secondaires et…
- Et quoi ? Vous vous dites que j’affabule, que tout ça n’est que le fruit de mon imagination ? Donc j’ai un truc encore plus époustouflant à vous raconter ! Mon imagination est intervenue dans le monde réel et m’a permis de faire connaissance avec une personne réel à l’autre bout du monde ! Je m’écris de plus en plus en colère.
- Mais enfin ce que tu dis n’a aucun sens ! S’écrit ma mère également.
- Ah oui ? Je vais vous montrer mon téléphone dans ce cas. Vous allez voir l’application, la conversation avec Jun, mais surtout les dates des messages !
Je joins le geste à la parole, je prends mon téléphone et cherche l’application. Mais je ne la trouve nulle part. Mais, pourtant… je l’ai utilisé durant un mois, elle devrait être là… Mes parents m’observent sans rien dire, mais leur silence me fait souffrir davantage que s’ils avaient eux-mêmes prononcés le mot « folle ». Je réalise soudain pourquoi.
- Ah mais oui ! C’est parce que j’avais utilisé le téléphone d’Anna…
- Le téléphone d’Anna ? Mais qu’est-ce que tu racontes ? Il a été détruit dans l’accident, on ne l’a jamais retrouvé…
Je ne peux en supporter davantage, je m’enfuie pour me réfugier dans ma chambre.
- Non, mais chérie ! S’il te plait… ne le prend pas comme ça… !
Je suis déçu, j’espérais qu’au moins mes parents me feraient confiance. Mais non. Et maintenant ils risquent de me renvoyer à l’hôpital. Je suis assise sur mon lit, les jambes repliées sur ma poitrine. Je broie du vide, je ne pense à rien. Je me suis disputée avec mes parents, mon avenir est flou, mon esprit est tellement embrouillé que je suis incapable de réfléchir et de prendre une décision, et Lily qui ne me répond pas… ça fait des heures que je lui ai envoyé un message, elle l’a forcément reçu et lu, elle ne me répond juste pas…
Qu’est-ce que je vais devenir moi ?
Attend une minute ! Tout à l’heure j’ai bien échangé des messages avec Jun. Et pour se mettre d’accord sur l’heure de rendez-vous aussi !
Ah… oui très juste… nous avions échangés nos numéros lorsque nous nous étions vus à l’hôpital. Ce n’était donc pas via l’application.
Quelqu’un frappe à ma porte.
- Mélanie, me dit ma mère toujours derrière la porte, on est désolé avec ton père, on ne voulait pas te mettre en colère… c’est juste que, essaye de te mettre à notre place, c’est très difficile à croire quand même, je préfère penser que durant tout le mois où tu étais dans le coma tu as rêvé que tu étais en train de vivre quelque chose… Ecoute, si tu as peur qu’on te renvoie à l’hôpital à cause de ce qu’a dit le médecin… on ne va pas le faire, d’accord ? Mais ne te fâche pas… Tu avais parlé d’une proposition a laquelle tu avais réfléchi ? C’était quoi ? Dis-nous, on en parlera avec toi…
- Comment voulez-vous que je parle avec vous de ça si vous ne me faites pas confiance ? Si vous n’apportez aucun crédit à ce que je dis, ça ne sert à rien… Autant que je me débrouille, s’il y a bien une chose dont je suis sûr maintenant, c’est que je me fais confiance à moi-même donc peu importe les décisions que je prendrais, je les assumerais jusqu’au bout.
Je me tais. J’entends un léger murmure derrière la porte.
- Mélanie, ma puce, me dit mon père, ce n’est pas qu’on ne te fait pas confiance, c’est qu’on s’inquiète pour toi… tu as vécu des choses qu’on ne devrait pas vivre et encore moins à ton âge. Tu as vécu des choses trop dures pour en sortir indemne. Se reconstruire après ça, ce n’est pas évident et c’est pour ça qu’on veut être à tes côtés pour t’aider et te guider. Ce qu’on veut, c’est ton bonheur, que tu retrouves quelque chose qui te donne envie d’avancer. Quand tu nous as parlé de ton ami coréen, tu avais des étoiles dans les yeux. C’est ça qu’on veut. Que tu retrouves les étoiles que tu avais dans le regard avant cet accident…
- Ah oui ? Mais pourtant vous auriez dû voir vos têtes d’enterrement quand je vous ai parlé de lui.
J’entends ma mère soupirer, mais ce n’est pas un soupir d’agacement, c’est différent, comme si elle regrettait ce qu’il s’était passé.
- Ce n’est pas ça ma chérie… c’est juste que… tu étais encore à l’hôpital… je me disais que c’était trop tôt, que c’était peut-être juste une façade pour ne pas qu’on s’inquiète. Ce n’est pas la première fois que tu fais ça. Depuis que tu es petite tu essayes de te mettre à la place de tout le monde pour adopter les bonnes réactions et ne pas les inquiéter… Nous voulons t’aider, et pour ça nous avons besoin de savoir comment tu te sens réellement…
Je réalise soudain que mes parents n’ont jamais voulu me blesser. Tout ça me rend vraiment nerveuse. Je ne me reconnais pas. Dans une seule et même journée j’ai déjà fui deux fois une conversation, j’ai parlé toute seule à une tombe, je me suis roulée en boule… je n’agis pas comme ça d’habitude. Je dois me ressaisir. J’ouvre la porte. Je trouve mes parents devant moi et je les prends dans mes bras en m’excusant.
- Je suis désolée… je ne sais pas ce qu’il me prend, je suis pas comme ça d’habitude…
- On sait ma puce, ne t’inquiète pas, ça va aller.
Je les relâche et me tiens devant eux.
- Je vais vous parler ce cette proposition. Mais d’abord je dois passer un coup de file.
Ils hochent la tête, se consulte d’un regard.
- Je vais aller finir le dîner, me dit ma mère avant de retourner dans la cuisine.
- Je vais finir de réparer mon réveil, sinon demain je ne me réveillerais pas à l’heure ! Me dit mon père avec un clin d’œil
Je les regarde partir avec un petit sourire. Je rentre dans ma chambre, récupère mon téléphone qui est resté sur le lit et sélectionne le numéro de Jun.
- 여보세요 ?
- Jun ? C’est Mélanie.
- Oh ! Mélanie, ça va mieux ?
- Oui, merci… Je t’appelais à propos de ce que Hae Kuk à dit. J’ai passé la journée à y réfléchir et je compte en parler avec mes parents, du coup j’aurais voulu savoir ce dont vous aviez discuté après mon départ.
- Oh ! Oui bien sûr !
Il me raconta tout, y compris la partie où je devais prendre une décision et en accepter les conséquences. De quel genre de conséquences parlait-il ? Il refusa de me le dire. Je discutais encore quelques minutes avec lui. Ça m’avait manqué de lui parler. Juste discuter. Papoter. Comme ça.
Je rejoins mes parents dans le salon, ils avaient mis la table et m’attendais tranquillement en buvant un verre de vin. Je m’installe à ma place puis les regarde chacun leur tour dans les yeux pour m’assurer d’avoir leur pleine et entière attention.
Puis je commence à tout leur expliquer du début. Je leur parle une fois de plus de mon ami Jun, je leur parle de ses amis, je leur dis qu’ils bossent tous dans une même entreprise et qu’en plus de rencontrer toute l’équipe aujourd’hui, j’ai rencontré leur supérieur. Je leur explique qu’ils veulent se développer en France et que pour ça ils ont besoin d’un pied à terre. Je leur raconte enfin qu’ils m’ont proposé d’être cette personne. Je leur parle de comment ils ont pensé s’organiser pour que je fasse mes études et obtienne mon diplôme tout en réalisant mon alternance avec eux. Enfin je leur raconte que je me suis moi-même renseignée sur ce travail et qu’en effet ce métier ne me déplait pas.
Mes parents échangent un nouveau regard.
- Tu sais tu as encore du temps pour réfléchir à ce que tu veux faire. Me dit ma mère lentement.
- Je sais… mais je ne sais pas trop comment l’expliquer, j’ai le sentiment que c’est ce que je dois faire.
Mes parents ne disent rien de plus. On commence à manger en discutant de choses et d’autres. Une conversation légère. Ça faisait longtemps !
Le soir nous nous regardons un film, je suis installée entre mes parents sur le canapé. J’ai bien conscience qu’une fille de mon âge ne s’assoit pas entre ses parents pour regarder un film, ce n’est pas un comportement habituel.
Mais est-ce vraiment une situation normale ? Ce contact m’avait manqué et je l’ai savouré tout le long du film. De même que mes parents.
Annotations