Episode 20
Je suis perdue, je ne sais pas quoi faire. Il est hors de question que je rentre chez moi, je ne veux pas revoir mes parents. Je suis trop en colère pour ça.
Jun a desserré son étreinte lorsque mes larmes se sont taries et que je l’ai gentiment repoussé. Je me suis assise sur les marches et depuis je ne bouge plus. Jun est assis à côté de moi. Il ne dit rien. Il respecte mon silence, je suppose. Mais je le vois me jeter des regards en coin. Il semble inquiet. Il n’ose pas de me demander, mais il veut savoir. Et je n’ai aucune raison de cacher ce qu’il vient de se passer.
A part si… a part s’il me juge comme m’a jugé ma mère. Non, non il ne fera pas ça. Ce n’est pas son genre. Il faut que je lui raconte. J’ai besoin de libérer mon esprit de toutes ces pensées qui y tournent en boucle.
- En fait… dis-je en commençant, brisant le silence.
Jun tourne la tête et me regarde avec douceur comme pour m’encourager.
- Je… ma mère m’a appelé et… la conversation a dérapé. Je lui ai dit tous ce que je ressentais, je… j’étais en colère. Mais elle n’a pas voulu comprendre. Elle m’a dit que j’étais… égoïste et injuste… je… je ne pensais pas que ma mère me voyait comme ça.
Jun pose sa main sur mon épaule pour essayer de me consoler. Je poursuis.
- Tout ça… tout ça parce que… depuis que je me suis réveillée de ce coma, j’ai décidé de reprendre ma vie. De faire ce que je voulais. J’ai réalisé que la vie pouvait être courte et fragile. J’ai décidé de faire une sorte de tri dans ma vie, pour ne pas perdre de temps avec des gens ou des choses qui… qui ne fonctionnent pas. Mais je ne pensais pas que la personne que je croyais être ma meilleure amie me lâcherait.
- Comment ça ?
- Depuis que je suis sortie du coma, depuis la rééducation, depuis ma sortie de l’hôpital. Je n’ai vu personne de mes amies. J’ai envoyé un message à ma meilleure amie pour prendre de ses nouvelles. Normalement ce doit être à elle de prendre de mes nouvelles non ? Mais peu importe. J’ai essayé de comprendre. Après tout elle était très proche de ma sœur, et… peut-être qu’en me voyant ça allait la faire souffrir… mais je veux dire… ça fait plus d’un mois qu’elle fait son deuil d’Anna. Moi je… ça ne fais que quelques semaines que je sais… enfin en théorie. Enfin bref… peu importe. Ce n’est pas ça qui m’a blessé. Elle ne m’a jamais répondu. Elle n’est jamais venue me voir. Elle m’a abandonné. Et là j’ai compris.
- Tu as compris quoi ?
- En fait elle n’était pas mon amie, mais celle de ma sœur. Moi j’étais juste compris dans le lot. Ma sœur est morte, et pour elle, moi aussi. Et quand j’ai expliqué ça à ma mère, elle ne m’a pas crue. Elle m’a criée dessus. Elle n’a pas voulu me comprendre. Pour elle je n’étais qu’une ingrate parce que cette amie en question était venue me voir à l’hôpital au début de mon coma. Depuis que je me suis réveillée, la moindre chose que je lui dis, elle ne me croit pas. Et en fait je réalise maintenant que ce n’est pas nouveau. Ça a toujours été comme ça.
- Tu es sûr que tu ne dramatises pas parce que tu es en colère ?
- Non… c’est… en fait c’était évident. C’était sous mes yeux. Mais je n’ai jamais vu. Ou en tout cas je n’ai jamais voulu voir.
- Qu’est-ce que tu veux dire… ?
- Mes parents ne voulaient qu’un seul enfant. Mais nous étions deux. Des jumelles. Surprise ! Dis-je avec un rire amer. Dans notre enfance je suppose que ça allait encore, je n’ai pas trop de souvenir, comme tout le monde. Mais ensuite les choses ont changé. Ma sœur était naturellement plus dégourdie que moi, disons. Elle a su lire avant moi. Elle a su compter avant moi. Elle était belle et gentille. Sociable aussi. Moi je l’admirais. C’était ma sœur et j’étais fière d’elle. D’autant plus que j’étais plus timide et renfermé qu’elle. M’ouvrir aux autres, évoluer en société c’est beaucoup plus difficile pour moi que pour elle. On a grandi. Anna a réussi ses examens brillamment et a pu entrer dans une grande école. Elle savait exactement ce qu’elle voulait faire. Elle ravissait mes parents. La fille parfaite. Belle, intelligente, qui réussit tout ce qu’elle entreprend mais qui reste humble et modeste. Elle avait plein d’amie et sortait régulièrement mais ça n’empiétait pas sur ses études. Et moi… moi je la suivais de partout. Persuadé que son groupe de copine auquel j’étais intégrée d’office, était aussi mon groupe de copine. J’ai réussi mes examens mais sans les honneurs. Je suis allée dans une fac mais ça ne m’a pas plu. J’ai arrêté d’y aller. Et j’ai pris une année sabbatique. Ne sachant pas quoi faire. J’étais clairement un échec pour mes parents… mais là encore j’ai préféré ne pas le voir. Anna… Anna me disait que tout allait bien se passer. Que ce n’était pas grave, que j’allais trouver ce qui me plaisait dans la vie. C’était bientôt l’anniversaire d’une amie. Au départ je ne voulais pas y aller. Ensuite elle m’a convaincu, en me disant que ça me ferait du bien. Je nous revoie sur le lit, en train de choisir qui de nous deux allait conduire et qui par la même occasion pourrait boire durant la soirée. Impossible de nous mettre d’accord. Et il a fallu que dans l’accident ce soit elle qui parte et moi qui reste… elle avait un avenir tout tracé. Mes parents étaient fiers d’elle. C’est moi qui aurais dû y rester… même mon envie d’apprendre le coréen, c’est grâce… c’est grâce à elle si je t’ai rencontré.
- Ne dis pas ça. Je t’interdis de dire ça. Ecoute Mélanie. Je ne te connais pas depuis si longtemps que ça. Mais je ne te reconnais pas dans la personne que tu as décrite. Je n’ai pas connu ta sœur non plus. Mais je peux te dire au moins une chose. Tu es la personne la plus forte que je connaisse. Tu t’es battu dès le début. Tu n’as pas abandonné. Tu as fait en sorte de retrouver tes souvenirs, tu as suivi ta rééducation en un temps records, tu as la volonté d’avancer, de faire les choses ! Tu te remets en question, tu as de l’empathie. Alors oui, peut-être que tu es timide mais en quoi c’est un défaut ? Non… vraiment je ne suis pas d’accord avec toi. Tu as tenu tête au manager ! Et en coréen en plus ! Ce n’est pas donné à tout le monde, crois moi…
Ce qu’il dit me surprend. Je suis touchée par ce qu’il me dit. Et sa dernière phrase me fait sourire. Oui c’est vrai ce n’était pas simple de communiquer avec leur manager.
- Tu as peut-être raison. Mais ça ne change rien au fait que je refuse de voir ma mère. Elle m’a déçu. En rentrant chez moi, je ne ferais que lui donner raison. Je suis une pauvre petite chose fragile qui a besoin d’elle parce qu’elle n’est pas capable de se débrouiller seule. Il faut que tu saches qu’Anna allait bientôt déménager. Pour lui faciliter la vie, mes parents lui avaient pris un appart plus proche de sa grande école. Et moi j’allais rester sous leur toit, seule, pendant que ma sœur prenait son envol…
Il y eut un silence, pendant lequel je réalisais quelque chose.
- A m’entendre on pourrait croire que j’étais jalouse de ma sœur. Mais c’est faux… je ne réalise tout ça que maintenant. Avant, ma sœur était pour moi un modèle, un pilier rassurant. Quelqu’un sur qui je pouvais compter. Ma confidente. Ma meilleure amie. Mais aussi mon pire ennemi. Ma sœur quoi. Ma jumelle. Et maintenant… maintenant elle est morte. Comment pourrais-je être jalouse d’une personne décédée ? C’est ridicule. Et maintenant je suis encore plus perdue qu’avant.
Jun ne dit rien. Il regarde au loin en semblant réfléchir à quelque chose.
- Ecoute Mélanie. Pour ce soir, reste ici. On verra demain comment on envisage la suite.
- Quoi ? Non. Non… je refuse de m’incruster. Je vais… me trouver une chambre pas chère dans un hôtel et je verrais ensuite. Je ne vais pas m’imposer comme ça. Je ne suis pas comme…
Il soupire avec un petit sourire avant de me couper, en ébouriffant mes cheveux d’une main.
- Mélanie, une chose que tu n’as encore pas compris… je ne te laisse pas le choix ! Et puis tu ne t’impose pas, puisque je t’invite !
Je n’ai pas le temps de répliquer. Il se lève en me tirant à sa suite jusqu’à leur appartement. Les garçons ont préparé un repas et se sont installés dans le canapé face à la télévision. La sortie de la vidéo est prévue pour 7h du matin en Corée, autrement dit minuit ici. Il ne reste plus qu’une heure.
Les garçons sont impatients ils ont attendu ça toute la journée. Jun m’explique qu’ils s’étaient mis d’accord pour sortir des vidéos à intervalle régulier, c’est pourquoi ils en ont tourné plusieurs durant les premières semaines. La première diffusion est arrivée plus tard que prévu le temps de tout tourner et de monter le projet.
Au final ils arrivent bientôt à la fin de leur mois de voyage en France et vont bientôt devoir retourner en Corée. La tournée pour leur nouvel album va bientôt débutée. Leur manager a calculé avec eux le nombre exact de vidéos qu’ils devaient tourner pour faire patienter les fans jusqu’au comeback qui aura lieu dans un mois.
Pour s’assurer de toucher un maximum de monde les vidéos seront publiés sur Vlive une plateforme coréenne mais également sur YouTube. Et pour l’occasion ils vont tester l’une des fonctionnalités de YouTube, la diffusion en direct. La vidéo va être diffusé en direct, les gens vont pouvoir la visionner et la commenter puis elle sera répertoriée et visible comme n’importe quelles autres vidéos de la chaine.
Lorsqu’on arrive dans l’appartement, les garçons nous jettent un regard et sans rien dire nous invite à les rejoindre. Je m’éclipse discrètement pour aller me passer de l’eau sur le visage et prendre le temps de souffler un coup. Puis je vais m’installer avec eux sur le canapé en essayant de faire comme si tout allait bien. Mais mes yeux rougis ne trompent personne. Je vois leur regard en coin. Mais je préfère les ignorer.
Je n’ai pas très faim, mais Jun me dépose de la nourriture dans mon bol de riz, il s’inquiète pour moi, je le vois dans son regard. Et ça me brise le cœur. Depuis que je suis entrée dans sa vie, j’ai l’impression de ne lui apporter que des problèmes. Mon regard et mon cœur sont assombrit par ces pensées négatives quand soudain les garçons s’agitent davantage.
La diffusion commence ! On découvre les premières images avec le montage réalisé par le staff. Contrairement à d’autres vidéos de groupe de kpop, celle-ci est original par la simplicité de ces images. En effet la plupart des plans ont été tourné par les membres eux-mêmes, ce sont de simples tranches de vie. J’ai davantage l’impression de découvrir un groupe de jeunes qui filme ses vacances qu’un groupe de kpop connu à l’international. Il n’y a pas le côté superficiel. C’est eux, point. Naturel. Et ça les rend humain et encore plus attachant vis-à-vis de leurs fans.
Les commentaires et les likes commencent à arriver, il y en a de plus en plus. Le fils de commentaires défile si vite qu’il est impossible de les lire. Mais les garçons sont aux anges. La vidéo dure une vingtaine de minutes. Lorsque la diffusion en direct se termine, nous remarquons la présence du manager et du seul membre du staff. Le manager s’approche et regarde les statistiques de la vidéo. Il semble satisfait.
- Mademoiselle Jourdan ?
- Oui ? dis-je surprise, qu’est-ce qu’il me veut cette fois-ci.
- J’ai visionné les images prisent cet après-midi au Trocadéro. C’est plutôt pas mal. De même que l’impact sur les réseaux sociaux.
Les garçons se taisent, ils sont attentifs.
- Vraiment ?
- Oui. J’aimerai avoir une réponse à la proposition que l’on vous a faîtes. Y avez-vous pensé ?
- Oui, j’y ai longuement réfléchis.
- Je m’en doutais. Sachez mademoiselle que j’en ai parlé avec la compagnie. Ils sont d’accord avec moi, vous avez les capacités nécessaires pour que l’on vous fasse confiance. Mais ils ont certaines conditions.
Jun et les garçons semblent surpris.
- Comment vous savez si elle a les capacités ?
- Parce qu’il m’a testé. Répondis-je.
- Tout à fait, dit-il avec un sourire et une voix plus douce que d’habitude. Toutes les fois où Jun-i m’a fusillé du regard parce qu’il me trouvait méchant avec son amie et lors de votre performance cette après-midi. J’ai voulu savoir si elle avait les capacités, les ressources nécessaires pour se lancer avec nous. Jun-i, tu m’en as beaucoup voulu et tu t’es inquiété pour Mademoiselle parce que tu trouvais que j’étais trop dur avec elle, mais je voulais voir si elle était capable de me tenir tête, je voulais être sûr qu’elle ne s’effondrerait pas au moindre problème. Lorsqu’elle a proposé cette performance, j’ai trouvé que c’était une très bonne idée. Mais je voulais qu’elle en prenne la responsabilité jusqu’au bout en l’organisant jusqu’au bout. Et le fait qu’elle ait comprit qu’elle était testée montre également qu’elle est vive d’esprit. Je suis satisfait de son travail, c’est pour ça que j’en ai parlé au directeur et il semblerait que cette idée lui ait plu.
Je suis agréablement surprise. Je ne pensais pas qu’il avait été si satisfait de mon travail. Les garçons sont ravis et me félicitent dans un brouhaha électrique. Mais il y a quelque chose qui ne m’a pas échappé dans ce qu’il a dit. Il a parlé de conditions. Quel genre de conditions ?
- De quel genre de condition vous parlez ?
Le manager fronce les sourcils.
- C’est là que ça se complique. Il va falloir que vous fassiez un choix.
Jun prend ma main et la serre. Je réponds en pressant sa main en retour. Personne ne voit ce contact, mais il me donne la force de poursuivre.
- C’est-à-dire ?
- Le directeur a bien compris qu’il était préférable pour vous de suivre les cours de votre pays mais sachant que c’est pour travailler pour une entreprise coréenne, il veut aussi que vous intégriez notre façon de faire. Pour cela vous allez devoir nous suivre sur la tournée pour voir tout ce qui est mis en place comme communication. Ce qui implique que vous allez devoir partir avec nous d’ici une semaine. J’ai bien conscience que ça implique de gros changements dans votre vie et…
C’est d’accord.
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