Cookies et combat
Il est seize heures. L’après-midi se termine, et mon estomac gronde sévèrement. Il est temps de nourrir la bête si je ne veux pas réveiller sa colère. Pas une seconde à perdre. Je me précipite vers la cuisine, ouvre la porte à la volée puis hésite entre deux placards. Au-dessus du micro-onde ou sous le tiroir à couverts ? Vite, pas de temps à perdre ! Alors j’ouvre le plus proche de moi et un nouvel obstacle, que je n’avais pas prévu, se présente : étagère du bas ou étagère du haut ? Un rapide calcul décide pour moi, puisque je ne peux pas me permettre de porter un tabouret jusqu’ici ce sera l’étagère du bas. J’y enfouis ma main sans réfléchir, inquiétée par de nouveaux rugissements, et en sors une boîte en carton rectangulaire sacrément colorée. Peu importe, le temps presse, c’est parti.
Alors que je me retourne, je découvre avec horreur que la table est chargée d’objets particulièrement malvenus. Je peste contre celui qui y a déposé un manteau, un sac, une pile de linge et des journaux. Je suis malheureusement et certainement mon propre ennemi ce coup-ci, mais l’adrénaline et l’urgence de la situation me permettent de l’ignorer. D’un geste rapide et précis du bras, je balaie tout. Se fait alors entendre un grand « paf », et la table est enfin libre. Mais le combat ne s’arrête pas là. L’air grave je tire une chaise et m’y assieds, toujours ma boîte en carton à la main. Je la pose ensuite sur le plateau, et c’est là que la véritable épreuve de cette mission se révèle : il faut ouvrir la boîte.
J’inspire profondément, étire mes doigts jusqu’à entendre une demi douzaine de craquements simultanés, et m’attaque au carton avec détermination. Assez rapidement, le sang coule alors que je défie la colle de la boîte de résister plus que moi. La colle cède, mais le carton, vengeur, me coupe la peau. Je grimace, et pourtant je refuse de m’y attarder et de me laisser intimider. Une fois, une amie m’a dit avoir lu dans un journal psychologique que j’avais une personnalité guerrière d’après ma date de naissance. Aujourd’hui, je ressens cette personnalité guerrière, je la vis, je la suis ! Alors une fois le carton vaincu, sans répit je m’attaque au plastique. Non, ce deuxième obstacle ne m’empêchera pas d’arriver à mes fins. La bête doit être nourrie, et je n’ose pas imaginer ce qu’il adviendrait de nous si j’échouais. Je saisis la matière entre mes doigts, de mes deux mains, et je tire d’un coup sec ! Le plastique craque et n’a plus d’autre choix que de me laisser le déchirer pour accéder au trésor qu’il renfermait.
Ma mission est presque accomplie. Je ne perds pas pour autant de vue mon objectif. Brusquement et fermement je saisis un cookie et l’engouffre dans ma bouche. J’active ensuite ma mâchoire, et sans pitié je croque, je mâche, je broie, puis j’avale. Et de un. Il en faut plus pour satisfaire la bête, je le sais. Alors j’en saisis un deuxième, puis un troisième. Malheureusement, je baisse ma garde, si proche du but et persuadée d’avoir remporté la victoire. Le troisième cookie se défend. Alors que je le mâche, une vive douleur envahit ma joue droite et le sang coule. Il m’a mordu, le vaurien ! Le goût de fer se mêle au goût du sucre, je grimace à nouveau. Quel dommage, jusqu’ici tout s’était si bien déroulé ! Pourtant il faut passer outre, et continuer. Je reprends ma mission, je mâche, et j’avale. Pour prendre ma revanche, et être certaine de calmer la bête jusqu’au soir, je m’empare un quatrième biscuit, que je prends soin de mâcher du côté gauche de ma bouche. Et je me méfie : on ne m’aura pas deux fois. Celui-ci est plus discipliné, et se laisse faire sans broncher. Je déglutis, et il part à son tour nourrir la bête. Je souris, satisfaite. Le combat est à nouveau gagné, la bête s’est tue, tout est paisible. Je soupire de bonheur et quitte la table pour retourner m’installer dans le salon afin de me remettre de mes émotions.
Je fais à peine quelques pas, et soudain, mes pieds heurtent quelque chose et trébuchent. Je parviens à reprendre mon équilibre avant qu’il ne soit trop tard, et je constate avec mécontentement que le manteau, le sac, le linge et les journaux sont toujours là. Bougonnant, je me baisse pour les ramasser, puis, ne sachant qu’en faire, je les empile sur la table. Ce sera une épreuve pour un autre moment, une bataille à la fois.
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