9. ANDRE
Depuis maintenant vingt ans, Maria fait partie intégrante de cette fête de Noël qu’André a, petit à petit, réappris à apprivoiser. Les premiers réveillons sans Sarah ont été une véritable torture. Même si sa fille ne croyait plus au Père-Noël depuis longtemps, même si la soirée ne revêtait plus la magie de l’enfance, le simple souvenir des moments passés suffisaient à arracher le cœur d’André. Partout, le visage de Sarah s’étalait : chaque lumière qui pulsait au creux du sapin lui rappelait la flamme qui brillait dans ses yeux. Chaque clochette qui tintait, lorsque par inadvertance, son bras accrochait une branche, le ramenait à ses éclats de rire.
Noël est une fête pour les enfants ! Elle n’a aucun sens sans eux. Les voir s’émerveiller devant un sapin décoré, contempler leur sourire dans le reflet des boules, les entendre s’extasier devant leurs cadeaux et entendre le papier se froisser sous l’assaut de leurs mains, procure ce précieux sentiment de magie. Mais un Noël sans enfant ressemble à un vase sans fleurs, une guitare sans cordes, un corps sans âme.
André regarde Maria. Il l’envie parfois. Pour tous ces moments qui le ramènent incontestablement à son rôle de parent. Ceux que Maria n’a jamais connus et qui, par conséquent, ne peuvent pas lui manquer. Dans son esprit à lui, ils restent tous intacts et lui procurent une terrible souffrance.
Tout en l’observant, il se trouve égoïste : le manque de ce qui a un jour apporté le bonheur est-il plus douloureux que l’absence totale ?
Il connaît les raisons du choix de son amie et l’ampleur de ses regrets. Il sait aussi que chaque souvenir qu’il lui a confié s’est implanté dans son propre cœur au point que l’inconnu se soit transformé en quelque chose de familier pour elle. Alors, petit à petit, tous ces fragments de vie ont pris place dans son esprit au point de devenir ses souvenirs à elle aussi. Du moins, des placebos.
Il s’approche du bar d’où Maria et Nathalie sont installées pour préparer leur dîner, et leur propose son aide.
— Tu peux nous servir un verre ?
Le champagne a été remplacé par un cocktail de fruits frais. Les femmes respectent son abstinence et la partagent lorsqu’elles se trouvent avec lui. Plus qu’à Noël, ils trinquent à leur amitié, celle qui les a aidés à avancer dans leur vie chaotique et à panser leurs plaies. Ils ne mangeront donc pas de dinde ni de bûche et ne s’offriront pas de cadeaux, le regard qu’ils posent les uns sur les autres en dit bien plus que n’importe quel présent. Des traditions de fin d’année, ils ne gardent d’ailleurs rien d’autre que la messe de Minuit qu’André se refuse à manquer.
Plus tard dans la soirée, après être rentrés de l’église et que Nathalie se soit couché, André s’approche de Maria deux tasses d’infusion à la main.
— Tu m’en veux pour Vannes ?
— Est-ce que je serais là si c’était le cas ?
André sourit.
— On n’a jamais su s’en vouloir…
— Parce qu’on fait l’un pour l’autre ce qui est nécessaire. Un vrai ami ne te dit pas ce que tu veux entendre, il te bouscule et te met le nez face à tes contradictions…
— Alors, tu vas l’écrire ce roman ?
— Oui, même si ça me remue les tripes. Je me demande juste à quoi bon ? Ma fille ne sait pas qui je suis, peut-être ne lit-elle même pas mes bouquins !
— Certes, mais au moins tu auras laissé ta version et crié au monde entier combien tu l’aimes. Rien que pour ça, tu mériteras enfin d’être en paix avec toi-même.
— Si j’avais su…
— On ne peut pas revenir en arrière Maria, mais tu as un pouvoir exceptionnel, celui de savoir écrire. Alors, fais-toi confiance, et libère enfin ces mots qui t’étouffent.
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