Chapitre 15
J'ouvris les yeux et fixai le radio réveil à mes côtés : 15 heures passées. En fixant mon attention sur l'horaire inscrit en rouge, un sentiment de déjà vu m'envahit. Je réalisai que le coup de fil de ma mère m'avait réveillé la semaine dernière à la même heure. Il s'en était passé des choses en si peu de temps !
Je repensai à Olympe, malgré moi. À cette manie qu'elle avait de mordiller le bout de son crayon avant de se pencher sur son cahier. À cet écouteur qu'elle laissait pendre le long de son cou. À ses grands yeux bleus qui me fixaient comme s'ils voulaient me parler.
Je la revoyais si droite et mature devant le micro à l'église. Elle avait su adoucir notre peine par des mots simples mais remplis de tendresse.
Je la revoyais si fragile à mes côtés lorsqu'elle m'avait confié ce qui la rongeait. Qui adoucira sa peine à elle lorsque son tour sera venu de dire adieu à sa mère ?
Je restai ainsi, les yeux fixés sur les deux points rouges qui clignotaient au même rythme que la trotteuse dans mon salon. Le temps passait de manière inéluctable, et moi je ressassais. L'alcool ne m'avat rien fait oublier. Pourquoi étais-je donc incapable de penser à autre chose qu'au sort de cette gamine ?
Je me levai sans entrain, un peu nauséeux et allai chercher une bouteille de coca dans le cellier. Chaque lendemain de cuite, je me disais qu'il fallait que j'arrête de me mettre la tête à l'envers et l'estomac en vrac. Mais, chaque fois, les silhouettes des bouteilles m'aguichaient, me susurraient les mêmes promesses jusqu'à ce que je succombe, incapable de résister à leur appel.
J'avais pourtant détesté l'alcool la première fois que j'en avais goûté. C'était avec ce couillon de Peter. Il m'avait réveillé en pleine nuit. « Hé Niktor ! » Ça le faisait marrer d'écorcher nos prénoms.
« — Mate un peu ! Quoi ?
Il m'avait tendu une vieille bouteille d'Armagnac.
— J'ai trouvé ça dans l'atelier de ton vieux.
- Qu'est-ce que tu foutais là-bas ?
- On s'en bat les steaks. T'en veux ?
- Ben non.
- T'es vraiment qu'un blaireau toi.
- Pourquoi ? Parce que je suis pas aussi con que toi ?
Au lieu de me casser la gueule, il avait ricané. A croire qu'il aimait quand je l'insultais. C'était vraiment qu'un bouffon ! Il avait dévissé le bouchon et bu au goulot.
— Ah, la vache ça dérouille ! À toi !
- J'en veux pas.
- Arrête de faire ta gonzesse.
Je l'avais toisé tandis qu'il me tendait la bouteille, son air d'abruti au coin des lèvres. C'était pour lui fermer son clapet que j'avais porté l'alcool à ma bouche.
— Oh comme t'y vas ! J't'ai peut-être sous-estimé » m'avait-il lancé, surpris par ma témérité.
Et tandis que je toussais pour me libérer de cette lave qui brûlait mes entrailles, Peter s'était enfilé une autre longue gorgée. Il m'avait assuré que la seconde lampée était moins violente. J'avais pas eu envie de vérifier. »
Jusqu'à ce que le fantôme de Rave n'en finisse plus de me hanter.
Ne plus penser à elle ni à la gamine, c'était pas le deal ?
Il fallait que je m'active au lieu de ressasser toujours les mêmes histoires. Rave ne reviendrait pas et rien ne me liait à cette gamine. Ce n'était pas mon rôle de l'aider. A la mort de sa mère, elle irait sûrement dans une autre famille jusqu'à sa majorité et après...et bien...elle continuerait sa vie comme tous les autres avant elle. Elle s'en sortirait. Ou pas. C'était pas mon problème.
Je bus un autre grand verre de coca et attrapai mes clés. Faire les courses ! C'était ça la priorité du moment.
**
J'avais fait le plein de provisions. Quelques bouteilles de rhum et de whisky, mais aussi toutes sortes de produits que je n'avais pas pour habitude d'acheter. Je voulais reprendre ma vie en main.
Je laissai sur le plan de travail les poivrons, les courgettes et le gingembre dans l'intention de préparer un wok et allumai l'ordi pour checker les nouvelles offres d'emploi. L'une d'elle attira mon attention : menuisier. Je pensai immédiatement à mon grand-père, à ces heures passées avec lui dans son établi, à l'odeur du bois dont la sciure tapissait le sol d'un duvet blond. Mon expérience dans le bâtiment et les cuisines joueraient peut-être en ma faveur. Il ne me coûtait rien de tenter ma chance. J'envoyai aussitôt un mail.
Satisfait de moi, je lançai Deezer et sortis la planche à découper. Tandis que les musiques choisies par la lecture aléatoire emplissaient ma cuisine, j'éminçais mes légumes pour les faire sauter dans l'huile chaude. Je sifflotais, le cœur léger. L'âme de mon grand-père m'avait revigoré et soufflé la voie à emprunter. Je ne m'étais pas senti aussi serein depuis des jours. C'était peut-être ça la clé de la victoire sur moi-même : arrêter de penser que ma vie était liée à tous ces gamins que j'avais croisés et, suivre mon propre chemin.
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