Chapitre 8
Je ne sais combien de temps s’était écoulé depuis mon échange avec Hector. Les yeux rivés sur le visage de ma mère, je guettais le moindre rictus qui témoignerait de la douleur qu’elle ressentait. Mais, elle gardait un visage serein en dépit de sa peau jaunie et des cernes qui auréolait ses yeux. Le médecin nous avait prévenues, elle dormirait le plus clair de son temps. Elle avait, au cours de ses derniers jours, tenté de résister à ce sommeil de plomb qui l’attirait dans ses bras cotonneux en entrouvrant régulièrement ses paupières. Alors, elle me souriait, de ce sourire qui, à mesure que le temps passait, me tordait le coeur de douleur.
Aujourd’hui, ses paupières restaient soudées. Malgré les mots murmurés au creux de son oreille. Malgré la pression de mon pouce sur sa main. Une angoisse creusa son nid au fond de moi. Me regarderait-elle encore au moins une fois ? M’adresserait-elle seulement ce sourire qu’elle s’acharnait à m’offrir chaque fois qu’elle posait les yeux sur moi ?
Je fermai les yeux et laissai le noir se recouvrir du souvenir de son visage radieux. Celui d’avant la maladie. J’en suivis mentalement les contours. Ses longs cheveux couleur miel qui brillaient dans l’herbe verte. Sa peau blanche, légèrement hâlée l’été, et ses yeux bleus qui luisaient comme deux puits d’eau claire. Et, son unique fossette qui creusait sa joue droite lorsqu’elle souriait. Je plissai davantage les yeux, comme pour graver ce souvenir encore intact au creux de mes rétines. J’avais trop peur d’oublier ! Peur d’oublier les nuances de blond dans ses cheveux, les petits plis autour de son œil lorsqu’il s’étirait. Peur d’oublier cette marque qu’elle s’acharnait à camoufler de ses mèches et que je suivais des doigts sans jamais oser la toucher, lorsqu’elle dormait. Peur d’oublier combien elle resplendissait malgré le passé qu’elle cachait, combien chaque parcelle de sa peau s’était illuminée chaque fois qu’elle souriait.
En les rouvrant, mes yeux s’accrochèrent à cette version plus sombre de cette Maman autrefois si lumineuse. Ouvre les yeux. Maintenant. S’il te plait.
La porte s’ouvrit lentement tandis que je retins in extremis le sanglot qui m’étranglait en même temps que mon souffle. Après une seconde d’hésitation, je me retournai. Marianne referma la porte aussi doucement qu’elle l’avait ouverte et s’approcha de moi pour poser sa main sur mon épaule. Elle resta figée un instant à regarder ma mère dormir paisiblement puis je l’entendis prendre une longue inspiration qu’elle souffla douloureusement.
Caroline fit son entrée et salua Marianne avant de se rapprocher du lit de ma mère pour vérifier ses constantes.
— Tu me dis quand tu es prête à partir, chuchota Marianne.
Caroline se retourna vers moi et me scruta.
— Vas-y ma belle, je m’occupe d’elle.
— Elle...elle n’a pas ouvert l’œil…
— Elle dort. Rentre manger, te doucher, te reposer un peu. Si elle se réveille, je lui dis que tu reviens.
À contre-coeur, je me levai et m’approchai de ma mère pour lui déposer un baiser sur le front. Je m’attardai un peu, tentant de retrouver l’odeur sucrée de sa peau de pêche. La fragrance m’échappait déjà. D’une voix à peine audible, je lui murmurai « Attends-moi. »
Hector nous attendait devant l’entrée du bâtiment. Je passai à côté de lui sans le regarder. Au fond de mes yeux, la colère noya ma tristesse. Les rues défilaient ainsi que les maisons, les écoles, les passants. Autant d’éléments qui se succédaient inlassablement devant mes yeux chaque jour sans que j’y prête réellement attention. La seule chose dont j’avais conscience, c’était le regard que me lançait Hector, de temps à autre, à travers le rétroviseur.
Lorsque nous arrivâmes chez Marianne, Hector lui ouvrit la portière et l’aida à descendre puis il déverrouilla la porte d’entrée. Je restai encore un peu à l’intérieur de l’habitacle, anxieuse à l’idée de me retrouver de nouveau face à lui. Pourquoi avais-je accepté de rentrer à ses côtés tandis que ma mère avait besoin plus que jamais de ma présence auprès d’elle ?
— Olympe ?
Marianne me questionnait du regard. Je pris une longue bouffée d’air et me résignai à entrer.
— Tu veux aller te doucher ? me demanda t-elle.
J’acquiesçai.
— Oh et si tu prenais un bon bain bien chaud ? Tu as le temps, le gratin ne sera pas prêt avant trois quarts d’heure.
Je montai, tournai le robinet de la baignoire et tandis que l’eau coulait, je toisai mon reflet dans le miroir. Mes cheveux gras pendaient de chaque côté de mon visage blême, ce qui accentuait l’allure fantomatique que je m’étais toujours trouvée. Je ne ressemblais pas aux jeunes filles de mon âge, qui se pavanaient dans les couloirs du lycée, les cheveux gonflés, le teint lumineux et hâlé, les ongles manucurés, sûres d’elles et de leur beauté. Moi, j’étais juste...moi. De longs cheveux raides, châtains ternes. Des yeux particuliers, à mi chemin entre le vert et le marron, et une peau pâle presque blafarde. Une silhouette élancée, sans formes, que je tentais désespérément de cacher sous des sweats et des chemises amples. Je repensai à ma mère. Je lui ressemblais, avais-je toujours entendu dire. Je ne trouvais pas, moi. Il ne se dégageait de moi ni chaleur ni aura. Si je lui ressemblais alors je n’étais et ne serai jamais qu’une pâle et triste version d’elle.
La chaleur du bain me fit somnoler et fureter de souvenirs en souvenirs. Quand Marianne toqua à la porte pour savoir si tout allait bien, l’eau avait refroidi. Je la rassurai puis sortis de la baignoire et m’épongeai avant de passer des vêtements propres et frais.
Hector était déjà à table, attendant patiemment que Marianne et moi nous installions. Le gratin eut raison de mon manque d’appétit et après deux longues bouchées que j’avalais difficilement, je fis honneur au plat. J’aidai ensuite Marianne à faire la vaisselle puis elle me demanda si j’étais d’accord pour qu’elle se repose un peu avant de retourner à l’hôpital au chevet de ma mère.
— Bien sûr Marianne, je vais peut-être me reposer un peu moi aussi…
— C’est une bonne idée, tu es vraiment pâle. Tu es ici pour reprendre des forces alors oui repose toi, ta mère n’aimerait pas te savoir si affaiblie.
Sur ces mots, elle me caressa la joue et se retira dans sa chambre. J’avisai l’escalier qui menait à la mienne. Je n’avais pas envie de me retrouver là-haut. J’avançai vers le salon, décidée à somnoler devant un film ou une série, n’importe quoi qui puisse couvrir le silence assourdissant de mes pensées brumeuses. Je me figeai en découvrant Hector assis dans le canapé, les pieds posés sur la table basse. Alors que je reculai, je l’entendis dire :
— Reste.
Je n’en avais aucune envie. Il dégagea ses pieds et se décala pour me laisser de la place. Je m’avançai lentement et me pelotonna contre l’accoudoir du canapé en installant un plaid sur mes genoux. Puis je fermai les yeux pour lui signifier mon intention de dormir. Ce que je ne parvins évidement pas à faire. Je sentais son regard posé sur moi et cette simple sensation me brûla. J’entrouvris un œil. Merde !
— Comment tu vas ? me demanda t-il.
Qu’est-ce que ça pouvait bien lui faire ?
Je le toisai, il baissa les yeux et se racla la gorge.
— Euh tu sais, je…
— …
Il ne dit rien de plus. J’en profitai pour refermer les yeux.
— Comment va t-elle ?
Mes yeux se rouvrirent brusquement et se braquèrent sur lui.
— Ta...mère ?
Ma mère. Rave. Ton amour de jeunesse !
— Pourquoi tu ne vas pas t’en rendre compte toi-même ?
J’avais parlé vite. Sur un ton plus cassant que je l’aurais voulu. Il se leva et se posta devant la baie vitrée, le regard perdu dans la quiétude du jardin. Je voyais ses mâchoires se contracter. Ma question resterait rhétorique. Lasse, je me levai du canapé.
— C’est tellement…
Sa voix me retint.
— Elle est morte il y a dix-sept ans Olympe. Brûlée vive avec sa mère dans l’incendie de leur maison. Morte. Sans moi. Pourtant je suis mort aussi ce jour là.
Il avait dit ces derniers mots presque tout bas. Je me retournai et m’approchai de lui.
— Je ne sais pas ce qu'il s’est passé et on ne le saura sans doute jamais mais elle n’est pas…elle est encore vivante et je crois qu’elle t’attend.
Il tourna son visage vers moi, un visage grave surmonté d’un regard rempli de larmes.
— Tu me demandes donc de venir la voir mourir une seconde fois. Olympe ? C’est bien ça que tu me demandes ?
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