Chapitre 12
Le cimetière s’était vidé des quelques personnes venues nous accompagner jusqu’à la « mise en terre ». Marianne leur avait proposé de leur offrir un café mais elles avaient eu la délicatesse de refuser et, après des regards de compassion, quelques mains posées sur nos épaules, chacun s’en était allé de son côté. Seuls Hector et moi étions restés. Nous fixions le caveau provisoire dans lequel était placé le cercueil de ma mère. Je détaillai les quelques fleurs qui en recouvraient la surface. Des bouquets de rose, de lys dans les tons blancs ou poudrés. C’était beau, discret et doux, à l’image de Maman. J’eus le sentiment que tout le monde savait parfaitement qui elle était et ce constat me serra le coeur.
Mon regard se déplaça sur la plaque que Marianne et Hector avaient fait faire. Une plume blanche était gravée dans le marbre au-dessus d’une inscription « Une plume d’ange s’est posée là où, près du ruisseau, elle rêvait. »
— Merci, soufflai-je à Hector d’une petite voix. Pour tout ça.
— Merci à toi de m’avoir donné l’occasion de la revoir une dernière fois.
— Alors tu ne lui en veux pas ?
Il garda le silence un moment.
— C’est dur de savoir qu’elle était là, quelque part, durant toutes ces années. Je ne m’y fais pas.
Je baissai les yeux. C’était tellement injuste.
— Mais elle aurait pu ne jamais revenir, je n’en aurais jamais rien su. Au lieu de ça, elle a choisi de rentrer ici, pour toi, au risque de mourir en sachant que je ne lui pardonnerais pas. Alors, non, je ne lui en veux pas.
Je le regardai, surprise. Je ne m’y attendais pas.
— Il y a sans doute une raison à tout ça, dis-je d’une voix trahissant un faible espoir.
— Sûrement...
Nos yeux se reposèrent sur les lettres gravées.
— Et maintenant ? demandai-je.
— Maintenant, c’est toi et moi.
**
Nous avions instauré une nouvelle routine depuis l’enterrement de Maman. Hector partait travailler, repassait chez lui le soir pour se doucher puis revenait ici prendre le repas et dormir. C’était réconfortant de nous retrouver pour manger tous les trois. Ensuite, nous allions nous installer dans le salon avec nos infusions avant de terminer la soirée à deux à se raconter des anecdotes sur Maman. Il me parlait d’elle avec beaucoup de poésie et, j’avais l’impression qu’à ces moments là, il reprenait vie. Quant à moi, je lui racontais la femme qu’elle était devenue, sa tristesse cachée derrière tous ses sourires. Il écoutait attentivement, un pli au creux des sourcils, prenant le temps de se figurer toutes ces années qu’elle avait passées à penser à lui.
Ce qui était plus difficile c’était de passer la journée. Je ne savais pas à quoi me mettre. Je n’avais aucune envie, même pas celle de dessiner. Encore moins celle de réviser. Marianne se pliait en quatre pour moi, elle cuisinait, pâtissait, elle me surprotégeait. Je lui étais reconnaissante de tout ce qu’elle faisait pour tenter de me réconforter mais elle ne pouvait pas combler le vide de mon coeur. Hector était le seul à pouvoir le faire parce qu’on parlait le même langage lui et moi. Il m’apportait les pièces manquantes de la vie de ma mère et moi j’en faisais de même. Les seuls moments où je me sentais apaisée lorsque je me retrouvais seule, c’était lorsque j’allais m’étendre au bord du ruisseau. Je m’allongeais puis je fermais les yeux et écoutais. Le doux bruissement des feuilles causé par une légère brise, le clapotis de l’eau et le chant lointain des oiseaux. Je me sentais en paix. Sans doute parce que, d’une certaine manière, cet endroit nous réunissait tous les trois.
Après le repas du midi, Marianne me proposa de l’accompagner chez Martha. Elles se retrouvaient une fois par mois, chez l’une ou chez l’autre pour trier des vêtements qu’elles collectaient en faveur des plus démunis. Elle savait que j’en aurais pas envie mais elle ne voulait pas me laisser seule et pensais sans doute que m’occuper éviterait à mon esprit de ressasser.
— Je vais aller rendre visite à Caroline. Je voudrais la remercier de tout ce qu’elle a fait pour Maman, et aussi pour être venue à l’enterrement, lui répondis-je.
— D’accord. Tu veux que je te conduise ?
— Non, je vais prendre le bus t’en fais pas.
Elle me dévisagea un instant, hésitante.
— Ne t’inquiète pas pour moi Marianne. Je fais l’aller-retour et je reviens.
Elle me laissa partir à contre-coeur.
Je marchai jusqu’à l’arrêt de bus et patientai jusqu’à l’arrivée du car, un écouteur dans l’oreille, l’autre retombant sur ma poitrine. Hector m’avait créé une nouvelle play-list, pour me changer les idées, m’avait-il dit. Et ça fonctionnait. Ces musiques m’emmenaient vers de nouvelles contrées, loin de mes souvenirs encore à vif.
En entrant dans l’hôpital, je me sentis comme étrangère. Ce lieu avait été, pendant plusieurs semaines, comme un second foyer. Je savais que ma mère m’y attendait et que des visages familiers accueilleraient ma venue de sourires chaleureux. Aujourd’hui, j’avais le sentiment d’entrer dans un endroit dans lequel je n’avais plus ma place. J’avançai comme le fantôme que j’étais. Invisible, insipide.
D’un pas hésitant, j’entrai dans le service de soins palliatifs et allai à la rencontre de Dimitri qui sortait tout juste d’une chambre.
— Olympe ! Comment tu te sens ma belle ?
Les sourires chaleureux avaient laissé place à des regards inquiets.
— Pas trop mal, répondis-je en haussant les épaules. Je cherche Caroline…
— Elle est dans la salle de pause, vas-y, il n’y a plus qu’elle.
Je le remerciai et avançai vers la pièce indiquée. La porte était entrouverte.
— Mais enfin Pierre, je ne peux pas ! Annule de ton côté… Et bien moi non plus… Tant pis je vais me débrouiller. C’est ça, salut !
Elle raccrocha en laissant échapper un juron et changea de tête en me découvrant.
— Oly !
— Salut. Ça ne va pas ? lui demandai-je soucieuse.
— C’est plutôt à toi qu’il faut demander ça.
— Bof…
Elle s’avança vers moi et me serra dans les bras.
— Qu’est-ce qui t’amène ici ?
— Je voulais te remercier pour Maman, pour ta présence à l’enterrement.
Elle balaya mes propos d’un geste de la main.
— Y’a pas de quoi, c’est normal.
— Tu es toujours comme ça avec tes patients ?
— Comment ?
— Aussi attentionnée, prévenante et chaleureuse.
Elle rougit en souriant.
— J’essaie mais j’avoue que c’est plus naturel avec certains patients qu’avec d’autres. Ta Maman et toi c’est...je ne sais pas l’expliquer. Cette force que vous dégagiez toutes les deux ! C’est tellement injuste la vie.
— Tu nous as fait beaucoup de bien, autant à Maman qu’à moi. T’avoir près de nous pendant ces longues et douloureuses semaines, c’était...ça faisait chaud au coeur.
— Merci Olympe de venir me dire tout ça.
Son téléphone émit un petit sifflement. Un message sûrement. Elle le consulta et le remit illico dans la poche de sa blouse.
— Un problème ?
— Oh ! T’en fais pas !
Je la fixai de mon regard insistant.
— Je suis de garde ce week-end. C’est mon mari qui devait garder ma fille mais il a un séminaire. On ne s’est pas compris sur nos dates.
— Tu veux que je la garde moi ?
— Quoi ? Non ! Je vais me débrouiller.
— Ça ne me dérange pas, ça m’occupera.
Elle me fixa d’un air grave.
— Enfin...tu ne me connais pas plus que ça, je...voulais juste aider, je comprends que ce ne soit pas facile de laisser son enfant comme ça à une inconnue.
— Non, c’est pas ça, c’est adorable, je suis sûre que tu ferais une super baby-sitter mais…
— Je dois aller de l’avant, n’est-ce pas ? Garder ta fille ça me changera les idées. Les enfants, c’est la vie, non ?
Elle me sourit.
— D’accord. Merci. Vraiment.
— De rien. Tu t’es occupée de ma mère pendant toutes ces semaines, je peux bien te rendre la pareil le temps d’un week-end.
**
Je rentrai en fin d’après-midi. Après l’hôpital, j’avais erré au milieu du parc et regardé les enfants jouer. Oui, les enfants, c’était la vie ! Leurs rires résonnaient encore dans mes oreilles lorsque je passai la porte d’entrée. Marianne me sonda mais resta silencieuse. Je lui souris.
— Tu veux de l’aide ?
— Volontiers. Je prépare de la béchamel pour des lasagnes.
— Ok, tu veux que je fasse la bolo ?
— D’accord.
Elle retourna à sa casserole, un léger sourire au coin des lèvres. Nous nous activions en silence, en nous jetant des regards complices de temps à autres.
Lorsqu’ Hector rentra, nous procédâmes au même rituel que d’ordinaire. Dîner, infusion, échanges de souvenirs. Mais Hector me semblait nerveux, ailleurs.
— Ça va ?
— Ouais.
— Ça a pas l’air.
Il resta silencieux un moment, les sourcils froncés, évitant de me regarder puis il tira une feuille de la poche de son jean et me la tendit d’une main légèrement tremblante.
— Qu’est-ce que c’est ?
Il ne me répondit pas, scrutant ma réaction. Le papier en question s’adressait au Juge des affaires familiales. Les mots « reconnaissance de paternité » furent les derniers que je vis avant que l’eau n’entrave ma vision.
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