Chapitre 15
Le silence m'étreignit lorsque je rentrai. Les rires et les babillages d'Eva laissèrent place à un sentiment de quiétude que je pris plaisir à retrouver. Le soleil diffusait ses rayons sur les meubles en chêne, leur donnant une couleur de miel d'été dans laquelle se reflétaient les silhouettes vaporeuses de Marianne et d'Hector. C'était bon de rentrer à la maison.
Je traversai les différentes pièces à la recherche de Marianne. Elle s'affairait dans sa chambre devant des vêtements empilés sur son lit.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Oh bon sang, tu m'as fait peur !
Elle rit, la main posée sur le cœur.
- Je trie les vêtements de Francis, me répondit-elle.
- Pourquoi ?
- Pour ma collecte de vêtements.
- Pourquoi ? répétai-je sur un ton plus aigu.
- Je ne vais pas garder tout ça éternellement. D'autres en ont tant besoin...
- Mais ça peut attendre !
- Pourquoi ?
C'était elle qui me questionnait à présent.
- Je crois moi, que c'est justement le bon moment, conclua t-elle en enfouissant une chemise dans un grand sac jaune.
Je ne répondis rien.
- Hector m'a dit qu'il t'avait proposé d'aller habiter chez lui ?
- Oui.
- C'est super.
- Ce n'est pas encore fait.
Marianne s'arrêta de plier et me scruta.
- Tu n'en as pas envie ?
- Je ne sais pas trop... C'est que je suis bien ici. On a notre routine tu vois.
Elle sourit, visiblement rassurée.
- C'est bien aussi de casser la routine.
- Oui mais pour le moment elle me rassure. Savoir qu'en me levant, je vais te trouver dans la cuisine, une tasse de café à la main, qu'il va rentrer le soir et que nous allons passé la soirée ensemble tous les trois, ça me fait du bien.
- Je comprends. Reste aussi longtemps que tu le voudras. Il comprendra aussi ne t'en fais pas.
- Tu veux que je t'aide ? lui demandai-je en m'approchant de l'armoire.
- C'est gentil mais j'ai presque fini. Oh sinon regarde un peu dans les tiroirs, il doit y avoir plein de babioles. On va les trier aussi.
J'ouvris le premier tiroir et tombai sur des vieilles photos mélangés à des cartes postales et d'autres courriers. Je laissai de coté les correspondances pour me concentrer sur les clichés que j'avais dans les mains. Différents gamins fixaient l'objectif, sans doute les enfants qu'avaient accueillis Marianne et Francis au fil des années. Je reconnus facilement Hector au froncement qui se formait entre ses sourcils. Voir qu'il arborait déjà cette mine contrariée me fit sourire. Sur une autre photo, ce même Hector posait aux côtés de ma mère. Ni l'un ni l'autre n'avait conscience d'être pris en photo. C'était un de ces instantanées de vie qui, ainsi capturé, brillait d'amour et de tendresse.
- Prends la, me proposa Marianne.
- Merci.
J' enfouis la photo dans la poche de mon jean et ouvris le second tiroir. Un tas d'objets du plus futile au plus encombrant en recouvrait l'intérieur.
- C'est quoi ça ?! demandai-je, en tenant du bout des doigts une espèce de petit marteau fait de lames de bois qui vibraient sous les dents d'une roue autour de laquelle elles tournaient.
- Ça, ma chérie, c'est une crécelle. Les enfants de choeur l'utilisaient pour annoncer les offices en remplacement des cloches. Plus tard, on s'en servait comme d'un jouet.
- Vous jouiez avec ça ? Mais c'est insupportable !
Marianne s'esclaffa.
- D'où l'expression « avoir une voix de crécelle », m'expliqua t-elle. Tiens, vide tous ces tiroirs dans ces ce bac, on va faire le tri en bas.
**
Lorsqu' Hector rentra, nous étions encore attablées devant un désordre sans nom. Marianne m'avait expliqué la fonction de certains objets qui étaient pour moi, de véritables antiquités.
- Qu'est-ce que vous fabriquez ? demanda Hector surpris.
- Du tri, répondit Marianne.
- Hein ? Vous êtes sérieuses ? Vous avez vu le bordel ? Trier ça sous-entend pas ranger un minimum ?
- Oh quel rabat-joie ! me souffla Marianne tout en m'adressant un clin d' œil.
Hector lorgnait les babioles étalés devant nous avec une curiosité qu'il peinait à dissimuler. Enfin, il s'installa et parcourus les objets du bout des doigts.
- Oh mon sifflet ! s'écria t-il. Je croyais que je l'avais perdu dans les dunes. Tu te rappelles M'man, je me l'étais acheté avec les sous que Martha m'avait donnés.
- C'est vrai, dit-elle. Moi je me rappelle surtout que tu avais fait le tour du quartier chaque jour après ça, pour demander aux voisins s'ils n'avaient pas besoin d'aide pour tondre.
Ils s'esclaffèrent. Puis Hector attrapa un vieux zippo.
- Ah et ça c'était à ce couillon de Peter.
- Hector !
- À Peter, se reprit-il. Il le faisait toujours valser entre ses doigts pour se donner un style. Mais il avait un mal de chien à le faire fonctionner. La flamme jaillissait quoi ? Une fois sur cinq ?
Comme pour illustrer ses propos, il ouvrit le briquet et actionna la molette trois fois avant que la flamme surgisse. Il répéta son geste plusieurs fois, ce qui donna toujours le même résultat.
- Et ça tu te rappelles ? l'interrogea de nouveau Marianne.
- Le leurre de pêche en bronze, ria t-il. C'était pour quoi vos dix-huit de mariage ?
- Vingt-deux ans !
- Jamais vu un cadeau aussi nul.
- Ben, il aimait la pêche, se défendit-elle.
Hector s'étouffa presque devant la soudaine candeur de sa mère. Et moi, je les regardais s'échanger leurs souvenirs avec tant de joie et de complicité qu'une vague de chaleur enroba mon cœur.
C'était si bon de rentrer à la maison.
Annotations
Versions