Chapitre 14
— Hector ! Je savais que tu viendrais. Entre !
Je ne reconnaissais pas la gamine qui était entrée dans ma vie quelques semaines plus tôt. Elle portait un jean serré, déchiré aux genoux, et une espèce de T-Shirt trop court qui dévoilait son nombril. Ses cheveux, habituellement détachés, étaient noués en un gros chignon dégageant son visage bien trop maquillé.
— Oly ! Qu’est-ce que tu fous ?
Une fureur diabolique luisait dans ses yeux.
— Je lisais une histoire à notre cher corbeau. Oh mais tu n’as rien loupé ! Allez, viens ! Je vais te le présenter.
Elle parlait fort, avec une excitation exagérée. J’avançai malgré moi dans le salon, tiré par la poigne ferme d’Olympe. Un homme recroquevillé sur une chaise, les mains manifestement liées dans son dos, ne laissait apparaître de lui qu’une brillante chevelure noir de jais, striée par une longue trainée blanche.
— Je te présente Valraven ! « L’affreux corbeau au coeur de pierre. »
Elle avait articulé cette dernière phrase en insistant davantage sur le premier et le dernier mot. J’écarquillai les yeux et me revis, quelques instants plus tôt, le doigt planté sur la sonnette au-dessus du nom des propriétaires : « Caroline et Pierre Lefreux »
— Allez Pierre ! Dis bonjour à Hector.
L’homme releva la tête, plongeant son regard noyé de terreur dans le mien. Ce n’est qu’à cet instant que mon monde s’écroula pour de bon.
J’avais tenu bon en apprenant que Rave était toujours vivante. J’étais resté droit en la regardant mourir une seconde fois. J’avais accueilli la nouvelle de ma paternité avec philosophie. L’annonce du viol de Rave avait fait voler en éclats mes derniers espoirs pourtant, j’étais encore debout à chercher comment sauver une jeune fille qui ne resterait pour moi qu’un rêve brisé.
Mais la vérité qui se dévoilait devant moi était encore plus atroce et acheva de détruire l’once d’humanité qu’il restait encore en moi.
Pierre…
Ce prénom tourbillonnait dans ma tête au milieu de vieux souvenirs. Les lettres se mouvaient, cherchant la place qu’elles avaient toujours eues dans ma réalité.
Peter...
Je le dévisageai, cherchant à superposer le souvenir de ce connard d’ado à l’image de cet homme défiguré par l’incompréhension. Son regard, autrefois luisant d’assurance, ne brillait plus que de terreur. Sa gueule d’ange était salement amochée, zébrée par une large cicatrice qui étirait son œil, cherchant à lui faire suivre le sentier gravé dans son crâne. Il n’avait visiblement plus rien en commun avec ce couillon qui avait pourri la maison de son empreinte malfaisante.
— Comment…. ? balbutiai-je.
— Comment j’ai compris ? C’est pas si difficile en fin de compte. Ça tient parfois à de vieilles photographies et quelques fautes d’orthographe.
Pierre Lefreux ! « L’afreux corbeau » avec un seul « f ».
— J’ai passé mes journées à relire le carnet de ma mère dans l’espoir de dénicher ce qui se cachait entre les lignes. Mais Maman avait pris grand soin de préserver son secret tout en faisant mine de le dévoiler. C’est sans compter sur la vie et son facteur chance…
Olympe allait et venait d’un bout à l’autre du salon comme une enseignante qui explique sa leçon d’histoire.
— Tu ne trouves pas que la vie est sacrément bien foutue ?
Ben non...
— Combien de chances j’avais de croiser la route de Caroline ? Une simple infirmière qui en accompagnant ma mère dans son dernier voyage m’a ouvert la porte de ce passé que Maman tenait tant à me dissimuler.
Elle éclata d’un rire sinistre.
— J’ai pas tout de suite fait le rapprochement entre son mari et ton vieux copain.
Peter, un copain ??
— Faut dire qu’il a vachement changé pas vrai ? C’est Francis qui m’a finalement tout révélé.
Elle rit encore une fois.
— Pour un homme si silencieux, c’est un comble tu ne trouves pas ? Une chance qu’il ait consigné autant d’indices aussi précieux ! Les petites pattes de mouche dans son carnet m’ont - entre la mention du temps qu’il faisait en septembre, en février ou en juillet et le poids d’une truite ou d’un brochet - conduite à une série de quatre chiffres. Un code. Tu devines lequel n’est-ce pas ? Dans le vestiaire métallique de son atelier se cachait un véritable trésor : des cartes postales envoyées par Papé. Des coupures de presse aussi, relatant un accident survenu il y a environ sept ans. Le journal avait pris soin de garder l’anonymat de la « victime » mais si Francis avait pris la peine de le découper et de le conserver à l’abri des regards curieux c’est qu’il avait une sacrée bonne raison. J’ai donc passé des heures à chercher un rapport entre cet article et les messages de mon grand-père. C’était un homme passionné d’énigmes tu sais. Petite, il m’organisait de fabuleuses chasses aux trésors. Il était instruit aussi, s’irritant de la moindre faute d’orthographe qu’il voyait. Alors tu penses bien qu’écrire les mots « rêve » et « affreux » de cette façon ne pouvait qu’indiquer un message caché. C’est là que j’ai fait le lien avec le nom de Caroline. Elle m’avait raconté l’accident de son pauvre mari. Ce que je ne saisissais pas c’était ce qu’il avait bien pu faire à ma mère et le rôle de Francis dans tout ça.
Elle cessa de parler et se figea un instant, en proie à un léger vertige. Un simple regard lancé à Peter ranima la rage qu’elle contenait.
— C’est la relecture des haïkus griffonnés par Maman qui m’ont soufflé le drame qu’elle me cachait. C’est entre ces lignes qu’il fallait lire. Au final, c’est évident non ? « L’aile de la nuit / Déploie son ombre sur moi / Et crève mon corps » - « L’oiseau se repait /De ma Chair putréfiée / Sale corvidé ». Un horrible viol dissimulé dans des poèmes.
Le monstre s’anima enfin.
— Je ne sais pas de quoi vous parlez ni ce que vous me voulez mais laissez-moi.
Il nous implorait.
Il était où le provocateur ?
— Ah oui ! Je ne t’ai pas dit, ajouta Olympe à mon intention. Il a perdu la mémoire. Elle est définitivement bien foutue la vie !
Elle sortit un objet de sa poche et s’assit sur la table basse.
— Tu rajoutes au viol, le feu dans l’atelier de ton père, la fuite de ma mère, l’incendie dans lequel elle a faussement péri et le briquet retrouvé dans le tiroir de la garde-robe et tu comprends le mobile de cet accident.
Je mis instinctivement la main à la poche de mon jean. Le briquet n’était plus là. Olympe me sourit en me dévoilant le zippo qu’elle tenait entre ses doigts.
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