Chapitre 16

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** Oeuvre en phase de correction : ajout de nouveaux chapitres pour expliciter certains passages de l'épilogue. Un nouvel épilogue suivra... **

Je regardais les arbres s’agiter sous l’assaut du vent et de la pluie. Mon avocat parlait mais je ne l’écoutais plus. Il m’avait rabâché le même discours ces derniers jours. On allait plaider la légitime défense. Peter avait violé Véra – la maman d’Olympe – il était compréhensible que je me sois imaginé que celle-ci était en danger et que je sois venu la défendre. De plus, Peter s’en était sorti et ses jours n’étaient pas en danger. On pouvait prétendre à une bonne issue de l’affaire. En tous cas, il ferait tout pour.

Pour ma part, je restais sceptique. Mais ce n’était pas moi qu’il fallait convaincre ! Je le laissais donc m’exposer son optimisme à travers des gestes exubérants et des sourires de connivence. Ça glissait sur moi comme ces gouttes de pluie que je voyais couler le long de la vitre.

À la fin de son briefing, il tassa ses dossiers et me demanda si j’étais prêt. Puis, il se leva et m’invita à le suivre dans la salle d’audience. Dans le couloir, je croisai Simon. Il s’approcha de moi et me tapa l’épaule.

— Allez, mon gars, courage !

Je le remerciai. Sa présence me faisait chaud au cœur.

— Hey, au fait ! m’interpella-t-il encore avant que je n’entre dans la salle. Qu’est-ce qu’on lance à un juge en train de se noyer ?

Je haussai les épaules.

— Ses associés, ponctua-t-il dans un clin d’œil.

Je souris, heureux de retrouver un peu de légèreté avant de m’engouffrer dans la pièce austère du tribunal. Je remarquai tout de suite Olympe et ma mère, assises au premier rang de l’assemblée. Elles m’adressèrent un sourire confiant mais je notai leurs deux mains crispées, agrippées l’une à l’autre. Peter, lui, était déjà assis de son côté, à la gauche de son avocat. Le dos voûté et le regard rivé sur ses genoux, il paraissait misérable. Sans doute un point que ne négligeraient pas les jurés. Sur la rangée derrière lui, se trouvait une jeune femme qui me fixait d’un regard mêlé de compassion et de souffrance. J’hésitai : était-ce Caroline Lefreux ? La distance qu’elle avait mise entre elle et Peter me surprit. Sur sa chaise, en bordure d’allée, elle semblait ne pas savoir quel camp choisir. Je baissai les yeux, mal à l’aise, et m’installai à droite de Maitre Baron, mon avocat.

Les jurés prirent place sur un banc et trois magistrats entrèrent à la suite les uns des autres, dissipant les derniers chuchotements. Tout le monde se leva dans un unique bruit d’étoffes. D’un geste équivoque, le président de la Cour fit signe à l’assemblée de se rasseoir puis il présenta l’affaire en rappelant les faits qui m’étaient reprochés.

— Monsieur Guillot, ici présent, est accusé de tentative d’homicide sur la personne de Pierre Lefreux.

Il exposa ensuite les éléments à charge mis en évidence durant l’instruction. Un expert intervint pour détailler les blessures subies par Peter. Il s’agissait d’examiner, de par l’arme utilisée et la violence du coup porté, une quelconque préméditation. Selon le rapport du médecin, le coupe-papier avait touché la rate provoquant une hémorragie. Mon avocat se permit à cette occasion de faire constater qu’un coupe-papier n’était pas une arme de premier choix pour quelqu’un qui envisagerait d’assassiner une personne. Il rappela d’ailleurs que cet accessoire avait précédemment servi à couper les liens qui retenaient Monsieur Pierre Lefreux prisonnier. S’ensuivit donc des questionnements sur les raisons pour lesquelles Peter se trouvait ligoté dans sa propre maison.

Lors de mes entretiens avec mon avocat, j’avais lourdement insisté sur le fait que rien ne devait être reproché à Olympe. Je souhaitais porter seul la responsabilité du geste que j’avais commis. Peu m’importait la façon dont il se débrouillerait !

C’est finalement la défense qui répondit à cette question.

— Monsieur Guillot a attaché mon client...

J’en restai coi. Ainsi, Peter avait une once d’humanité. En m’accusant, il éloignait les soupçons qui auraient pu peser sur Olympe. Ça m’allait !

— … pour des raisons strictement personnelles, de vieilles querelles de jeunesse.

Furent alors exposés les liens qui existaient entre Peter et moi. On évoqua son enfance malheureuse, son placement dans ma famille, la jalousie dont je faisais preuve envers lui, puis, son travail actuel, son entourage et sa vie familiale bien rangée.

Ma jambe gauche battait la mesure de mon agacement. Putain ! S’ils l’avaient connu quand il était gosse… C’est sûr que présenté comme ça, un responsable financier, marié et père de famille l’emportait sur le menuisier, célibataire et paumé que j’étais.

Le débat dévia ensuite sur les rapports que nous entretenions avec Rave. « Véra »

On mentionna les circonstances de son placement en insistant sur le fait qu’elle était arrivée chez nous bien après le départ de Peter. Bien vu !

Le journal de Rave ainsi que ses poèmes furent présentés à la Cour pour défendre mes intentions. Mais, comme mentionné par l’avocat de la défense, il ne s’agissait que d’un récit dont il était évidemment impossible de juger la part de fiction et le degré de vérité. Malheureusement, aucune preuve matérielle ne pouvait corroborer le viol. Certes, les analyses sanguines effectuées sur Olympe et Pierre permirent de prouver le lien de parenté qui les unissait, mais rien ne permettait de prouver que le rapport sexuel n’avait pas été consenti. Rave n’était plus là pour se défendre et Peter avait perdu la mémoire.

On évoqua alors les circonstances de son accident et son amnésie. Peter avait été retrouvé, seul, au volant de sa voiture, le corps prisonnier du véhicule compressé. Il ne possédait aucun papier sur lui et, à son réveil, plus aucun souvenir. C’est l’immatriculation qui avait permis de lui attribuer une identité puisqu’aucun autre « Pierre Lefreux » n’avait été retrouvé. Il n’existait d’ailleurs aucun élément correspondant à ce patronyme dans aucun fichier. Alors, nom réel ou d’emprunt, tant que ça arrangeait tout le monde...

L’examen minutieux du véhicule ainsi que les analyses effectuées sur lui n’avaient rien donné non plus. Il n’avait ingurgité ni alcool, ni drogue. Ses freins étaient en bon état, ses pneus aussi. Il n’y avait pas de pluie ce jour là ni de verglas. La défense avait évoqué un probable endormissement après une longue journée de travail. Ben tiens !

Je fermai les yeux, étourdi par ce questionnement qui tourbillonnait dans mon esprit : Comment pouvait-on avoir autant de chance dans la vie ? Cet accident lui avait permis de faire table rase du passé et de se montrer sous un tout autre jour. Pourquoi lui ? Il n’avait jamais rien fait que le mal autour de lui. C’était un serpent venimeux qui s’était insinué dans ma vie puis dans celle de Rave pour nous empoisonner ! Mon seul espoir aujourd’hui était que jamais il ne parvienne à s’infiltre dans la vie d’Olympe.

Je repensai à mon père, aux soupçons qu’Oly avait réussi à introduire dans mon esprit, et au mystère qui planait toujours sur l’accident. Avait-il pu réellement provoquer un tel chambardement ? Ça ne faisait pas sens pour moi. Papa était un homme bien trop droit pour commettre un acte de malveillance. Comme ma mère, il croyait en Dieu et en la justice divine. Il aurait été incapable d’organiser un tel simulacre, encore moins d’ôter une vie de ses propres mains. Je comprenais malgré tout le cheminement d’Olympe. Qu’étions nous capables de faire pour protéger sa famille ? Le pire était parfois la seule option qui s’offrait à nous.

La voix de l’avocat de la défense me tira de mes réflexions. Il débuta sa plaidoirie, insistant sur le traumatisme de son client.

— … Imaginez-vous, vous réveiller dans un endroit inconnu, une terreur sourde au fond de vous. Plus aucun souvenir, bon ou mauvais. Plus aucune sensation dans le corps hormis cet effroyable sentiment de peur. Imaginez-vous encore, les longs mois passés, couché dans une chambre d’hôpital, sans proche sur qui pleurer ou s’appuyer, sans aucune certitude de pouvoir un jour remarcher. Imaginez-vous maintenant, vous être battu contre tous ces obstacles qui se dressaient devant vous, avoir trouvé la force de faire un pas, puis deux, avoir trouvé l’amour, être devenu père et enfin mener une vie digne de ce nom. Alors, imaginez-vous, après tout ça, vous retrouver séquestré, attaché, face à un ancien ami, un frère, venu vous réclamer vengeance. Pourquoi d’ailleurs ? Pour avoir eu la malchance d’avoir une enfance brisée et vous être retrouvé par hasard dans le même foyer que lui ? Pour avoir croisé la route de sa petite amie ? Mesdames et Messieurs les jurés, mon client a suffisamment souffert ! Il a été malmené, menacé, accusé de violences sexuelles devant nous tous. Il a été victime d’un accident de la route, victime d’un homicide. Il a frôlé la mort à deux reprises. Regardez ces stigmates sur son visage. Regardez-le ! Et, ayez à l’esprit la souffrance morale que mon client ressent chaque jour, en observant le reflet inconnu qui lui fait face. Ne spéculez pas sur ce qu’il était mais demandez-vous plutôt : qui est cet homme devant moi ? Pour ma part, Monsieur Lefreux n’est rien d’autre qu’une victime.

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