Chapitre 4

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Si l’on se fait attraper, on est mort.

 Cette pensée hanta l’esprit de Zack alors qu’ils fuyaient.

 Après avoir entendu des voix, les trois avaient pris la direction de la porte de service, comme s’ils avaient le Nuage aux trousses. Ils étaient tellement concentrés sur leur course qu’ils en oublièrent ce qui les entourait. Sett tomba à plusieurs reprises, mais chaque fois il se relevait dans le même mouvement, donnant l’impression d’une chorégraphie minutieusement orchestrée. Ils arrivèrent à l’accès qui les avait amenés jusqu’ici en une poignée de minutes. Si bien que le plus grand manqua de s’assommer contre le montant. Quand ils se sentirent en sécurité, ils stoppèrent leur course.

 – On a vraiment eu chaud cette fois.

 Max ne croyait pas si bien dire. Se faire surprendre sur les balcons était habituel. Il s’agissait presque d’un rite de passage pour les enfants Intermédiaires. Les condamnations étaient rarement sévères.

 Le parc, en revanche, ce n’était pas la même histoire. Lieu de détente et de repos favoris des Privilégiés, il servait avant tout d’unique passage pour accéder à la Flèche. Se trouver là sans autorisation revenait donc à un crime de lèse-majesté.

 Sett, le souffle court, s’écroula d’épuisement. Son corps lui donnait une force certaine, mais il n’était pas bâti pour la course.

 Quand il eut recouvré ses forces, il se releva et comme par réflexe mit les mains dans ses poches. Son visage qui venait de récupérer une teinte normale passa cette fois au blanc, le rendant aussi pâle que Max.

 – Zack! Je… Je crois que j’ai fait une bêtise, bégaya-t-il.
 Son frère, qui surveillait leurs arrières, porta son attention sur lui.
 – J’ai…. J’ai.…
 – Tu as quoi? s’impatienta-t-il.
 – J’ai perdu ma plaque.

 Cela eut l’effet d’une bombe. Les mots de Sett semblaient avoir déclenché quelque chose en lui car il sombra dans une rage folle. Il fulminait et bougeait dans tous les sens tel un dément. Il mit un énorme coup de poing dans une des parois métalliques qui les entourait. Elle plia sous le choc. Pourtant, Zack fut le plus affecté. Il se pencha immédiatement de douleur, tenant son poignet avec son autre main.

 Sett était assis par terre, la tête entre ses jambes. Max ne comprenait pas ce qui se passait, pourtant elle aurait juré qu’il était en train de pleurer. Elle se dirigea vers le blessé et commença à étudier son poignet.

 – Est-ce que l’un de vous peut m’expliquer?
 – Cet idiot a perdu sa plaque, rugit Zack.
 – Et c’est si grave que ça?
 – Oui, c’est gra... Aïe, mais que fais-tu?
 – J’essaye de voir si tu n’as rien de cassé. Ça a l’air bon, par contre tu ne vas pas pouvoir l’utiliser correctement pendant un moment.
 – Depuis quand t’y connais-tu en fractures?
 – Mon père m’a appris deux, trois trucs, il pensait que ça me permettrait de le remplacer comme médecin à sa mort. Apparemment, les gangs n’ont pas jugé mes services nécessaires avant de... Max ne finit pas sa phrase.

 Elle déchira le bas de son tee-shirt et le transforma en bandage.

 – Je ne comprends toujours pas cette histoire de plaque.
 – Les Intermédiaires et les Privilégiés possèdent des plaques pour les identifier. Dessus on retrouve à quel étage on vit, dans quel secteur, notre date de naissance et notre profession.
 Devant l’air perplexe de Max, il précisa.
 – En gros si quelqu’un trouve celle de Sett, on va savoir qu’il se trouvait là-haut.
 – Alors on doit y retourner, paniqua Max.
 – NON! Vous deux rentrez! Vous en avez suffisamment fait. Moi je vais la chercher.

 Zack caressa son poignet endolori, et reprit le chemin du parc.

***

 – Impossible!
 – S’il vous plaît, prenez le temps de m’écouter.

 Zack arriva au milieu d’une conversation agitée. La nuit pesait encore sur la Tour. Bien que cela lui donnerait l’avantage de la discrétion, il n’allait pas être facile de retrouver la plaque de Sett.

 J’espère qu’elle est tombée au pied de l’arbre quand la branche s’est cassée.

 – Très bien, mais soyez bref.

Cette voix me dit quelque chose.

 Zack entrouvrit la porte et passa la tête. Il réussit à distinguer deux hommes qui se tenaient près de la barrière.

 – Je ne vais pas y aller par quatre conduits, la Tour se meurt. Nos ressources s’amenuisent. J’ai encore reçu un rapport aujourd’hui, il venait d’un ingénieur de l’eau. Ils demandent des filtres neufs, les leurs ont déjà servi plusieurs cycles de trop, mais nous n’en avons presque plus en réserve.
 – Nous n'avons qu’à en réutiliser des anciens, nous avons toujours fait ainsi.
 – Vous ne comprenez pas, pour les recycler nous avons besoin de charbon, de sulfite de calcium et d’un paquet d’autre matière que nous n’avons plus en réserve. Le problème ce n’est pas juste les filtres à eau. Des canalisations cèdent, nos panneaux solaires sont vétustes et je ne parle pas des ventilateurs et de tout le reste. Notre capacité à fournir de l’énergie diminue de jour en jour, les coupures deviennent de plus en plus fréquentes en dessous.
 – Je vous ai demandé d’être bref.
 – En bref, je ne vois plus que deux solutions. Trouver des moyens pour sauver la tour, ou l’abandonner.

 Il se rapprocha de la barrière et désigna le vide devant lui.

 – Peu importe la décision que nous allons prendre, nous avons besoin des ressources terrestres.

 Les deux hommes observaient désormais l’horizon. Au loin, les premiers rayons de soleil faisaient leurs apparitions. S'agissant de la dernière chance pour Zack de récupérer la plaque, il se faufila discrètement jusqu’à l’arbre que son frère avait essayé d’escalader et commença à inspecter les alentours.

 – Vous savez très bien que ce n’est pas si facile. Le monde a changé là en bas.
 – C’est la seule solution.
 – Je refuse d’abandonner la Tour, nous l’avons créée pour une bonne raison, des menaces auxquelles nous ne pouvons pas faire face existent. Débrouillez-vous autrement.
 – Ils ont construit ces tours il y a presque trois cents ans pour s’y réfugier. Ils n’avaient plus le choix, aujourd’hui c’est nous qui ne l’avons plus.

 Cette réplique sembla touchée juste car l’autre soupira de désespoir.

 – Qui vous dit que les dangers passés ont disparu?

Cette maudite plaque est introuvable.

 Zack avait déjà fait le tour du cerisier à deux reprises au moment où il sentit quelque chose sous son pied. La chance lui souriait. Il tendit le bras pour s’en saisir quand une décharge lui remonta jusqu’à l’épaule, lui arrachant un gémissement de douleur.

 – Qui va là?

 Les deux hommes s’étaient tournés comme un seul en direction de l’arbre.

Je suis fait.

 Caché, le garçon se préparait à s’élancer vers la sortie quand il entendit un bruit dans le feuillage. Il leva la tête et vit un chat. La chance était définitivement avec lui. Aussi discrètement que possible, il entreprit de chasser la bête de la branche sur laquelle elle reposait. Dérangé, le félin bondit du côté opposé de celui qui l’avait ennuyé, et commença sa toilette.

 – Juste un chat.

 Ils se retournèrent de nouveau en direction du nuage qui semblait s’embraser au contact du soleil levant.

C’est maintenant ou jamais.

 – Même avec les ressources requises, la Tour ne tiendra pas indéfiniment, nous devons au moins nous préparer à revenir sur la terre ferme. L’homme se tue une seconde et reprit. Nous n’avons pas le choix. Le nuage doit disparaître.

 Cette phrase cloua Zack sur place. Il n’en croyait pas ses oreilles.

 – Vous ne savez pas de quoi vous parlez. Il est nécessaire et l’a toujours été. Vous vous imaginez sérieusement que nous avons détruit la terre par pur plaisir. Vous ignorez tout de la situation de l’époque, alors contentez-vous d’effectuer votre travail.
 – Laisser donc la personne qui doit faire fonctionner ce tas de ferraille vous dire que d’ici quelque année la Tour devra tourner sans électricité. Si nous pallions ce problème, on devra survivre sans eau. Si l’on trouve une solution, on devra rationner la nourriture car nos fermes et nos élevages ne produisent plus assez.

 L’ingénieur respira lentement, puis reprit calmement.

 – D’après les meilleures estimations, il ne reste qu’une génération avant d’atteindre le point de non-retour, deux si l’on sacrifie ceux d’en dessous.
 – S’il doit en être ainsi pour sauver la Tour et tout ce qu’elle représente, soit.
 – Vous condamneriez des centaines de milliers des nôtres?
 – Seulement pour en épargner des centaines milliers d'autres.

 La discussion continua un moment, la situation semblait dans une impasse. Aucun des deux n’arrivait à convaincre l’autre. Pendant ce temps, Zack écoutait sans en perdre une miette. Il était captivé. Si bien qu’il ne remarqua pas que le soleil commençait à éclairer le parc.

 – Il reste peut-être une autre solution, si nous retrouvions l’arche, nous aurions peut-être une chance.
 – Où avez-vous entendu parler de l’arche? s’énerva l’homme que Zack ne pouvait identifier.
 – Alors c’est vrai, elle existe.
 – Là n’est pas la question, il prit une profonde inspiration. Vous savez, mon père était une personne passionnée. Mon amour des artefacts humains me vient de lui. Mais que resterait-il du monde d’avant si l’on utilisait l’arche? Que deviendrions-nous? Nous ne serons plus que des âmes en peine, déraciner errant dans l’inconnu.
 – Dans le meilleur des cas, même en stoppant le nuage, cela nécessiterait des années avant que la terre puisse subvenir à nos besoins. Des milliers succomberaient de faim. Alors qu’avec l’arche tous nos problèmes seraient résolus.
 – Baliverne. Vous ignorez le prix à payer. Ce n’est qu’un rêve fou. Les tours ont toujours été là pour nous protéger et elles seront encore là bien après votre mort.

 L’homme avait récupéré tout son aplomb. Sa voix, désormais froide, ne laissait paraître aucune émotion.

 – Si vous ne m’écoutez pas, le conseil le fera.

 Soudain, Zack entendit une légère agitation suivie d’un gros choc. Il se pencha pour observer. Un des deux gisait par terre du sang s’écoulant sous sa tête. Le meurtrier souleva le corps désarticulé de sa victime et entreprit de le jeter par-dessus la rambarde.

 Cette fois, l’adolescent retrouva ses esprits. Le même sort l’attendait s’il se faisait attraper. Il devait fuir. Profitant de l’occasion, il bondit en direction des conduits. Il y arriva à pleine vitesse, si bien qu’il heurta le montant de la porte. Il fut sonné un instant, mais se releva et reprit sa course. Le sang perlait sur son visage.

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