Erhawe- 2

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20: 35

Sa capuche noire cachait son visage, et sa longue tunique sombre ne laissait deviner aucun détail sur son identité. Il savait où Erhawe était cachée. En l’embrassant, sa mère l’avait envoyée dans la forêt, devant le grand arbre où ils avaient tant joués, enfants.

C’était un peu leur lieu à eux, leur petit secret.

Paisible, la petite dormait sur la plus haute branche, sur un matelas de feuilles et de vieilles branches mortes.

Maleva avait toujours eu du mal à se concentrer, en magie. Parvenir à envoyer un bébé si loin, c’était déjà exceptionnel pour elle qui, enfant, devait s’y prendre à deux fois rien que pour jeter un simple sort élémentaire...

D’un geste, Selicien la fit descendre et elle se déposa doucement au creux de ses bras, toujours plongée dans son sommeil. Un sommeil dont elle ne pourrait s’extirper d’elle-même avant un ordre de son oncle, qui ne voulait pas qu’elle s’agite.

Mais il n’avait pas assez de force pour transplaner à nouveau et était donc obligé de marcher pour les mettre à l’abri, et le seul lieu sûr qu’il connaissait était loin d’ici, bien caché sous le couvert des arbres, dans la forêt...

N’ayant pas pu venir tout de suite, il avait été obligé de faire quelques détours importants, mais avait envoyé son familier papillon veiller sur elle, pour qu’il ne lui arrive rien.

Ils devaient donc se hâter, à présent.

En quelques longues enjambées, ils étaient au coeur de la ville, par laquelle il était obligé de passer.

Une effervescence inhabituelle régnait dans la P’tite Place. Contrairement à ce qu’indiquait son nom, c’était la place la plus vaste de la ville. Elle avait simplement été nommée ainsi, lors de la construction de la cité. Et puis elle s’était agrandie, agrandie, et… pouvait à présent contenir des milliers de personnes.

D’ailleurs, c’était le cas. Une bonne moitié des habitants s’y tenait et, dans le vacarme et la cohue qui régnait, on parvenait à distinguer de nombreuses protestations.

Mais une voix, plus forte, plus puissante, domina le vacarme et commença à parler:

— Aujourd’hui, quelque chose de terrible est arrivé !

C’était une voix de femme. Une vieille femme. Placée sur une sorte de piédestal.

— Quelque chose d’horrible, et vous le savez ! Vous le savez, n’est-ce pas ?

Il la voyait mieux désormais. Mais elle était à contrejour. Il s’approcha.

— L’Enchantement a été violé ! Deux être indignes ont créé une Incomplète !

Les cris s’amplifièrent. Tous ces gens, si parfaits au quotidien, semblaient maintenant emplis de rage en écoutant son discours. Frissonnant, sans parvenir à détacher ses yeux du spectacle qui se jouait, le Sorcier s’avança, encore. Sur le piédestal, la femme n’était pas seule… il y avait deux autres personnes avec elle.

— La fille s’est envolée. Mais les auteurs du crime seront châtiés, sévèrement châtiés !

Ca y est. Il voyait tout. La vieille femme, ses épaules carrées et ce regard méchant: Armanda la Vicieuse. Derrière elle, debout, la tête haute et le corps prisonnier d’un maléfice, deux personnes, deux personnes à qui il tenait plus que lui même. Maleva, terrifiée mais digne. Et Oxen, le brave Oxen qui tentait de la rassurer... et leurs familiers personnels, qui, collés l'un contre l'autre, s'efforcaient de ne pas trop trembler.

A la mention d’un châtiment, la voix de la foule s’éleva de nouveau. Mais un peu moins fort, peut-être. Et avec légèrement moins de conviction, visiblement.

Ca faisait à peine trente ans que la reine était montée sur le trône. L’Enchantement avait sauvé le peuple de l’auto-destruction et de la décadence... mais personne n’avait oublié l’horreur, la terreur qui démolissait le pays il y a, au fond, si peu de temps encore. Peu voulaient connaître ça de nouveau, quitte à tuer. Faire couler quelques gouttes de sang pour assurer la sécurité et le bien-être du peuple semblait être un marché honorable.

Seulement, aucune mère ne voulait montrer à sa fille la violence pure d’e cette femme terrible, animée par la haine. Et puis, aucun familier n’encourageait ce genre de chose. Ils n’étaient pas là pour ça…

Armanda le vit bien, le scepticisme des habitants. Mais c’était son devoir, elle n’allait pas l’oublier pour quelques questions de morale.

Elle passa outre et claqua des doigts.

Son lynx apparut.

Le sort qui emprisonnait les deux amants s’envola, les rendant libre. Et vulnérables.

De lui-même, le félin se dédoubla, et se jeta sur sa proie.

Pétrifié, le Sorcier ne bougea pas. Il ne pouvait pas, parce que c’était horrible, ce qui se passait. Parce qu’il n’avait pas su protéger sa famille. Parce que les choses seraient tellement différentes, à présent. Mais surtout parce que la chose la plus importante dans cette histoire était lovée dans ses bras, et qu’un mouvement trop brusque pouvait la réveiller, briser le sort qui la maintenait plongée dans ce si profond sommeil.

Et il voulait la laisser rêver encore un peu, juste un peu.

La P’tite Place s’était presque complètement vidée, tant le spectacle avait bouleversé les habitants.

Il ne pouvait plus rester, prendre des risques.

Et puis sa nièce devait se réveiller bientôt, si elle ne voulait pas rester enfermée à jamais dans ses propres songes...

— Ma pauvre Erhawe, murmura-t-il en quittant la place, serrant son corps chaud blotti contre sa poitrine. Quelques heures durant, tu avais de quoi devenir une légende... A présent, tu sera une bien triste légende…

Il marcha longtemps, ce soir là. Il se sentait trop fatigué, trop las pour faire appel à ses pouvoirs, alors il avançait presque mécaniquement, connaissant par coeur la trajectoire.

Personne ne la connaissait, cette vieille demeure qu’il s’échinait à entretenir. Le Manoir du lac. C’était la maison de son arrière grand-père, mais il s’était passé tant de choses, depuis le temps où il vivait encore, qu’il avait été oublié, lui et sa maison, noyé parmi cette foule de disparus, de victimes sans visages.

Au yeux de tous, cette demeure n’existait pas. Cachée au beau milieu d’une forêt profonde, il était presque impossible de s’y retrouver sans connaître.

Rien de mieux pour la petite.

Poussant la porte, il la déposa sur un grand coussin et la libéra enfin de son long sommeil.

Elle ouvrit les yeux, s’agita un peu et le regarda longuement.

Puis elle se mit à pleurer.

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