Après une longue absence...
La lune était déjà levée, mais elle n’avait pas envie de sortir, ce soir là. Pourtant, les étoiles se reflétaient sur le lac, la température était douce et le ciel, si clair…
Malgré les réticences de son oncle, elle résistait rarement à l’attrait d’un vol nocturne, tant elle aimait sentir ses ailes vibrer sous le vent, pouvoir s’élever si haut dans le ciel qu’elle distinguait les lumières de la ville au loin.
Mais son coeur était triste, ce soir.
Son oncle lui avait parlé de ses parents.
Elle avait tellement insisté, elle voulait tellement savoir…
A bientôt sept ans, elle s’était vite rendu compte que ni Pépa ni Selicien ne lui avait donné naissance.
Et maintenant, recroquevillée devant la fenêtre de sa chambre, elle contemplait tristement la nature plongée dans la nuit.
Un bruissement éthéré se fit entendre, puis deux grandes ailes entrèrent dans son champ de vision, suivi par deux pupilles vertes ourlées de longs cils.
— Tu sais, dit une petite voix, ils t’ont toujours aimé. Il n’y a jamais eu plus important pour eux que leur jolie fille aux beaux yeux noirs. Je suis sûre qu’il t’aiment encore du même amour qu’avant, malgré ce qui s’est passé, et ce qu’ils sont devenus.
Sans même détourner le regard, Erhawe lui répondit faiblement:
— Non… L’Oncle m’a dit que c’est impossible. Je ne suis pas un bébé, je ne suis pas bête tu sais…
— On le sait tous que tu n’es pas bête, renchérit le papillon en se posant doucement sur son épaule. Tu es très courageuse, gentille et intelligente. Nous sommes là pour toi et bientôt, tes parents aussi…
Elle tourna la tête vers son amie et la regarda en silence quelques instants, puis s’exclama:
— Non ! Je ne te crois pas !
Une lueur de défi traversa son regard, sous un voile de tristesse.
Le familier caressa délicatement sa joue rougie et lui glissa à l’oreille avant de repartir:
— Tu n’es pas un bébé, mais tu es encore petite, tu sais. Je sais que c’est difficile pour toi, tu aurais dû le savoir plus tôt. Mais on ne voulait pas te faire de la peine… Enfin, ne te couche pas trop tard et ne sors pas, s’il te plaît. On attend du monde, demain…
Elle haussa les épaules et laissa son amie s’en aller.
Parfois, à sa demande, Selicien lui racontait des histoires amusantes sur ses parents. Mais celle-là était une histoire triste qu’elle aurait aimé ne jamais entendre.
De nouveau, elle plongea son regard dehors.
Elle savait que la punition n’était pas loin si elle se faisait prendre, mais tant pis. Elle ouvrit la fenêtre et sauta. Désormais habituée, elle se métamorphosa rapidement et déploya ses ailes.
La première fois qu’elle s’était transformée en cygne, son oncle l’avait réprimandée et lui avait ordonné de ne plus recommencer à sortir après le coucher du soleil. Mais il avait vite compris que les questions finiraient par arriver, surtout venant d’une enfant aussi intelligente et maligne qu’Erhawe.
Alors il lui avait tout expliqué…
Que certaines personnes avaient du sang noir de chimère dans les veines, et se transformaient en cygne sous les rayons de la lune. Que normalement, elle aurait dû avoir un familier, mais qu’ils ne fusionnent jamais avec ces personnes là, car ils n’en ont pas besoin. Qu’elle aurait pu être une créature maléfique, mais qu’elle était un beau cygne blanc, car son cœur était encore pur lors de sa première métamorphose.
Tout ça dans un langage facile à comprendre, avec des mots simples, car elle n’était encore qu’une enfant.
A partir de ce jour là, elle ne posa plus de questions là dessus, et, dès qu’elle pouvait, s’éclipsait dans la nuit et se transformait.
C’était encore un jeune cygne un peu gauche, mais chaque nuit, son vol devenait plus sûr, plus, beau, plus gracieux.
Et ce soir là, elle s’envola plus haut qu’elle n’avait jamais été.
En tant qu’humaine, dans son propre corps, elle ne se serait jamais aventurée aussi loin seule. Mais son âme de cygne la poussait souvent à faire des choses étonnantes et inattendues. Dans son apparence animale, tout était beaucoup plus simple, bien plus facile que le reste du temps.
Jusqu’au moment où son corps commença à fatiguer. Elle perdit de la vitesse et de la hauteur. Comprenant qu’elle était allée trop loin, cette fois, elle essaya de faire demi-tour, mais… impossible, elle n’en avait plus la force.
L’enfant-cygne se laissa alors lentement redescendre et décida de se poser devant une petite maison, pas très loin de la ville, qui semblait habitée.
Sans trop faire de bruit, elle se transforma et, ivre de fatigue à cette heure avancée de la nuit, s’allongea à même le sol et ferma les yeux.
Pour peu de temps, car la même porte s’ouvrit avec fracas et une voix se fit entendre:
— QUI EST LA ?
De loin, on aurait pu croire à une voix d’homme, mais cet homme là ne semblait ni plus grand, ni plus âgé qu’Erhawe. C’était un jeune garçon, seul et un peu effrayé d’entendre du bruit dehors si tard. En voyant une forme recroquevillée devant sa porte, il s'avança tout doucement vers elle.
Elle avait peur, elle aussi, mais n’avait pas l’énergie de s’enfuir. Elle se leva et le regarda droit dans les yeux.
Un moment, ils s’analysèrent l’un l’autre, trop jeunes pour juger sans réfléchir mais assez intelligents pour comprendre que l’autre n’était pas l’ennemi.
Tout de même méfiant, il s'avança et lui demanda sèchement:
— Tu es qui ?
-Je m’appelle Erhawe, lui répondit-elle en grelottant. Et toi ?
— Zaël. Pourquoi t’es là ?
La méfiance avait quitté son regard, remplacé par la curiosité et l’étonnement.
— J’ai volé longtemps et je voulais rentrer chez moi mais c’était trop loin, alors je me suis posée ici…
— T’as volé ? N’importe quoi, rit-il en la regardant.
— Je peux rentrer ?
Sans plus hésiter, il la laissa rentrer chez lui et lui expliqua:
— Je sais pas pourquoi t’es venue ici, mais tu vas bientôt devoir repartir. Mon papa travaille à couper des arbres pour construire des maisons pendant la nuit et s'il te voit en rentrant, il va être énervé.
Sans attendre d’invitation, contente de discuter avec quelqu'un de son âge, elle s’assit sur une chaise et continua à converser avec lui:
— Il devrait utiliser la magie.
— Il a pas le droit. La reine l’a punie. Elle a dit qu’on n’avait plus le droit à la magie et aux familiers...
Oubliant sa fatigue, elle discuta jusqu’au bout de la nuit. Son nouveau compagnon était assez drôle et plutôt intéressant. Elle venait briser sa solitude et, de son côté, il lui apportait beaucoup de réconfort.
Et puis le ciel commença à devenir plus clair. Le temps était venu de repartir.
— Tu devrais rentrer chez toi, finit par asséner Zaël.
— Est-ce qu’on voit encore la lune ?
Il regarda par la fenêtre:
— Oui, beaucoup. Mais elle va bientôt s'en aller.
— Je m’en vais, sinon je ne pourrai plus me transformer. C’est l’Oncle qui me l’a dit, et c’est vrai.
— Menteuse ! ricana le garçon. Montres-le alors !
— D’accord.
Elle sortit de la maison, et, se plaçant sous les derniers rayons de lune, se métamorphosa. Puis s’envola de nouveau, laissant derrière elle son nouvel ami pour retrouver son oncle et Pépa. Elle avait le coeur serré en repensant à ce qu’elle avait appris, et ce qui allait se passer dans à peine quelques heures.
Et elle ne pouvait s’empêcher d’espérer…
Pourvu que ses parents la reconnaissent.
Annotations