Le Village
Un premier pas.
Puis un deuxième.
Ca y est, la jeune femme a battu son record, est allée plus loin que jamais, que ce soit dans les airs où sur terre. Elle a dépassé la cabane de Zaël et ils sont désormais à la lisière de la forêt. Plus que quelques arbres, et ils seront dans la ville.
Passer par là a été le sujet de nombreux débats. Mais la forêt est entourée par d’imposantes falaises où s’échoue l’océan. De plus, il faudrait des semaines pour l’atteindre, et il est quasiment impossible de le traverser avec une simple incantation.
Alors… la petite ville semblait être la meilleure solution, ou plutôt la moins pire.
Et puis elle avait grandi, Selicien était caché par son manteau et Pépa resterait dans une de ses grandes poches. Il était donc difficile de les reconnaître.
De toute façon, ils n’étaient pas assez fous pour se promener innocemment à l’intérieur. Ils allaient contourner les habitations, de sorte à ne pas être remarqués.
Le soleil se levait à l’horizon. Ils avaient marché trois jours de suite pour arriver ici, et s’étaient accordés peu de temps pour se reposer. Mais Erhawe avait l’habitude des nuits courtes, ce qui était plutôt une chance car le rythme était assez éreintant… d’autant plus que Selicien refusait l’utilisation d’une quelconque forme de magie pour avancer plus vite, histoire de garder toute son énergie en cas de besoin.
Le Sorcier s’approcha de sa nièce, un air sérieux peint sur le visage et posa doucement sa main sur son épaule :
— Es-tu sûre de vouloir faire ça ? Dans quelques minutes, il n’y aura aucun retour en arrière possible…
Le jeune femme sourit. L’Oncle n’avait cessé de lui poser la question et la réponse avait toujours été ferme et catégorique: Bien sûr que oui ! Mais elle comprenait ses doutes, et savait à quel point ça lui coûtait d’accepter sa compagnie dans ce périple. C’est pourquoi elle lui répondait toujours patiemment:
— Oui, j’en suis certaine. Et puis, ajouta-t-elle en enlevant sa main, toujours souriante; je n’ai pas marché si longtemps pour rien.
— Bon, si tu le dis… allons y. Les habitants se lèvent tôt et il vaudrait mieux ne pas attendre qu’ils sortent de chez eux.
Lentement, ils dépassèrent enfin la lisière des bois.
Et ce qu’elle vit lui coupa aussitôt le souffle. Elle s’était imaginé un village terne, sale et empli de grisaille. Mais ce fut une avalanche de couleurs qui lui sauta aussitôt aux yeux.
Des petites maisonnettes pétillantes entourées de splendides jardins et d’arbres croulant sous les fruits témoignaient de la beauté de l’endroit. Tout ici n’était qu’harmonie, calme et pureté. Son coeur se serra progressivement: Dans cet univers de beauté et de douceur, les habitants ne pouvaient qu’être bons et généreux. Alors pourquoi l’en avoir renvoyée, pourquoi cette répugnance à son égard ?
Elle baissa les yeux, la démarche pesante. Mais Selicien prenait de l’allure et elle s'efforça de le rattraper, consciente que ce n’était pas l’heure des états d’âme. Son coeur était lourd, mais elle repoussa l’appel des larmes. Elle avait bien trop pleuré jusqu’ici. Il était temps d’avancer.
Ils marchaient vite, nerveusement. Leur vie ne tenait qu’à un fil et un moindre faux pas pouvait leur coûter le trépas. Aucune raison de s’attarder… sauf une, peut-être.
Passant devant une de ces charmantes maisons, l’oncle ralentit doucement. C’était une jolie habitation, comme toutes les autres, mais celle-ci n’affichait aucun nom sur sa devanture, et sa boite aux lettres avait été détruite.
Sans prendre la peine de demander de bouche à oreille, la jeune femme comprit d’instinct en croisant le regard triste du Sorcier qu’il s’agissait là de l’ancienne maison de ses parents.
Erhawe la fixa, fascinée et un peu mélancolique, elle aussi.
Ses parents avaient vécu ici, avaient été heureux ici.
Elle aurait dû grandir ici, dans les rires et la bonne humeur.
Mais ce droit lui avait été retiré, en même temps que la santé mentale de ses parents et la situation prospère de son oncle.
Ce dernier la tira par la manche, l’incitant à la suivre. Alors elle se retourna, et sans attacher un regard de plus à cet endroit qui lui avait été enlevé, se remit à marcher.
Finalement, contourner les habitations ne fut pas si difficile que prévu. Après tout, il n’y en avait pas tant que cela. Au bout de quelques minutes, ils avaient presque terminé lorsqu’un chemin se dressa devant eux. Inoccupé et sans personne le traversant, ç’aurait pu n’être qu’un simple chemin, petit et sans intérêt particulier.
Mais, malheureusement, ce n’était pas le cas. Faisant la queue, des centaines de personnes était dessus et il semblait presque impossible de le traverser. Certains étaient juchés sur leur familier, que ce soit un cheval ou un dragonneau, et d’autres n’avaient que leurs pieds pour se déplacer. Quoi qu’il en soit, c’était une joyeuse cacophonie, qu’ils n’avaient pas entendu quelques mètres plus tôt.
Ils se stoppèrent. Ne sachant trop que faire, elle regarda son oncle qui, les sourcils froncés, réfléchissait. Il n’avait manifestement pas prévu d’obstacles si tôt, mais il fallait bien se douter que la route serait semée d’embûches.
Il ouvrit la bouche lorsqu’elle croisa le regard d’un homme aux allures débonnaires. Ses yeux s’écarquillèrent de surprise et il s’écria :
— Landa ! Toi, ici ?
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