Chapitre 1

5 minutes de lecture

 Il pleuvait. Mes chaussures étaient trempées, mon jeans me collait à la peau. Quant à mon sweat noir, n'en parlons pas. J'avais marché 25 minutes de mon arrêt de bus jusqu'à chez moi. Il faut dire que cette journée avait été vraiment épuisante. En arrivant devant chez moi, je soupirais. N'importe quelle personne de mon âge est souvent heureuse de rentrer chez elle, après les cours. Mais ce n'était pas mon cas. J'ouvris la porte et entrai dans une pièce très petite, refermai la porte, et en ouvris une autre située devant moi, fermée à clé également. J'appuyai sur un interrupteur, qui alluma toutes les lumières de la maison. Enfin... plutôt, d'une partie de la maison... j'ai commencé par ôter mes chaussures gorgées d'eau, mon sweat, et me suis ensuite dirigée vers ma salle de bain. J'ai allumé le robinet de la baignoire, laissant couler l'eau bien chaude. Pendant ce temps, je m'étais déshabillée, je regardais mon corps dans le miroir, ce corps que je détruis petit à petit. Une fois la baignoire remplie, je me suis attaché les cheveux en chignon et je me suis glissée dans l'eau. Ce moment devait être relaxant, mais il ne l'était pas pour moi. Je redoutais ce moment où je devais frotter mon corps avec des produits très forts et chimiques, qui à chaque fois me causaient des rougeurs et une irritation importantes.

 Mon bain fini, je me suis orientée vers la cuisine à travers les couloirs de plexiglas de la maison. Il était 19 heures 30 passées, j'avais faim. Lorsque j'arrivais enfin à la cuisine, je vis ma mère de l'autre côté. La cuisine de la maison était séparée par une vitre en plexiglas, épaisse de plusieurs centimètres. Ma mère et moi avions chacune notre espace respectif, nous vivions dans la même maison mais celle-ci était séparée en deux.

 Ma mère posa sa main sur le plexiglas, et de l'autre, alluma un amplificateur sonore.

" Ma chérie, comment s'est passée ta journée ? M'a-t-elle demandé.
- Plutôt bien, j'ai eu une bonne note en maths."

 Cela faisait maintenant 1 an que nous vivions de cette façon. Je voyais ma mère à travers une vitre, on se parlait à l'aide d'amplificateurs sonores, car l'épaisseur du plexiglas insonorisait nos espaces. On ne pouvait se voir que lorsque nous étions toutes les deux dans notre cuisine, ou notre salon. Toutes les autres pièces étaient à l'opposé. Putain de maladie. Je la maudissais chaque jour.

 Ma mère était une femme très belle, qui avait des origines thaïlandaises. Elle avait vécu en Thaïlande les 20 premières années de sa vie. Elle était arrivée en France à 21 ans, et m'avait eue à 23 ans. Aujourd'hui, elle avait 39 ans. Et j'étais malheureuse de voir cette si belle femme, aux longs cheveux noirs, aux magnifiques traits qui rappelaient ses origines, faiblir. Mon père, lui, était parti lorsque j'avais 3 ans. Je ne l'ai jamais revu, je n'ai jamais eu aucune nouvelle.

 À ces pensées, je sentis mon cœur se serrer, les larmes me monter aux yeux. Toute ma vie j'avais vu ma mère comme étant une héroïne, la femme la plus forte du monde. Mais depuis 1 an, la femme forte, c'était devenu moi. Ou du moins, je devais l'être, pour elle. J'aurais tellement aimé, à cet instant, pouvoir la rejoindre de l'autre côté de la vitre ! Mais pour cela, je devais passer par un sas de décontamination, et même avec ça, nous n'étions pas sûrs à 100% que toutes les bactéries seraient tuées. Alors, mon contact avec ma mère était très limité.

 Je la voyais, dans sa cuisine, préparer un repas. L'amplificateur sonore étant toujours allumé, je pouvais l'entendre fredonner une chanson. Elle ne montrait pas sa faiblesse, afin que je reste forte.

"Il te reste assez de quoi manger ? Lui ai-je demandé.
- Je dois en avoir pour encore une semaine je pense, merci", m'a-t-elle répondu.

 C'est moi qui avais désormais toutes les responsabilités. Je m'occupais de faire les courses, d'aller chercher ses médicaments... Quand on a 16 ans, avoir des responsabilités énormes était très dur. Ma mère ne voyait absolument plus le monde extérieur, elle ne devait surtout pas être exposée aux bactéries. Alors, elle passait son temps sur Internet, elle tenait un blog de cuisine thaï, sur lequel elle pouvait communiquer avec d'autres personnes.

 Ma mère était atteinte du SIDAA. C'est une maladie auto-immune, le système immunitaire n'existe plus. Même un petit rhume pourrait la tuer, puisque son organisme était incapable de se défendre. Alors les bactéries de tous les jours que je ramène chaque soir, sont mortelles pour ma mère. Les douches et bains que je prends chaque jour (même parfois plusieurs fois par jour) sont dans le but de tuer toutes les bactéries présentes sur mon corps.

 Bien évidemment, personne au lycée n'était au courant pour la maladie de ma mère, apparue l'année d'avant. A ce moment, je sortais avec un garçon, qui s'appelait Valentin. Cela faisait 7 mois que nous étions ensemble, mais lorsque j'ai appris pour ma mère, j'ai tout arrêté, sans lui donner de raison. Mais il l'a tellement mal pris que je suis devenue son souffre-douleur. Je le déteste. Mais heureusement, j'avais Hugo. Mon meilleur ami depuis la primaire. Lui non plus ne savait pas pour la maladie de ma mère, il savait qu'elle était malade, mais je ne lui ai jamais dit ce qu'elle avait. Il savait juste que c'était assez grave pour ne plus qu'il ait le droit de venir à la maison.

 Ma maison, d'ailleurs... Ma mère avait payé les meilleurs architectes du monde afin qu'ils puissent créer ce labyrinthe de plexiglas, comme je l'appelais. Ma maison divisée en deux, mais les pièces multipliées en deux.

 J'ai passé ma soirée dans la cuisine, la table collée au plexiglas, celle de ma mère symétrique derrière. On avait mangé chacune notre repas, discutant, moi des cours, elle de son blog. Ma mère était la seule personne de ma famille qu'il me restait, elle était mon pilier. Et, malgré sa maladie, elle était toujours souriante, elle m'écoutait quand j'en avais besoin. Mais lorsque j'avais des baisses de moral, je savais qu'elle se maudissait de ne pas pouvoir venir me prendre dans ses bras.

 La soirée passée, je suis allée me coucher. Allongée sur mon lit, face au plafond, je ne pouvais m'empêcher de repenser à tous les bons moments qu'on a vécu avant. Elle me manquait, terriblement. Mais j'étais prête à tout pour elle.

Annotations

Vous aimez lire leapidam ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0