Chapitre 8
J’avais tout de même décidé finalement de changer de sujet et de revenir à notre travail. Nous avions vraiment bien avancé, il ne nous restait plus grand-chose à faire. La pause du midi était vite terminée, alors nous nous étions dirigés vers notre prochain cours. Je n’avais pas recroisé Hugo de la journée, ce qui n’était pas dans mes habitudes. A chaque pause de l’après-midi, on se retrouvait toujours. Mais aujourd’hui, pour la première fois, nos habitudes avaient changé. Je ressentis même un léger pincement au coeur. De retour chez moi, j’étais d’abord passée par la douche afin de me désinfecter entièrement le corps. Mes rougeurs n’avaient pas disparues, mais avaient au contraire grossit. Je posai mes mains sur le rebord de mon lavabo et je m’observais ensuite en silence. Il fallait que je trouve une solution, tous les produits me rongeaient la peau. Pourquoi pas le médecin de maman ? Cela me paraissait être la meilleure des solutions. Lui seul connaissait la maladie de ma mère, lui seul savait quels produits j’utilisais. Alors, j’espérais qu’il me prescrirait au moins une crème ou autre, afin de calmer tout ceci. Je me suis ensuite rhabillée, puis je me suis dirigée vers la cuisine. Là, je trouvai ma mère assise, de l’autre côté du plexiglas, un maigre sourire aux lèvres. J’attrapai une pomme au passage dans la corbeille de fruits et je me suis assise à mon tour, en face d’elle, le plexiglas nous séparant, comme toujours. Son sourire s’étira un peu plus lorsqu’elle me vit. Elle alluma l’amplificateur sonore, je fis de même.
« Bonjour ma chérie. Comment s’est passée ta journée ? » Me demanda-t-elle.
Je croquai dans ma pomme qui n’était pas assez mûre à mon goût, puis je nouai mes cheveux en queue de cheval avec un élastique que je gardais toujours au poignet.
« Niveau cours, ça va. Par contre… »
Elle ne me laissa pas le temps de finir ma phrase. Elle avait levé la main pour m’interrompre. Ce geste m’avait surprise, elle qui ne faisait jamais ça d’ordinaire.
« Je sais ce que tu vas me dire. Que tu as reçu un message de la banque. Je l’ai reçu également, puis je les ai appelés. Je suis tombée sur une jeune femme qui m’a bien expliquée la situation. Elle est nouvelle alors je l’ai mise au courant de ma maladie. Bref, je te fais un résumé : d’ici le mois prochain, on n’aura plus rien… »
Elle s’arrêta, les larmes aux yeux. Elle détourna le regard, mal à l’aise. J’étais bouche bée, je ne savais pas quoi dire alors que pourtant, j’avais reçu le même message qu’elle. Mais l’entendre de la bouche de ma mère était pire. J’avais l’impression de recevoir un coup de poing dans le ventre. Je posai ma pomme à peine entamée sur la table et je croisai mes bras, tête basse. Il fallait que je lui dise l’idée que j’avais eu en tête, celle qui était arrivée dans mon esprit lorsque j’avais repensé à ma conversation avec Hugo.
« Maman, j’ai pensé à un truc… »
Elle leva la tête vers moi. Elle me regardait d’un air interrogateur, attendant la suite.
« Pourquoi est-ce que je ne trouverais pas un petit travail en dehors de mes heures de cours ? Tu sais, ça pourrait nous aider un minimum.
- J’y ai pensé… »
Elle soupira et se prit le visage entre ses maigres mains. Cela faisait combien de temps que je n’avais pas prêté attention à ses mains ? Dans mes souvenirs, je ne pensais pas qu’elles étaient aussi maigres. Je décidai de ne rien dire et l’encourageai à poursuivre.
« Mon dieu, tu te rends compte ? Tu n’as que seize ans, et tu portes tout le poids du monde sur tes épaules… Normalement, c’est à la mère de s’occuper de sa fille, pas le contraire. Et même si ça me fait mal de te dire ça, tu as raison, ça nous aiderait un minimum que tu travailles… »
Elle se leva, se dirigea vers la machine à café et s’en prépara un. Son regard était plongé dans le vide, elle était songeuse. Je repris quant à moi ma pomme et croqua à nouveau dedans. C’était officiel, j’allais me mettre à la recherche d’un travail. Aussitôt, j’ai pensé à Hugo. Peut-être qu’il pourrait m’aider ? Hugo connaissait beaucoup de monde dans cette petite ville où nous habitions, il n’aurait aucun mal à m’aider là-dessus. Ma mère me tira de mes pensées lorsqu’elle revint s’asseoir en face de moi, sa tasse de café chaud entre les mains. Puis elle se leva à nouveau et sortit de la cuisine. Je ne la voyais plus. Qu’est-ce qu’elle est partie faire ? J’attendis patiemment qu’elle revienne. Deux minutes plus tard, elle était de retour, une boîte entre les mains. Je compris aussitôt que cette boîte contenait le jeu Qui est-ce ? alors je me levai, toute excitée, afin d’aller chercher ma propre boîte de jeu. Ce jeu était une merveille pour nous, il nous permettait de nous amuser ensemble comme avant, mais sans avoir aucun contact l’une avec l’autre. Nous avions donc joué à ce jeu jusqu’à l’heure du dîner, à presque vingt heures. Chacune préparait son repas de son côté. J’étais heureuse de passer ce genre de moments avec ma mère, cela nous faisait oublier tous nos soucis momentanément, et cela nous faisait énormément de bien au moral. Je m’étais préparé des pâtes aux brocolis, tandis que ma mère mangeait du riz avec du saumon, avec une sauce aux crevettes. Ma mère était vraiment une excellente cuisinière, et les moments où elle me préparait de bons petits plats me manquaient.
Le repas fini, la vaisselle faite, j’étais restée un peu avec ma mère pour discuter de tout et de rien. Puis j’avais été me brosser les dents, je m’étais changée et avais opté pour un legging et un pull trop grand, pour enfin me glisser sous ma couette. Cette soirée était mémorable, nous n’avions pas vécu de tels moments depuis tellement longtemps ! Je sentais le sommeil m’engloutir petit à petit, alors je me laissai tomber dans les bras de Morphée, paisiblement.
Le lendemain matin, pour une fois, je m’étais réveillée de bonne humeur. J’avais choisi de m’habiller avec un jean bleu ciel, un petit pull très fin à col roulé noir, une veste en cuir noire également, ainsi que mes Converse. Je pris soin d’appliquer un peu de mascara sur mes cils et un rouge à lèvres très léger, qui teintait mes lèvres un en une couleur légèrement plus rosée que d’habitude. Je laissai tomber mes cheveux en cascade sur mes épaules, puis je me regardai, à travers ce miroir que je déteste tant. Je devais bien avouer que pour une fois, j’avais plutôt bonne mine. Aujourd’hui, je n’avais pas besoin de faire semblant d’aller bien, puisque je me sentais vraiment bien. Comme si j’étais inatteignable, dans ma bulle de bonheur que personne ne pourrait éclater.
Au lycée, je vis Hugo, au loin. Je m’approchai de lui, le sourire aux lèvres. Il ne s’apercevait pas que j’étais là, alors je me mis derrière lui et lui colla une petite claque sur sa joue droite. Il se retourna, surpris.
« Eh, mais… ! »
Il s’interrompit, me regardant de la tête aux pieds. Depuis toutes ces années qu’il me connaissait, rares étaient les fois où il m’avait vue habillée autrement qu’avec un sweat.
« Lou, regarde-toi, tu rayonnes. »
Je le serrai dans mes bras, il me rendit mon étreinte. Soudain, la réalité me frappa de plein fouet. Je me souvins de ma conversation avec ma mère la veille, lorsque nous parlions de nos problèmes de banque. Je me décollai d’Hugo, qui me regardait d’un air surpris par mon changement d’humeur. Dommage, il n’aurait profité de ma bonne humeur que deux minutes. Deux minutes depuis que ma vie avait changé.
« Hugo… commençai-je, gênée. Tu crois que tu pourrais faire quelque chose pour moi ?
- Oui, bien sûr Lou, tout ce que tu veux », me répondit-il, inquiet.
Je soupirai puis balayai le hall du lycée du regard. Personne n’était assez proche de nous pour nous entendre.
« Bon, je ne vais ni te mentir, ni y aller par quatre chemins, commençai-je, déterminée. Tu sais que ma mère est malade, et donc qu’elle ne peut pas sortir de chez moi. On n’a donc plus aucune rentrée d’argent. Sauf que là, les comptes bancaires se sont énormément vidés, et le mois prochain on n’aura plus de quoi vivre… »
Il me regarda, choqué. Il ouvrit la bouche mais se ravisa, ne sachant quoi dire. Il se gratta le menton.
« Est-ce que tu pourrais m’aider à trouver du travail, s’il te plaît ?
- Evidemment. Je vais t’en trouver un, je te le promets. »
Je le remerciai puis la sonnerie annonça le début de cours. Chacun de nous se dirigea dans une direction différente. Lorsque je me retournai pour le remercier encore une fois, il était déjà loin. Pire encore, la poupée Barbie était déjà pendue à son bras.
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