James reste de marbre, fronçant les sourcils pour me faire croire qu’il ne comprend pas où je veux en venir. Sauf que je le connais et je sais très bien comment il agit pour masquer les apparences. Même si j’imaginais qu’il ne me cachait rien. Pourquoi le ferait-il ? Mais oui, enfin ! Ce n’est pas comme si je venais de découvrir qu’on m’a menti ma vie entière !

En attendant, il reste silencieux face à mes bras croisés et ma question. Et j’ai beau souffler comme un bœuf, il n’a aucune réaction. On est parti pour dormir ici ! Mais ma parole, qui m’a doté de compagnons de voyage tels qu’eux ? En fait… Moi. Je peux me remercier. Enfin, revenons-en à nos moutons. J’ai besoin de savoir maintenant.

— Arrête de te penser invincible, James. J’ai vu ton aura, tu peux la libérer à présent, annoncé-je d’un ton calme et plat qui le désarçonne.

— Quoi ? Comment ? Mais ! Qu’as-tu vu ? Non, attends… Pas besoin de me le dire, de toute façon, nous allons devoir venir aux explications alors autant commencer. Si je camoufle mon aura, c’est pour éviter que les monstres ne me repèrent quand je vais en mission. Et puis, ce sont les chasseurs qui me l’ont appris, dit-il comme un enfant.

— Mais oui bien sûr ! A d’autres ! Je ne suis pas débile !

Pour qui est-ce qu’il me prend ? Il a vraiment pensé que je croirais à son baratin ? Vu le regard qu’il me lance, je dirais que oui. Mais un peu de sérieux ! Ma colère augmente au rythme de tremblements qui prennent possession de mon corps. Je ne me souviens pas du dernier repas que j’ai pris… Peu importe, la question n’est pas là. Un mouvement de tête et je me remets les idées en place.

La première question qui me vient, une fois de plus est, pourquoi me cache-t-il son identité, et surtout pourquoi mentir sur cet élément. Je ne suis pas là pour le tuer. Au contraire, j’essaie de comprendre le méli-mélo qui représente ma vie à cet instant. Et j’espère juste que James va arrêter de tourner autour du pot… D’ailleurs, il soupire encore, et s’appuie contre la voiture, alors que Louis le foudroie du regard. Le message est clair, ces deux-là sont loin de s’entendre.

— Je ne suis pas un chasseur ordinaire, murmure James en relevant la tête vers moi.

Sans blague… Je ne l’aurais pas deviné, dis donc ! C’est vrai quoi, comment j’aurais pu croire qu’il ne soit pas un simple chasseur ? Ah oui, j’ai vu la lumière qui l’entoure. Non, mais il en a d’autres des révélations dans le genre ? Je m’agace, mais je décide tout de même de m’approcher de lui pour me caler, moi aussi, contre l’habitacle de notre véhicule. J’attends la suite maintenant qu’il a commencé.

Le chasseur se racle la gorge, hésite plusieurs fois. Me regarde, tape dans des cailloux, décidément je ne suis pas prête d’avoir les réponses que je souhaite. Je suis pourtant certaine qu’il n’est plus très loin de cracher le morceau. Alors qu’est-ce qui le retient encore ? Mes tremblements reprennent, mais j’essaie d’y faire abstraction surtout quand James plante ses pupilles dans les miennes.

— Tu ne vas pas du tout apprécier, me prévient-il avant de prendre une grande inspiration qui ne me dit rien qui vaille. Depuis tout petit, j’ai dû faire en sorte de ne jamais te quitter, d’être présent à tes côtés, telle une mission. Ma famille… Elle fait partie d’une longue lignée, destinée depuis toujours à protéger l’héritage de la tienne. Et ce précieux héritage, c’est toi.

Je reste sans voix, essayant de comprendre où il veut en venir avec ces quelques phrases. Son récit est un étrange écho à celui de Louis, il y a de ça deux jours. Comme si le même schéma se répétait. Mais c’est impossible ? Non ? Ou alors ma vie est un véritable mensonge, basée sur un entourage qui n’est même pas capable de me révéler les secrets de son identité. Je ne dis rien dans l’espoir d’avoir plus d’explications.

— Il faut que tu saches une règle du monde dont tu fais partie. Chaque famille composant la monarchie à une lignée de protecteur à son service. Donc ton père, le roi Konan issu de la famille K a mis près de toi, Louis et… Ta mère, la reine Kara qui elle est issue d’une seconde famille m’a entraîné pour que je m’infiltre au sein du cercle des chasseurs. C’est la reine qui m’a appris à contrôler mon aura.

— Si, elle t’a mis à mes côtés, pourquoi n’est-elle pas venue me chercher ? m’énervé-je en écoutant James.

— Je… Je ne sais pas, Kiera. Quand elle t’a retrouvé, elle a choisi de me placer-là.

— Ton aura alors ? Pourquoi a-t-elle deux couleurs ?

Je questionne celui qui semble être un inconnu face à moi, mes mains gigotent de façon incontrôlable et je ferme les poings pour tenter de les calmer. James laisse planer notre discussion comme si une lumière allait arriver et l’amener loin du supplice que je lui fais subir. Sauf qu’en y réfléchissant, c’est lui qui a décidé de m’aider alors que je le pensais encore partisan des chasseurs. Alors maintenant, il ne peut s’en prendre qu’à lui.

— Le rouge… C’est pour ma facette chasseur féroce.

Nous y voilà. Enfin ! Ou presque… Il ne m’apprend que la moitié de ce que je veux vraiment savoir. Je connais déjà cette part de son identité, cette part de ce qu’il est. En même temps, comment j’aurais pu passer à côté ? J’ai grandi avec lui comme partenaire, et comme coéquipier de missions. Pourtant, il a su, il savait depuis le début qui je suis…

Mes nerfs, mes pensées, mes sentiments, tous sont tendus, tirés au maximum avant de se briser. Et la limite est proche, le vase est à une goutte de déborder. Les métaphores, j’adore ça, en revanche ce que je déteste, c’est quand les gens qui composent mon entourage évitent de me regarder en face, de me parler, de me dire ce qui se cache derrière toutes ses manigances.

En ce moment, en cet instant, j’hésite. J’aimerais disparaître pour pouvoir mieux réfléchir, mais en priorité, je souhaite comprendre le jeune homme qui se dresse devant moi. Et je ne le pourrais pas tant qu’il ne se décidera pas à me dire ce qui se cache derrière cette lueur bleue, cette lumière qui essaie de prendre le dessus sur le rougeoiement qui l’entoure.

— La couleur flamboyante de ton aura n’est pas ta vraie nature, alors maintenant parle-moi. À quoi correspond ce bleu ? demandé-je en serrant les dents.

— Tu n’as toujours pas compris, Kiera ? Pourtant, tu as déjà vu cette couleur. Oui, tu peux le regarder, tu peux observer le loup que tu aimes tant. Et tu sais au fond de toi, ce que je vais te dire.

— Arrête de faire le conteur ! m’éructé-je en fixant mes yeux sur lui.

— Le bleu est la couleur de la force, de la confiance et aussi celle des… Loups. Je suis une espèce rare, grâce ou à cause du choix de la reine, je suis mi-chasseur et mi-loup, la proie et le prédateur en même temps. Un ami-ennemi si tu préfères. Je suis une contradiction à moi tout seul. Mais ce que je suis vraiment, c’est ton gardien, ton protecteur, ton garde du corps. Le loup qui chassera pour toi les monstres qui te courent après, annonce James en s’agenouillant devant moi.