23. Colère ou jalousie
L’intervention de Lou est inattendue. Lui qui d’habitude contrôle ses pulsions me surprend en laissant ses pensées frapper de plein fouet celles de Kilian. Mais ce n’est qu’en fixant une nouvelle fois mes yeux dans ceux de mon frère, que je comprends là, l’erreur que j’ai eu de croire que cette prise de conscience aller m’aider.
— Tu es sérieuse ? Dupliquer ton pouvoir et l’implanter dans un minable protecteur, tel que lui ? Es-tu au moins consciente des conséquences de ton acte ?
Kilian est hors de lui. Les protecteurs et gardes qui nous entourent, ouvrent leurs bouches de stupeur. Presque trop pour que Lou en reste impassible. La preuve, sa main lâche la mienne et vient se planter dans ses cheveux, qu’il tire en arrière. Merde. Cette histoire semble sentir mauvaise. Pourtant… Cet échange de pouvoir permet à mon loup d’être plus près de moi encore. En quoi est-ce mal ?
— Réponds ! En quoi ce chien mérite-t-il un traitement de faveur ? Il n’est pas sensé être plus qu’un vulgaire bouclier ! Sa vie pour la tienne ! Tu comprends le concept, Princesse ?
Sa voix est de plus en plus dure, de plus en plus forte aussi. Il hausse le ton, me hurle ses pensées à la figure. Elles résonnent dans la cour autant qu’elles me percutent les parois de mon crâne. Ses paroles sont semblables à celles des chasseurs que je côtoie. Ils se ressemblent bien plus qu’ils ne peuvent le penser. Humiliants et discriminants des espèces différentes d’eux. Louis est peut-être un loup, mais lui a su veiller sur moi dans le monde extérieur, le monde des mortels.
Et alors que je restais silencieuse, je sens montée en moi un sentiment d’injustice. Une émotion qui vibre au creux de Lou. Je peux l’observer grâce au lien que j’ai créé entre nous. Elle est si minuscule que j’ai du mal à en percevoir les contours pourtant, elle provoque chez moi une colère amère, comme incontrôlable.
— Arrête de l’insulter, dis-je entre mes dents serrées pour tenter de me maîtriser.
— Pourquoi ? Tu as peur que ton petit chiot soit blessé ?
— Non.
— Alors quoi ?
Son air de défi me pousse dans mes derniers retranchements et alors que Lou essaie de m’attraper par le bras, je saute sur Kilian. Les gardes n’ont pas le temps de réagir que déjà, j’accule mon jumeau contre la porte de bois. Mon coude contre sa gorge, mon genou gauche à hauteur de son entrejambe, je plaque ma main encore libre à côté de son crâne. Un son sourd s’échappe de sa bouche alors que j’appuie un peu plus mon bras contre son cou.
— Je crains que toi, tu ne sois blessé, mon frère. Souviens-toi bien que ce sont les chasseurs qui m’ont élevé. D’ailleurs, où étais-tu toi, pendant tout ce temps ? Planqué ? Oui. Tu te cachais dans ton beau petit palais.
— Ton frère ? intervient Lou qui s’est approché de nous sans que je ne m’en aperçoive.
— Ce n’est pas le moment Lou.
Je grogne. Féroce. Mon contrôle a disparu pour laisser place à la chasseuse. Je ne suis plus une princesse, juste une traqueuse bloquant sa proie. Colère, tristesse et incompréhension se mélange dans ma tête. Ils me possèdent et me transforment en une bête furieuse. Ma frustration est telle que j’en viens à pousser mon genou plus profondément encore contre les bijoux de famille de Kilian.
Cette fois, je lis de la douleur dans son regard. Et les flammes qui illuminaient ses yeux quelques minutes avant s’effacent pour laisser la place à un voile grisâtre. Son humeur est changeante, tout comme la mienne. Cependant, lui est resté ici. Protégé et choyé pendant que sa sœur, la princesse, fut perdue. Enfin… Si on veut. L’étais-je vraiment ?
— D’ailleurs, n’étais-tu pas connecté à moi depuis le début ? Ne pouvais-tu pas me dire que je n’étais pas celle que je pensais ? Ne t’est-il jamais venu à l’esprit d’annoncer à ta sœur, qu’elle était avec ses pires ennemis ? Ne penses-tu pas que tu aurais pu me donner un signe de vie ? Ne serait-ce qu’un mot ?
— Attends, Kiera. Calme-toi.
Tente une fois de plus Lou. Mais cette fois, je n’ai pas le temps d’intervenir. Kilian m’envoie une décharge de pouvoir dans le ventre, ce qui me coupe le souffle. Et il se dégage de mon emprise non sans mal. Ses mains viennent frotter les parties de son corps endoloris par mon maintient. Il se place ensuite entre Lou et moi, avant de faire signe aux gardes d’ouvrir la porte.
— Toi. Le protecteur ne te mêle pas de cette histoire. C’est entre la princesse et moi.
— Sérieux ? Kiera ? Dis-lui de rester tranquille à ce mec !
— Louis, s’il te plait. Entre et attends-moi de l’autre côté.
Je murmure à l’attention de mon protecteur. Et même si je sais que cela ne lui plait pas beaucoup, Lou hausse les épaules et entraîne l’ensemble de mes suivants avec lui. Pourtant, il traîne les pieds. C’est d’ailleurs, lui qui ferme la marche. Dans un dernier regard en arrière, il essaie de décrypter mes pensées, mais elles lui sont fermées. C’est dans un demi-tour qu’il percute l’épaule de Kilian avant d’enfin passer la porte du palais.
— Quel gentil petit toutou que tu as là., ironise Kilian pour attirer mon attention.
— Kilian ! Dis-moi plutôt pourquoi ?
— Pourquoi quoi ?
— Tu le sais ! Pourquoi tu n’as pas engagé la parole avant aujourd’hui ? Pourquoi Lou semble surpris de ton lien de sang avec moi ? Pourquoi tous ces monstres te nomment Monsieur K ? Pourquoi personne n’est au courant de ta vraie nature ? Ils te craignent et pourtant, il me paraît évident qu’ils n’ont pas conscience de ton statut !
Dans ce qui me paraît être une éternité, les yeux de Kilian m’examinent. Passant de mon visage au reste de mon corps. Puis, dans un rire machiavélique, presque vengeur, il m’attire à lui. Colle sa bouche contre mon oreille comme pour accentuer le côté dramatique de ce qu’il s’apprête à m’annoncer. Ses ongles s’enfoncent dans ma peau alors que ses mots me percutent, me traversent sous forme de lames de glaces le long de ma colonne vertébrale.
— A cause de toi, petite princesse.
— Moi ?
— Cacher mon existence était une évidence pour les souverains. Protéger en gardant le secret et en envoyant des protecteurs, là où la princesse avait été placé. Mais comment te récupérer alors que tu étais au milieu des chasseurs ? Leurs ennemis de toujours. Ne comprends-tu pas ? Le roi s’est servi de ses pouvoirs. Effacer pour mieux régner. Sans souvenirs, sans la clé de ton identité, tu ne pouvais pas débloquer tes dons. Enfin… En principe.
— Mais alors ? Et tes pouvoirs ? Certes, je n’étais pas consciente de l’ampleur de mes pouvoirs, mais toi, tu pouvais…
— Non. Tu ne le sais peut-être pas mais chez les monstres jumeaux, les fées de niveaux supérieures comme nous, leurs systèmes génétiques sont presque identiques. Nos gênes féériques s’assemblent, se reflètent, se font échos si tu préfères. Sans toi, je ne suis rien. Sans moi, tu perds de ta puissance.
Voyant que j’assimile ses paroles, sa poigne se fait moins forte. Il me lâche peu à peu et se déplace pour se mettre à mes côtés. Il m’observe un instant avant de placer une main dans mon dos et de me pousser vers l’avant. C’est une invitation à entrer. Pourtant, j’ai encore tant de question. Mais, il semble que si je souhaite avoir des réponses, je vais devoir patienter un peu. D’ailleurs, j’ai à peine le temps de faire quelques pas que déjà la grande porte claque derrière moi.
Dans un geste, Kilian appelle une femme qui passait près de nous. Un chuchotement, un regard dans ma direction et la jeune fée d’eau se fige. Puis, un claquement de doigt de la part de Kilian la ramène à l’instant présent. Elle hoche à plusieurs reprises la tête et s’enfuit à toutes jambes. J’observe ses mouvements. Remarque, que dès qu’elle croise un autre membre des domestiques, ils échangent quelques mots avant de repartir dans des directions différentes dans un affolement lisible.
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