Vue.

2 minutes de lecture

Adel posa sa pioche sur son épaule. Il se racla la gorge, puis se frotta les paupières, avant de sortir la pièce cachée au fond de sa poche. La salissure grasse du charbon avait recouvert le métal. Ses prunelles arrondies par l’obscurité circulaient dans ses orbites, comme les aiguilles dans les cadrans des machines à vapeur.

  • Adel, remonte ! cria l'un des travailleurs.

Ses pieds enchaussés dans leurs bottes de travail frappèrent la pierre. Entre ses doigts, une lanterne éclairait les quelques mètres devant lui, mais elle restait symbolique. Adel n’avait plus besoin de voir pour se repérer. Rapidement la lumière du jour perça le plafond de la mine, et le puits insondable, bordant les escaliers vertigineux, lui apparut. Les iris sombres du jeune homme se confrontèrent au vide et à son coéquipier.

  • Que se passe-t-il ? argua-t-il de mauvaise humeur.
  • Y’a un problème avec la machine.

Adel souffla de fatigue, les rayons du soleil soulignant le massif de rides brunes sous ses yeux. Il se dirigea vers les valves, arpentant avec délicatesse les indicateurs de température.

  • T’vois, c’est dans le rouge, Adel, s’exprima le mineur.

Le jeune homme tapota de ses ongles noircis sur le cadran. La flèche ne bougea pas aussi docilement que prévu. Il commença à longer le mécanisme du regard, laissant cligner ses cils calmement pour garder sa concentration. Les valves, les conduites, les soupapes et les cadrans s’effilochaient petit à petit. Pour quelqu’un qui s’y connaissait, Adel savait que les machines à vapeur n’étaient qu’une bombe à retardement. Néanmoins, il n’avait pas le choix. Le jeune homme se risqua à s’aventurer parmi les tuyaux bouillants, posant ses mains gantées pour comprendre d’où venait le problème. Le travailleur le suivit de près.

  • Tu trouves ?

Adel serpenta docilement dans l’installation, jusqu’à ce que ses yeux se posent sur l’une des soupapes : cette dernière sautillait devant lui, sifflant brutalement sous les panaches de vapeur qui s’échappaient du boyau. Adel desserra l’une des valves, ce qui la fit taire pour de bon.

  • Bravo, p’tit gars !

Le mineur se retourna et ancra son regard irisé dans celui pingre de son coéquipier.

  • M’faut ton calibre, Adel !

Les doigts du travailleur se serrèrent autour de sa pièce d’or, bien au chaud dans sa poche.

  • Pourquoi ?
  • Pas tes affaires…, se renfrogna-t-il. Tu nous as pris le flingue pour pu qu’on tire dans les tuyaux lors des bagarres, mais c’est not’ seul moyen de pression pour pas nous faire dépouiller. Et là, faut que j’agisse, Adel.
  • Faut pas, vieux père, s’expliqua le jeune homme. Les collines sont à cran depuis le meurtre du marchand. Si ça pète dans la mine, ils vont riposter.
  • J’t’ai connu plus téméraire. Oublie pas qu’on s’y connaît en accident d’vapeur, plus que toi, mécanicien.

Adel ne s’y contraignit pas et força le passage. Il n’avait plus le revolver. Le jeune homme avait gravé dans ses iris l’image de la chasseresse : ses traits fins, maquillés et poudrés, sa robe rouge, et surtout son regard pénétrant, des nuages de haine, de fièvre, de folie dissidente, qu’il n’avait jamais rencontré auparavant. C’était elle qui avait l’arme. C’était elle qui avait descendu le bourgeois dans la 12e colline. Et la douille qui avait atterrit sur le pavé parfaitement propre, n’était qu’une vieille balle, salit par le charbon des mines.

Adel n'avait plus qu'une solution: fuir.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Blanche Demay ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0