Une sang mêlée

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_ Vous êtes belle mam'zelle, Lise.

_ Merci Cécé, lui dit-elle alors que celle-ci la regardait avec une sincère admiration au fond des yeux.

Cette robe dite polonaise était en effet une très jolie chose que son géniteur avait spécialement fait venir de Paris. Et même si la mode anglaise inspirerait, car il n'était plus guère d'usage aujourd'hui de porter des robes de grandes parures ; selon les dires de madame Marie-Antoinette, le temple de la mode demeurait toujours dans la capitale Française, au cœur de cette ville magnifique qu'elle n'avait pourtant jamais vue.

Lise s'admira dans la glace quelques instants peu enthousiastes par son reflet.

De taffetas de soie bleu ciel, orné d'un caraco de mousseline, le corsage à manches courtes était portée sur un corset. Fluides, les compères épinglés garnis de ruchés étaient eux aussi de la même étoffe. La jupe également de soie bleue ciel à plis retroussés sur une succession de jupons de taffetas blanc était doublée d'un petit jupon de taffetas en dentelles.

Inutile de mentir, l'ensemble adapté à sa morphologie, était tout particulièrement ravissant et lui donnait une silhouette extrêmement flatteuse. Ces cheveux dorés relevés en chignon plat, ainsi que de discrets bijoux couleur émeraude mettaient en valeur l'éclat de ses yeux verts et la finesse de ses traits. Pourtant, Lise ne cessait de se sentir misérable, car elle savait que cette volupté mise en avant n'avait qu'un seul objectif et son cœur ingénu ne l'acceptait pas.

Alors qu'elle songeait à remercier de nouveau Cécé pour sa mise en beauté, sa mère apparut dans l'encadrement de la porte de sa chambre. Son regard sévère passant d'elle à Cécé, qui comprit le message et détalla très vite sans demander son reste.

Puis, Marie qui s'avançait lentement vers elle, lui lança un regard assassin.

_ Combien de fois devrais-je t'expliquer que tu ne peux être proche de cette esclave, s'empressa-t-elle de lui reprocher glaciale.

À ses mots, Lise sentit sa gorge se nouer et le dégoût lui brûla le ventre, car le ton employé indiquait clairement un déplaisir manifeste et les conséquences qui en suivraient. Elle avait presque envie de jeter à la face de sa mère son ancien statut.

Comment cette femme qui avait connu plus que quiconque la servitude, pouvait décemment mépriser un être humain qui endurait actuellement sa condition antérieure ? Surtout lorsqu'on savait que l'amour et la sensualité n'étaient pas les seules raisons des relations sexuelles entre son père et sa mère.

Comme le disait Nanette la cuisinière, au grand dam de Marie qui n'appréciait guère que l'on parle créole sous son toit :

"_ A défo dè chyen, kabrit ay la chas. (Faute de chien, on emmène le cabri à la chasse)"

En d'autre termes à défaut de femmes blanches sur l'île, son père avait fait comme les autres hommes blancs, jeune et célibataire en succombant à l'attrait de l'exotisme. Et Lise ne se leurrait pas quant à la véracité de ce propos alors qu'elle assistait chaque jour à la relation toxique qu'entretenaient ses parents.

Bien que l'expression de Marie était à cet instant dure et morose, elle n'en avait que faire. Après tout, au vu des rapports froids et distants qu'elles nourrissaient l'une avec l'autre, Lise n'avait jamais eu le sentiment de devoir gagner son estime.

Elle voyait bien au comportement de sa mère que seul comptait son géniteur et qu'elle n'était en réalité pour cette femme qu'un outil qui gardait celui-ci auprès d'elle. Malgré ce constat accablant, son sens du devoir et l'éducation qu'elle avait acquis consciencieusement, l'empêcha de faire preuve d'insolence.

Ravalant ses venimeuses pensées, elle répondit avec une politesse exagérée.

_ N'ayez crainte mère, grée de vos conseils avisés, croyez bien que je ne ferrais rien qui puisse vous mettre dans l'embarras.

Contente, elle acquiesça avant de poursuivre exigeante.

_ Bien entendu ma chère, car votre père a investi trop d'espoir en vous pour que vous gâchiez ses efforts à cause de comportements frivoles. Ce mariage avec Louis Samuel Duflo est un privilège et une chance inespérée qui vous ont été offert gratuitement. Vous, vous devez de prouver à Pierre qu'il n'a pas eu tort en contournant la législation pour votre seule bénéfice ; faisant de vous une héritière légitime bien loin de la sang mêlée que vous êtes.

À écouter ce discours dénigrant, Lise aurait pu quasi penser que sa mère Marie dite Mimi Gafou parce qu'elle était la maîtresse de Fougas, n'était pas ce qu'elle était.

Une femme de couleur, une sang mêlée, une mulâtresse tout autant qu'elle !

Rougissant sous l'insulte, mais sachant toutes discussions inutiles, elle fournit à cette femme pour qui elle avait de moins en moins de respect la réponse qu'elle attendait.

_ Bien sûr, soyez assuré que je ferrais ce que père attend de moi.

_ Je l'espère sincèrement, Lise. Ne lui fait en aucun cas regretter sa décision, dit-elle d'un ton âpre. Contrairement à vous, je n'ai pas bénéficié de ce genre de prérogatives, j'ai dû apprendre seule, alors surtout ne me décevez pas.

Sortant de la chambre sans un regard pour Lise, sa mère héla Léonce.

_ Faites préparer le cabriolet, et conduisez là chez monsieur.

Voir l'attitude de sa génitrice la sidérait davantage, mais que pouvait-elle dire, rien. Elle avait été folle de croire que cette femme aurait été une maman pour une fois dans sa vie. En tout cas, une épaule capable de lui fournir un minimum de compréhension et de soutien. À ce stade, son absence n'en était que bénéfique, car finalement, il semblait que le moment fût venu pour elle de faire face à la première épreuve du reste de sa vie.

Et, s'il en était ainsi au lieu de refuser ce que tout le monde considérait comme une occasion en or, elle allait l'accepter et l'utiliser à ses fins. Elle n'était pas perfide, mais si son amour du devoir lui permettait d'obtenir ce qu'elle voulait alors pourquoi refuser. Maintenant, il restait à savoir s'il était envisageable de faire de ce mariage et de son fiancé des atouts.

Forte de ses résolutions récentes, elle sortit de la maison qui l'avait vue grandir différente de celle qu'elle avait été jusque-là.

Après avoir retrouvé la compagnie de son géniteur et de Marie-Antoinette, le trajet vers l'habitation Duflo se déroula durant trente-cinq minutes dans une tension pesante. L'atmosphère sans doute intimidée à cause du degré d'importance que son paternel accordait à ce moment. Avant de partir, il n'avait cessé de lui dire à quel point, il la trouvait exquise dans sa robe.

En jeune dame qui se respectait, Lise l'avait remercié gracieuse, mais au fond elle n'arrêtait pas de s'interroger espérant que Samuel serait du même avis. D'après le peu d'informations qu'elle avait pu obtenir, son prétendant était loin d'être un rustre. Jeune et bel homme, il revenait tout juste de Paris où il était allé parfaire son éducation. Bien que Pierre se soit chargé de faire d'elle une femme savante, Lise stressait.

Grands propriétaires, les Duflo avaient réussi.

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