Laurent se présenta en costume devant Alain et Elodie. « Vous venez de vous marier? » demanda-t-elle. Il répondit qu'il y avait eu un mariage, mais pas le sien. Cela la réjouit. Il était pressé d'écouter la conversation qu'il prévoyait, il était prêt à l'écouter jusqu'au bout, mais il ne voulait pas que ses paroles, ses réponses, lui, le fils de Laure, le fils du père de Laure, l'empêchent de le faire.

« Parlez, dit-il à Alain, parlez, je veux savoir tout. »

Elodie comprit qu'elle ne pouvait rien pour lui, elle l'entendait.

« Alain, dit-elle, je ne sais rien de tout ça. Je vais voir ma mère demain. Je vais lui dire que vous êtes venu. Si elle m'autorise à vous parler, elle vous dira ce qu'elle a à vous dire. »

Laurent éclata de rire :

« Elle ne vous autorise pas à me parler. Elle ne vous autorise pas à parler à moi. »

- Pourquoi ta mère ne veut-elle pas que nous discutions ? demanda Laurent à Elodie. Je ne suis pas une personne fréquentable à ses yeux ?

Laurent ne répondit pas. Il jouait avec le fusil qu'il avait retourné à son étui, en brandissant les côtes du côté des joues. Il ajouta :

– Tu n'es pas la première personne que j'ai rencontrée, tu sais.

Elodie avait la bouche entrouverte, ses yeux de feu et son regard sévère.

– À quelle occasion?

– La nuit où tu l'as rencontré. Tu te souviens?

– Non.

Elodie ne pensait pas. En tout cas, il lui semblait que l'événement lui était entré dans les méninges sans que sa mémoire puisse se soulever.

Elodie dit à Laurent que sa mère ne voulait pas qu'elle lui parle parce qu'il était homosexuel.

- Ma mère ne veut pas que je te parle parce que tu es homosexuel. Mais c'est pas vrai, je suis pas homosexuel. Je ne suis pas un homosexuel. Je suis une homosexuelle.

– J'ai pas dit que tu étais un homosexuel, mais toi, tu es une homosexuelle.

– Tu sais que je n'ai pas dit ça?

– Non.

– Tu sais que je ne le pense pas?

– Non.

– Je pense que tu me mens.

– Je pense que tu me mens.

– Mais que t'as qu'à penser ça pour que je te parle de ça?

– Mais je t'ai dit que j'ai pas dit ça.

– Qu'est-ce qu'on a dit?

– Tu m'as dit que je n'étais pas homosexuel.

– Ouais.

– Tu m'as dit que tu ne pensais pas que je sois un homosexuel.

– Ouais.

– Mais ça, c'est pas vrai.

– Oui, ça c'est vrai.

– Tu m'as dit ça.

– Je ne sais pas.

– Tu m'as dit ça.

– Je ne sais pas.

– Vous êtes perdue, ma chère, expliqua le fantôme du psy à Élodie. Pourtant, c'est bien logique : vous avez eu un mari, une amante, un amant homosexuel. Vous aimez les hommes, les femmes, les nuggets, les fantômes. Vous n'êtes point hétéro ni homosexuelle. Vous êtes pansexuelle, vous Élodie-Alice-Papa-Océan.

– Je suis perdue, répéta-t-elle, me rendant à l'évidence.

– Je vous le dis, c'est vrai, tu es perdue.

– Mais je ne le suis pas.

– C'est une affaire de psychologie, de psychiatrie. Tu es en train de sombrer dans un délire pathologique, et c'est tout.

– Je ne suis pas en train de me laisser dériver dans un délire.

– Le tout, c'est de savoir qui vous aimez vraiment, reprit le psychiatre. Aimez-vous votre mari Alain ? Votre maîtresse Opale ? Votre amant-fantôme Laurent ? Ou quelqu'un d'autre ? Qui aimez-vous vraiment, Élodie ?

– Ne me posez pas des questions. Ne me posez pas de questions.

– Oui, c'est ce que je fais.

– Je vous aime.

– C'est-à-dire?

– Je vous aime.

– Et c'est le cas depuis combien de temps?

– Depuis un moment, bien sûr.

– Depuis un moment, bien sûr... Vous ne m'aviez pas prévenue, c'est pourquoi je n'y ai pas réagi?

– Je ne sais pas...

– Vous ne vous souvenez pas d'avoir fait cette promesse à mon père?

– Non, je ne m'en souviens pas.

– Vous ne m'avez pas encore dit que vous vous êtes mariée?

– Non, je ne me suis pas mariée.