Âme Prisonnière
Le jeune homme, après être resté une infinité de temps les yeux fermés, se décide enfin à les ouvrir. Il ignore ce qui l'attend de l'autre côté de ses paupières, mais il s'ennuie terriblement. Instinctivement, ses membranes se lèvent.
Tout est si blanc. Comme un univers de neige, mais sans ciel ni toiture. L'homme ne ressent pourtant pas de froid. Il n'a, d'ailleurs, pas de corps, juste une conscience qui voit.
Sa vue est aveuglée. Être passée si soudainement du noir au blanc la déstabilise. L'homme ne sait vers où regarder. Il se tourne, se retourne, ne reconnaissant nullement l'endroit où il a passé l'éternité.
L'être sans corps est dôté de la pensée. Son cerveau se met en marche, enfin. Les engrenages s'ébranlent tout doucement. Il pense, mais il ne sait pas à quoi. Il ne connaît que trop peu pour penser. Ah, si... Il pense au noir. À l'obscurité qu'il cotoyait. À ce monde protecteur qui l'envoutait, qui le faisait voyager dans le néant de son imagination. Maintenant, tout a changé. L'âme pense au noir, dans un monde blanc. Elle regrette. Tente de faire marche arrière. Mais ses yeux n'obéissent pas. Plutôt, elle n'a plus d'yeux. Tiens ? Comment a-t-elle fait pour les ouvrir et changer de décor si soudainement ? Ce questionnement résonne en elle comme le cri existentiel d'un homme en face de sa fin. L'être pensant se sent mal. Il a l'impression que jamais il ne retournera dans son univers protecteur, où réfléchir n'était pas à l'ouvrage. Que faire ? Il pense au noir plus fort que jamais. Mais la lumière blanche qui l'engouffre lui fait peu à peu oublier l'obscurité d'antan. Non, il ne peut pas... Il ne doit en aucun cas oublier d'où il vient ! Il tient bon. Bientôt, un seul point sombre persiste dans ses pensées. Il se concentre dessus, ne le lâchant pas. Il faut absolument qu'il arrive à l'élargir, comme une tâche d'encre sur le papier, jusqu'à ce qu'il recouvre l'ensemble de ses pensées. Plus fort. Courage. Ne pas abandonner...
Il arrive à reproduire ce point dans un coin de sa tête. Et encore un autre. Ils se multiplient à la vitesse de la lumière. Assez vite, ils forment un cercle. Une figure parfaite sur une page blanche. L'âme, toute fière, rêve à présent de voir cette forme gravée à jamais dans ses pensées. Elle se concentre davantage, se contracte, quand soudain, le cercle prend forme devant elle. Il apparaît devant ses yeux comme un dessin à l'encre de Chine. Un soulagement le traverse. Sa conscience peut se rendormir. Il n'oubliera jamais, à présent, il en est certain.
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