Terrasse d'un café, deux amis.

- T'as entendu le type derrière nous qui disait ça :

« Parce qu'en fait Richard m'a dit que sa femme elle est médium et que parfois elle sort de son corps et elle va chercher un esprit et elle le ramène »

- Ah ouais. C'est pas hyper courant effectivement.

- Quoi ? C'est tout ce que ça te fais ?

- Bah. Tu sais des gens bizarres y'en a pleins.

- C'est pas une raison pour s'en foutre.

- S'en foutre non, mais ça sert à rien de les stigmatiser.

- Je les stigmatise pas, je te raconte parce que ça me perturbe.

- Allons bon ! Ça te perturbe.

- Oui. Je trouve ça perturbant de savoir qu'il y a des gens qui sortent de leur corps pour aller chercher des âmes d'autres gens qui n'ont rien demander.

- Mhm.

- Ok. Temps. Ça te fais rien toi ?

- Pas plus que ça.

- Je vois ça.

Plus loin, un type au téléphone.

« - ça fait mal

- …

- ça fait mal

- …

- ça fait mal

- …

- ça fait mal

- …

- ça fait mal »

Deux types passent dans la rue

- Alors, six fois quatre, vingt-huit.. ah non, 26 ? 

- …

Toujours en terrasse

- T'as entendu ?

- Quoi ?

- Le mec, y sait même pas combien font six fois quatre !

- Ah non. J'étais concentré sur le gars de derrière, celui au téléphone, qui répète en boucle « ça fait mal ».

- Ah. Où ?

- Derrière.

- Ça m'interroge.

- Vingt-quatre.

- Quoi ?

- Six fois quatre. Vingt-quatre.

- Mais je sais.

- Je sais pas tu me demandes.

- Non, je m'interrogeais sur le type qui dit « ça fait mal ».

- Ah. Ok. J'avais pas compris.

- Pourquoi six fois quatre ?

- Mais c'est l'autre gars !

- Lequel ?

- Celui qui passait. Il est partit maintenant.

- Hé bah ?

- Hé bah, il a dit six fois quatre, vingt-huit.

- Non. Vingt-quatre.

- Voilà. Six fois quatre, vingt-quatre.

- C'est pas dur en plus.

- Ensuite, il s'est repris, il a dit 26.

- Il s'approche.

- Hmm.

- Il continue.

- De qui ?

- Le gars derrière ?

- Et il continue quoi ?

- A dire « ça fait mal ». écoute.

Derrière.

- Ça fait mal

- …

- Ça fait mal

- …

Terrasse.

- Mais il dit ça à qui ?

- J'en sais rien.

- Tu crois qu'il y a vraiment quelqu'un au bout du fil ?

- Je sais pas. Je l'observe depuis tout à l'heure et je n'ai pas la moindre piste d'explication.

- On dirait qu'il est bloqué. Genre comme un ordi, message d'erreur. 404 error.

- Faudrait le redémarrer, pauvre gars.

- Ah ! L'autre s'en va !

- Qui ça ?

- Celui qui connaît un type marié à une médium.

- Ah, toujours cette histoire.

- Quand même c'est perturbant.

- C'est toujours moins mystérieux que cette litanie « ça fait mal ».

- Moi je trouve ça plus inquiétant. Je préfère un bug informatique qu'une meuf qui rameute des fantômes.

- Des âmes.

- C'est pas pareil ?

- Je sais pas trop. Il doit y avoir une nuance. Genre les fantômes c'est des morts qui veulent pas mourir, ils ont des regrets ou des choses inaccomplies, du coup ils veulent pas quitter notre monde. Et les âmes on en a tous une, donc c'est pas forcément mort.

- Peut-être. J'y crois pas de toute manière.

- Aux âmes ?

- Aux âmes je sais pas mais aux fantômes c'est sûr que non.

- Pourquoi ça te perturbe alors ?

- Parce que je comprends pas que des gens y croient. Et aillent les chercher encore moins.

- Mais elle cherche des âmes pas des fantômes.

- N'empêche, ça me perturbe, si ça se trouve elle communique aussi avec les fantômes en plus des âmes.

- Peut-être.

- C'est perturbant.

Derrière.

- ça fait mal

- …

Terrasse.

- Bon. Il commence à se faire tard non.

- On rentre ?

- oui ?

- Oui.

- Garçon ? Le garçon vient. L'addition s'il-vous-plaît. Le garçon repart.

- Hé ! Psst. Vérifie ce qu'il va te rendre.

- Oh, ça va la méfiance, t'exagères !

- Le serveur !

- Quoi le serveur ?

- C'est le type de tout à l'heure.

- Quoi ?

- Celui qui disait six fois quatre, vingt-huit.

- Ah non, vingt-quatre.

- Oui, six fois quatre, vingt-quatre.