02. Privés de dessert
Arthur
Il va la faire chercher ? Mais c’est quoi, cette invitation ? Il prend bien trop de plaisir à attirer Julia dans ses filets et je ne vois pas comment empêcher l’inévitable d’arriver. Pourquoi est-ce que je suis venu avec elle dans ce guet-apens ?
- Monsieur le Président va se faire plaisir avec ta copine, et toi, tu vas rester tout seul comme un con, Tutur. Tu vas morfler quand elle sera avec lui.
Stupide petite voix qui ne s’arrête jamais de me parler, surtout quand mes émotions prennent le dessus. En tous cas, hors de question que je laisse le Gros Porc que j’ai en face de moi profiter de Julia sans que j’essaie au moins de l’en empêcher. Mais comment ? Je me sens tellement impuissant face à ce qui est en train de se passer, dans ce Palais Présidentiel qui est une prison, et dont les bourreaux s’amusent à nous torturer en souriant niaisement et sournoisement.
- Je ne suis pas sûr, Victor, que vous ayez le temps de recevoir Julia. Maintenant que vous savez qu’elle n’est pas ici pour m’assister, elle va rentrer au campement où elle a du travail, sûrement.
- Ce serait bien dommage, nous avons tant à partager, elle et moi. Vous êtes mon invitée également, Julia, inutile de vous dire qu’un séjour avorté ne me ferait vraiment pas plaisir. Je ne doute pas que vous ayez du travail, mais votre Sergent doit très bien s’en sortir sans vous, surtout maintenant qu’il n’est plus distrait par la vraie chargée de communication de l’ONG.
- Vous êtes vraiment au courant de tout. Je me demande qui est votre informateur dans notre campement. Dites-moi, c’est avec l’argent que vous l’avez acheté ou avec la peur ? J’ai l’impression que vous aimez jouer avec l’un comme avec l’autre indifféremment, le provoqué-je volontairement pour détourner son attention de Julia, dont il détaille chaque courbe, le pervers.
- Parce que toi, tu ne le fais pas, peut-être ? Tu as vu comme elle est bandante dans sa petite robe ? Dès qu’elle bouge, c’est comme si c’était une véritable invitation à la luxure.
Oui, peut-être que moi aussi je la mate, mais moi j’ai le droit, non ? C’est avec moi qu’elle est, il me semble.
- Vous ne vous êtes rien promis, Tutur. Peut-être qu’elle n’hésitera pas à se faire plaisir si l’occasion se présente.
Je secoue la tête et constate les regards amusés du Président et de ses deux acolytes devant mon air et ma mine légèrement perdue. J’ai un peu l’impression qu’ils écoutent mes discussions avec ma petite voix et j’en rougis presque. Je perds en tous cas mes moyens et tout l’effet que j’avais mis dans ma provocation.
- Voyons, Arthur. Je sais bien que de votre bureau, vous n’avez pas grand pouvoir, mais il faut savoir se faire respecter. Quoi de mieux que l’argent et la peur pour parvenir à ses fins ? La preuve ici-même, je crois que je pourrais vous faire faire tout ce que je veux parce que vous avez peur pour votre dulcinée, pour votre campement, pour votre vie.
- Vous voulez vraiment que je vous donne une leçon de management ? Parce que franchement, la peur et l’argent, c’est pas terrible pour obtenir l’adhésion de ceux qu’on manage. Julia pourrait aussi vous donner des leçons, ses hommes la suivraient jusqu’en enfer, alors que vous, c’est seul et abandonné que vous vous y rendrez.
- Il faut s’entourer des bonnes personnes, Arthur. Je n’ai pas dit que je tyrannisais tout le monde. Seulement ceux qui doivent l’être pour marcher au pas. En tous cas, je ne dis pas non à la leçon particulière avec la cheffe du camp, au contraire !
Toujours ces insinuations et sa façon sournoise de parler avec des sous-entendus et des menaces cachées. Je commence à mieux cerner le personnage. Je me demande comment faire pour le manoeuvrer et gérer la situation de manière intelligente. Il faut que j’arrête de réagir avec mes émotions, mais que c’est compliqué ! En tous cas, Julia est déjà dans ce mode de fonctionnement depuis un moment, j’ai l’impression, car c’est elle qui répond alors que l’on vient nous servir un faisan rôti dont les plumes ornent le plat.
- C’est très simple, en vérité, Victor. Il suffit d’être irréprochable, attentif à ses hommes, objectif. Il faut qu’ils aient confiance en vous et sachent que vous ne retournerez pas votre veste pour votre petite personne, que vous les défendrez corps et âme et prendrez une balle pour eux si nécessaire, dit-elle d’un air faussement dégagé. Au final, c’est eux qui se prendront la balle pour vous, eux qui vous suivront peu importe où vous les mènerez, eux qui vous défendront coûte que coûte.
- Vous avez l’air bien sûr de vos hommes, Julia. Vous ne pensez pas qu’ils vous suivent aussi pour profiter de la vue sur votre petit cul ?
Je manque de m’étrangler mais parviens à garder mon calme alors que j’admire Julia qui ne cille même pas à la mention de ses fesses.
- Il faut savoir les récompenser pour leur fidélité, Victor, lui répond-elle après quelques secondes alors que je vois son poing se serrer sur sa cuisse.
Ah, elle est donc bien humaine sous la carapace. Et lui, il a l’air d’être vraiment attiré par la Lieutenant. Peut-être que c’est là son talon d’Achille ? Les femmes ? Ou pour être plus précis, la femme qui est à mes côtés ? Tout à coup, une idée me vient en tête et je me tourne vers l’autre dame de ce repas, la ministre de la Défense, qui est bien silencieuse depuis le début de ce festin. J’ai besoin de vérifier mon intuition.
- Madame Ferdic, comment est la vie auprès du Président ? J’espère que vous en avez profité car il a l’air d’avoir envie de passer à autre chose.
- Je… Pardon ? Mais enfin, le Président et moi ? rit-elle, mal à l’aise, confirmant ainsi mes premières impressions.
- Arthur, ne mettez pas mal à l’aise Madame Ferdic, gronde le Président que j’arrive à énerver avec plaisir.
- Oh, mais vous couchez avec qui vous voulez, Victor. Je vous trouve juste un peu… Indélicat avec Madame Ferdic, la pauvre. Elle est avec vous par peur ou pour l’argent ? demandé-je perfidement.
- Elle est avec moi par choix, et croyez-moi, vous ferez moins le malin quand votre chère Julia choisira de rester ici et de vous abandonner à votre triste sort, cingle-t-il en me fusillant du regard.
Je le laisse savourer sa petite phrase, mais je suis content de voir la Ministre de la Défense toute perturbée. C’est une petite victoire, mais je l’apprécie à sa juste valeur. Le Président n’a plus l’effet de surprise et après la sidération de la rencontre, Julia et moi reprenons un peu de vigueur et de répartie. Le combat a failli se terminer par KO avant même de commencer, mais je crois que Victor Lichtin n’apprécie plus ce repas autant qu’il le faisait en le commençant. Eh oui, Gros Porc, attention à tes saucisses, on va te les faire griller si tu ne fais pas attention.
Il semble en tous cas que j’ai fâché le Président car il est tout irrité et tape son verre sur la table.
- Eh bien, je vois que mon hospitalité n’est pas appréciée à sa juste valeur. C’est dommage, mais puisque c’est comme ça, ce repas est terminé. Je partagerai le dessert avec ceux qui savent l’apprécier. Arthur, vous pouvez retourner à vos appartements. Julia, je crois que vous saurez apprécier le dessert que je vous réserve. Il est très appétissant, plein de crème !
Il éclate d’un rire fou alors qu’un serveur se rapproche de Julia et moi pour me faire signe que le repas est terminé pour nous. Ce con vient de nous priver de dessert, comme si nous étions des gamins mal élevés. Et dire que c’est lui qui dirige le pays ! Nous nous levons et sortons dans un silence pesant avant de nous retrouver dans notre chambre. Alors que j’allais m’adresser à elle, elle pose un doigt sur mes lèvres et m’attire dans la douche qu’elle lance à fond. Je ne comprends pas, puis elle chuchote juste assez fort pour que je l’entende.
- Comme ça, ils ne peuvent pas nous entendre, me dit-elle avec son air de conspiratrice.
- Tu as vu ça dans un James Bond ? ris-je.
- C’est toi, James Bond, je te rappelle, sourit-elle. Moi j’utilise mon intelligence, très vite repérée par le pervers qui me donne envie de vomir.
- Tu vas vraiment aller à son rendez-vous ? m’énervé-je légèrement. Tu sais comment ça va se finir ? Il va abuser de toi !
- Tu crois que j’ai le choix ? soupire Julia en jouant avec le bout de ma cravate. Je n’ai aucune envie de me retrouver seule avec lui, crois-moi, j’ai l’impression que son regard suffit à me déshabiller, c’est horrible.
- Il a l’air sûr de réussir à te séduire. Purée que j’aimerais pouvoir le castrer, ce con. J’ai peur que tu ne puisses pas lui résister, Julia.
- Arthur… J’espère bien réussir à me dépatouiller pour ne pas devoir en arriver là. Je t’assure que finir dans son lit n’est pas dans mon programme, dit-elle, le regard fixé sur sa main qui joue avec ma cravate.
- Promets-moi que même s'il me menace, tu ne céderas pas à ses avances. Moi aussi, je sais me défendre, murmuré-je, inquiet qu’il utilise ses techniques préférées pour arriver à ses fins.
- Ne me demande pas ça, je t’en prie… Je ne peux rien te promettre, tout est trop flou, il est bien trop imprévisible…
- S’il te touche, je le tue. Pourquoi tu es venue avec moi dans ce piège ?
Julia lève les yeux dans ma direction et m’observe quelques secondes avant d’inspirer profondément.
- Parce que te savoir en danger me tord le ventre, que t’imaginer emprisonné m’est insupportable ! Parce que, qu’importe ce que tu peux penser, je veux tout faire pour te protéger, parce que je te suivrais jusqu’en enfer, bordel, s’agace-t-elle avant de soupirer. Parce que je t’aime, tout simplement.
- Tu m’aimes, tout simplement ? Et tu attends d’être presque forcée à coucher avec un autre pour me sortir ça ? Mais bordel, Julia, je m’en fous s’ils nous écoutent et nous entendent, mais moi aussi je t’aime ! crié-je, un peu désespéré. Et je ne veux pas que ce Gros Porc te touche !
- Chuuut, sourit-elle avant de poser ses lèvres sur les miennes. Tu aurais préféré que je te dise ça quand tu sors en douce de mes quartiers ? Entre les chiottes et les douches ? Tu crois qu’il y a un moment idéal pour ça ?
- Je ne sais pas Julia, pour le moment. Je t’aime, c’est tout ce qui compte. S’il t’invite, je viens avec toi ! Et je lui coupe sa saucisse !
- Je te promets de tout faire pour éviter de me faire avoir ou de me retrouver coincée. Et je te promets aussi que… Peu importe ce qui arrive, tout ce qui compte, c’est nous, soupire-t-elle en se lovant contre moi, enfouissant son nez dans mon cou.
Oui, elle a raison. Tout ce qui compte, c’est nous. Dans ce pays de merde en guerre. Avec ce Président tordu et pervers. Nous. Contre le reste du monde. Mais Bordel, s’il se met entre elle et moi, ça va barder.
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