09. Snow, un ami qui vous fait du bien

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Julia

J’ai du mal à quitter la vitre arrière des yeux alors que nous nous éloignons du Palais, comme si j’étais certaine qu’une armée complète allait nous prendre en chasse et nous empêcher de partir. Cette soirée est totalement dingue, hallucinante. A commencer par les allusions écoeurantes de ce porc, sa main mal placée qui m’a fait vriller en un quart de seconde et son regard excité alors que je venais de le gifler. Et puis, le discours d’Arthur, son annonce montée de toute pièce et cette sortie improvisée. Je ne sais plus où nous en sommes, là.

- Y a une arme pour moi quelque part ? Juste au cas où ?

- Bien sûr, sous le siège, Lieutenant. Tu me prends pour un bleu ou quoi ?

- A moitié oui, c’est quoi cette bagnole ? Tu l’as trouvée où ? On aurait été mieux dans un PVP. Là, ça pue pour notre cul.

- Après ce qu’il a subi ce soir, je suis sûr qu’une petite course poursuite ne te dérangerait pas plus que ça, ricane Snow.

Ça ne me fait pas rire, mais alors pas du tout. Lichtin est un putain de pervers, un détraqué sexuel, une menace pour toutes les femmes qui gravitent autour de lui. Les hommes ne se rendent pas compte de ce que ça fait de se faire tripoter comme ça, d’avoir l’impression de n’être qu’un morceau de viande, qu’un corps à disposition de leurs pulsions. En moins de vingt-quatre heures, j’ai eu droit à des allusions appuyées de ce porc à plusieurs reprises, sans parler de ses mains baladeuses hier soir et cet après-midi. J’ai ma dose pour le restant de mes jours de harcèlement et d’agressions sexuelles.

- Dis-moi, tu n’aurais pas pensé à prendre mon treillis, par hasard ? soupiré-je en me calant contre Arthur.

- Non, désolé Ju, j’ai pas pensé à prendre ta garde-robe avec moi, je voulais juste sauver ton petit cul et celui de ton Bûcheron.

- Est-ce qu’il serait possible de ne pas parler de mon cul juste pendant quelques minutes, sérieux ? m’énervé-je. Je ne suis pas qu’un cul, merde !

- Il n’a rien écouté de mon discours, dit Arthur, tout sourire.

- C’est pas drôle, marmonné-je en tirant sur le décolleté de ma robe pour retrouver ma dignité. Vous ne pouvez pas comprendre… Et on est dans la merde, sa vengeance sera terrible. Il va falloir réorganiser les tours de garde et renforcer la sécurité.

- Il n’osera rien, il va même nous donner de l’argent, rigole Arthur. Tu verras, ça va aller !

- Tu parles, une petite bombe sur le camp et il est débarrassé. Tu crois qu’il n’osera pas ? Tu l’as entendu parler ce soir ? Il se croit tout puissant !

- J’espère que tu te trompes, Julia. Il ne ferait pas ça contre son peuple quand même...

- Parce que tu penses que les bombardements sont uniquement dûs aux Rebelles, peut-être ? Arthur, réveille-toi un peu, je t’en prie ! Est-ce que tu vois ta mère ordonner de bombarder des quartiers de la ville ? Moi, non. Lui, en revanche, je n’ai aucune hésitation.

- Il va falloir qu’on protège tout le monde alors…

Bien sûr, et comment on fait, avec cinquante hommes, un camp de tentes et des réfugiés partout ? J’aimerais bien l’y voir, lui, à ma place. Je ne peux pas faire des miracles, on ne vit pas dans une bulle infranchissable. Comment peut-on protéger un camp d’un bombardement ? A part croiser les doigts, je ne vois pas trop quoi faire…

Je me mure dans le silence sur une bonne partie du trajet alors que Snow congratule Arthur et disserte pendant un moment sur son discours. Ces deux-là vont finir copains comme cochons, et leur côté jovial et jemenfoutiste m’agace un peu trop pour que je ne vexe personne si je parle. Trop de choses m’énervent et m’inquiètent pour que j’arrive à lâcher prise, là maintenant.

Mon humeur s’améliore légèrement lorsque nous franchissons enfin les portes du camp. J’essaie de ne pas trop penser au fait que mes hommes vont tous me voir dans une robe sexy et que je risque fortement d’avoir droit à des réflexions, et sors de la voiture, à peine Snow s’est-il garé, pour profiter de l’air frais qui me saisit instantanément. Le campement fait sa vie comme si de rien n’était, et je ne peux m’empêcher de me dire que notre fuite va peut-être causer des dégâts ici, par notre faute.

- Arthur ! crie Lila en débarquant comme une furie pour s’accrocher à lui, un sourire jusqu’aux oreilles.

- Oh Lila ! Je suis content de te voir ! répond-il en la faisant tournoyer autour de lui toujours vêtu de son beau costume.

- T’es trop beau, rit-elle avec son petit accent à croquer. Et toi aussi, Julia !

- Oui, et en plus, on était dans un château ! Tu vois, c’est trop bien d’être grand, dit-il alors que je pense, moi, à tous les ennuis qui viennent avec les responsabilités.

- Un château ? Comme les princesses ?

- Un peu oui, mais c’est le château d’un dragon, d’un monstre qui a failli nous manger tout crus !

Je souris en les observant se retrouver tous les deux, attendrie. Y a pas à dire, ils se sont bien trouvés, le hasard a bien fait les choses. Je sursaute et me retourne vivement en sentant deux mains sur mes épaules, et constate que Mathias a déposé sa veste de treillis sur mon dos.

- Rentre les crocs, Ju, tout roule… Tu es en sécurité, là.

Je soupire et détourne le regard en faisant mine d’observer le campement, mais Snow semble un peu trop bien me connaître pour que ça passe comme si de rien n’était.

- Ça va, j’ai juste besoin de retrouver mon armure, ris-je nerveusement.

- Je crois que tu es en train d’essayer de trouver un bouclier anti-missile, et il n’y en a pas ici. Moi, je dis, on cache les réfugiés sous les vaches dans l’étable et tout ira bien. Détends-toi, on va trouver une solution, Ju. On en trouve toujours.

- Il y a bien la cave de la maison, mais jamais on ne pourra faire rentrer tout le monde. Ce qu’on a fait aujourd’hui peut causer la mort d’une centaine de personnes, Snow, je ne sais pas comment tu peux déconner, moi j’y arrive pas là.

- Ju, calme-toi ! Tu sais que d’habitude, j’ai toute confiance en toi ? Là, j’ai pas encore la solution en tête. Toi non plus. Mais d’habitude, tu fais quoi quand la situation a l’air désespérée ? Tu te lamentes et tu pleures en stressant ? Ben non, tu t’assois, tu convoques les autres, tu réfléchis, et ensemble on trouve une solution ! Alors, bordel, arrête de paniquer, le gars va pas nous bombarder ou nous attaquer ce soir. Donc, ça laisse le temps de réfléchir. Convoque les anciens du camp, l’équipe de Food Crisis, les soldats en qui tu as confiance, et on va la trouver cette solution ! Merde, Ju, redeviens la Lieutenant que je respecte et adore !

- Je ne me lamente pas, bougonné-je, je viens juste de passer vingt-quatre heures avec le Diable, tu permets que je prenne cinq minutes pour digérer les choses ? La Lieutenant s’est fait traiter comme un morceau de viande et a fortement envie de cogner, je te préviens, me cherche pas trop.

- Oui, cheffe. C’est noté, répond-il froidement avant de s’éloigner, visiblement fâché de voir que je n’écoute pas ses conseils.

Je redeviens moi, là, non ? Et il boude… Comme si j’avais besoin de ça, déjà qu’il a raison, je suis en train de me lamenter et ça m’agace. Il faut que je me reprenne, et vite, et ça commence par un retour à la normale. J’abandonne Arthur dans les bras de Lila et passe par mes quartiers pour virer cette robe et récupérer de quoi me doucher. Je redeviens la Lieutenant en enfilant mon treillis et ça fait du bien.

Quand je sors de mes quartiers et pars faire un tour sur le camp, j’ai encore les idées embrouillées mais, au moins, ce n’est plus le côté pervers du Président qui me parasite, simplement les mots de Snow qui résonnent dans ma tête. Il faut que nous nous réunissions pour réfléchir à la suite, il a raison.

Je le retrouve dans le réfectoire, en train de boire un café, seul, et m’installe face à lui avant de lui piquer une gorgée de ce breuvage plus que tiède qui me fait grimacer.

- Excuse-moi pour tout à l’heure… Je crois que Litchin m’a un peu trop touchée, au propre comme au figuré, mais ce n’est pas une excuse.

- Ouais, je sais, je voulais juste te secouer un peu, Ju. Pour que tu redeviennes la pro que tu as toujours été, c’est tout. Désolé si j’y suis allé un peu fort.

- Non, c’est sans doute ce qu’il me fallait, même si ça m’a donné envie de te frapper. Je sais que tu es capable d’empathie, mais… Sincèrement, je crois que je préfère me retrouver sous les tirs ennemis plutôt que de supporter ce genre de personnages. Vraiment, il est fou et… Merci d’être venu nous chercher, nul doute que je serais passée à la casserole sinon. Il est tellement fourbe que je n’aurais pas eu les moyens de me défendre, dans le genre manipulateur et détraqué. Bref, je me lamente encore, ris-je.

- Ouais, mais tu le fais avec classe, là, c’est quand même mieux ! rit-il en se moquant un peu de moi, sa colère déjà oubliée.

- Tu sais que je me demande tous les jours ce que je ferais sans toi en mission ? Enfin, le dis pas aux filles, elles se croient essentielles mais, après mûre réflexion, c’est toi mon essentiel pour ne pas partir en vrille.

- Je sais. Sans moi, tu n’aurais aucun fantasme inaccessible, je comprends que tu aies besoin de moi, sourit-il visiblement de meilleure humeur.

- Mon pauvre, si tu savais de quoi je rêve, m’esclaffé-je alors que je suis sûre que je rougis.

Impossible d’oublier ce rêve des plus érotiques où je me suis retrouvée avec Mathias et Arthur pour une partie de jambes en l’air endiablée.

- Bref, pas la peine de me poser de question, continué-je, tu ne sauras rien.

- Tu rêves de moi alors que tu n’as qu’à me donner des ordres pour que je m’exécute ? Mais c’est fou, ça !

- Je n’ai jamais dit que je rêvais de toi, Beau blond, tu fais des suppositions, là ! C’est pas parce que tu aurais pu faire Mister Univers que tout le monde rêve de t’avoir dans son lit non plus.

- Et si je fais Mister Univers, tu crois que je gagne ou que c’est le Bûcheron qui remporte la mise ?

- Si la mise, c’est moi, désolée mais je vote pour le Bûcheron, souris-je. Et même si tu gagnes, c’est avec lui que je repartirais. Mais tu serais son premier Dauphin, va !

- C’est déjà ça. Tu devrais proposer de faire une animation comme ça dans le camp, ça marcherait du tonnerre !

- Quelle idée ! L’homme objet ? Aussi peu mon truc que la femme objet, ris-je avant de reprendre mon sérieux. Mathias, il faut que je t’avoue un truc…

- Tu veux m’avouer quoi ? Que tu aurais aimé prendre la place de Justine si tu avais su que je pouvais m’attacher à une nana ?

- Peut-être bien oui. Si je suis totalement honnête, je crois que j’en ai pincé pour toi à une époque. Mais c’était avant qu’on se retrouve coincés ensemble en mission. Et puis te voir sauter tout ce qui bouge m’a refroidie, et je n’avais pas envie de bousiller ce que nous avions tous les deux pour une partie de jambes en l’air.

- Tout ce qui bouge ? Non, juste les meufs, Ju, juste les femmes, vraiment !

- Tu ne sais pas ce que tu perds, ris-je. Bref, trêve de plaisanterie… Il est possible que je ne rentre pas avec toi en France, Mat’... J’ai fait une demande officielle pour prolonger ma mission ici de six mois supplémentaires...

- Tu penses vraiment qu’ils vont accepter ta demande à l’Etat Major ? me demande-t-il, incrédule. Et mince, et moi alors ? Je ne peux pas te laisser ici toute seule. Mais il y a Justine qui m’attend en France. Tu sais que tu es folle des fois ?

- Je ne te demande pas de rester, soupiré-je. Et rien n’est fait, de toute façon, j’attends une réponse. Mais je ne me vois pas rentrer et reprendre ma petite vie, vu le merdier actuel…

- Oui, mais ça vaudrait peut-être mieux pour toi, tu prends tout tellement à coeur ici. Tu sais aussi bien que moi que c’est pour ça que les missions sont limitées à six mois. Pour éviter qu’on ne s’y implique trop émotionnellement.

- Mets-toi à ma place trente secondes, je t’en prie… Je sais que je m’implique trop, mais... Tu aurais voulu partir si Justine était restée ? Si elle était dans la position où se trouve Arthur ? Tu la laisserais là, avec une équipe que tu ne connais pas, en sachant que le Gouvernement veut l’utiliser, que la guerre s’intensifie ? Parce que je n’arrive pas à m’y résoudre, moi...

- Je comprends, Ju, me répond-il alors que je me sens transpercée par la clarté de son regard. Mais si tu restes, je reste aussi. Je ne peux pas t’abandonner après tout ce que nous avons vécu à deux !

Je l’observe quelques secondes en silence, touchée par ses mots. Quand bien même une part de moi s’attendait à ce genre de réactions, je m’attendais surtout à me faire engueuler, je l’avoue. La fidélité de Snow envers moi est vraiment émouvante, et je peine à masquer mes émotions, je crois.

- On n’en est pas encore là, mais je veux que tu saches que je ne t’en voudrais pas si tu rentres alors que je reste, vraiment, Mat’. Ton petit cœur de glace a enfin fondu, il faut que tu en profites.

- Oui, ben si c’est vraiment la bonne, elle peut attendre six mois de plus, Ju. Si je te laisse ici seule avec le Bûcheron, je vais te retrouver enceinte dans les six mois ! Tu imagines le scandale ?

- Tu crois que tu pourrais m’empêcher de tomber enceinte ? ris-je. Je ne vois pas en quoi ta présence changera quoi que ce soit, mon chou.

- Mon chou ? Voilà ce qui va t’empêcher de tomber enceinte ! L’idée que si tu fais ça, tu n’auras plus ton petit chou pour t’offrir des cafés car il sera furax !

- Tu ne veux pas devenir Tonton ? Je suis sûre qu’on ferait de beaux bébés en plus !

- Oh Ju, toi aussi ton petit cœur a fondu ! Tonton, quelle idée ! Mais oui, vous allez nous faire de magnifiques bébés. Mais après la mission, d’accord ?

- Bien après la mission, même. C’est pas du tout au programme de ma vie avant un moment, au grand dam de ma mère. Bref, je suis soulagée que tu ne m’en veuilles pas, mais réfléchis bien avant de te décider à demander à rester, d’accord ?

- C’est tout réfléchi ! Mais promis, j’attends quelques jours avant d’envoyer ma demande. Qu’on laisse passer d’abord toute cette merde ici.

J’acquiesce et me penche sur la table pour l’embrasser sur la joue.

- Tu vois, on a bien fait de ne pas coucher ensemble, dis-je en lui faisant un clin d'œil. J’aurais sans doute été déçue, et tu aurais baissé dans mon estime alors que tu es très haut au-dessus des autres, mon chou !

Je lui tire la langue et me dirige vers la sortie alors que je l’entends me rétorquer que je devrais tester la marchandise avant de critiquer. J’ai bien fait de venir le rejoindre, j’avais grandement besoin de me changer les idées, et quelle meilleure solution, hormis une étreinte passionnée avec mon Bûcheron, que de plaisanter avec mon meilleur ami ?

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