18. Panique et cacophonie

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Arthur

Depuis que j’ai prévenu les réfugiés, c’est le grand n’importe quoi dans le camp. Il y a des gens qui courent partout, des cris, des pleurs, et une agitation folle. Tout le monde est en train de rassembler ses affaires et, contrairement à ce que j’ai pu dire à Julia, je ne gère rien du tout. Je me demande comment rattraper les choses alors que les minutes passent et que l’heure du bombardement se rapproche inexorablement.

- Respire ! Calme-toi, Tutur. Ils ont besoin de quelqu’un qui mette de l’ordre ! Allez, compte jusqu’à dix et tu verras, ça ira mieux.

Rien n’y fait, j’ai beau essayer de me calmer, je sens l’adrénaline qui ne me laisse aucune chance de me poser. La pression est tellement forte que j’en perds tous mes moyens jusqu’à ce que je sente une présence et de douces mains qui se saisissent des miennes. Je lève les yeux et le regard que je croise a cette capacité quasi mystique de m’apaiser. Immédiatement, mon rythme cardiaque ralentit et je retrouve l’accès à mon cerveau. Julia me demande alors ce qu’elle peut faire pour m’aider.

- Oh Julia, je crois que j’ai un peu merdé, là. C’est le bordel, ici.

- Peu importe la façon de faire, c’est logique que ce soit le bordel… Grimpe sur le capot du camion et explique-leur qu’on commence à partir dans trente minutes. Que nous avons largement le temps, qu’ils doivent se diriger vers les camions quand ils sont prêts, et qu’on ne laissera personne ici. On va faire un convoi à pied aussi, pour emmener les animaux. On ne laisse vraiment personne ici, tu vois ? sourit-elle.

- Tu sais que le Commandant a accepté de partir aussi, mais il ne veut pas aller à la Grotte ? Il veut garder le camp en restant à proximité avec quelques hommes au cas où le Président attaquerait. Je n’ai pas réussi à le convaincre davantage. Mais pour les autres, je vais faire comme tu as dit. Grâce à toi, le stress a diminué...

- Bien… Tu pars à pied ou avec un camion ?

- On verra ce qu’il reste à la fin, je ne pars pas avant que tout le monde soit en sécurité.

Je n’attends pas sa réponse et retourne au camion qui m’a amené ici. J’appuie comme un malade sur le klaxon pour rameuter tout le monde, ce qui a le mérite de calmer un peu l’agitation. J’attrape le mégaphone et je commence à parler en Silvanien. Comme l’a suggéré Julia, je demande à tout le monde de se calmer et de se rassembler.

- Bon, ça suffit ! Arrêtez donc cette agitation inutile ! La Grotte ne va pas se sauver à ce que je sache ! On va tous pouvoir s’y mettre à l’abri, alors calmez-vous !

Je suis surpris d’entendre quelques petits rires nerveux et de voir que les gens se regroupent petit à petit autour de moi.

- Alors, l’armée française a tout prévu ! On se réunit près de l’entrée du camp, on fait la queue et on a largement le temps de tous monter dans leurs camions. La Lieutenant vient de m’informer que même les vaches sont du voyage ! Alors, maintenant, je veux voir de l’ordre et du calme ! Le prochain qui crie, je le mets de corvée de nettoyage des bouses de vache ! C’est compris ? Allez, quand vous êtes prêts, vous allez à l’entrée du camp, et moi, je vais faire le tour du camp pour m’assurer que personne ne reste ici ! En route, les amis !

Je fais signe à Julia de me suivre, je suis prêt à m’élancer vers le bout du camp.

- Viens, Julia, si tu es d’accord, on va faire le tour de toutes les tentes en commençant par là-bas pour rameuter tout le monde et les faire aller vers le point de ralliement.

- Je te rejoins, Arthur, il faut que j’aille voir le Commandant. Tu crois que Lorena peut m’accompagner pour traduire ?

- Oui, je lui ai demandé de mettre Lila en sécurité, mais elle a dû le faire maintenant. Dis-lui de venir avec toi, mais je te préviens, tu ne le convaincras pas de s’éloigner très loin d’ici.

- Ce n’est pas mon objectif, ça tombe bien. A tout de suite, Beau Bûcheron, dit-elle en m’embrassant sur la joue.

Je me demande ce qu’elle a en tête, mais n’ai pas le temps de me poser plus de questions que ça. Je me précipite vers la première tente, aide la jeune femme qui s’y trouve à finir de rassembler ses affaires et lui dis d’aller au point de rassemblement, ce qu’elle fait sans trop rechigner. Je continue ainsi de tente en tente, avec des personnes et familles qui sont de plus en plus prêtes, ce qui me fait gagner du temps. J’entends le bruit des camions qui partent et reviennent dans un ballet incessant. J’ai l’impression que tout se passe bien de ce côté-là. Par contre, il y a une véritable cacophonie du côté de l’étable. Je m’y précipite rapidement afin de comprendre ce qu’il s’y trame. Il est déjà onze heures et le temps presse.

J’y retrouve Julia en pleine discussion avec Snow et Léna, la fermière. J’ai l’impression que c’est au tour de Julia de perdre un peu ses nerfs et de crier sans faire avancer les choses. Je pose ma main sur son bras, ce qui laisse le temps à Léna d’exprimer ce qu’elle a à dire.

- Les vaches ont peur de tout le bruit dans le camp. On n’arrive pas à les faire bouger ! Il faudrait trouver le moyen de calmer toute cette agitation !

Je traduis rapidement afin qu’ils puissent se comprendre, mais cela ne fait rien pour calmer les deux officiers français.

- Non, Léna, réplique Snow, Julia a dit d’abandonner les animaux, on les abandonne ! Un ordre, c’est un ordre !

Pas besoin de traduire, la fermière comprend tout de suite ce qu’on lui demande.

- Si les animaux restent, je reste aussi, répond-elle, têtue et bornée.

La situation semble bloquée et je constate que Julia s’impatiente vraiment.

- Je m’en occupe, Julia. Assure-toi que le convoi de ceux qui partent à pied soit prêt, on vous rejoint dès que possible.

- On fait comme ça, soupire-t-elle. Qu’est-ce qu’ils sont têtus, les Silvaniens, bordel !

- Ouais, mais on est en train de réussir, Julia. Grâce à toi et à ta préparation, les trois quarts des gens sont déjà partis !

- Hum… Ce sera une réussite si tout le monde s’en sort.

- On n’y est pas encore, mais on a déjà limité les dégâts. Je me charge des vaches, j’ai mon idée.

- Bien. Je file donner des armes au Commandant. On se voit bientôt. Bon courage, tu vas en avoir besoin mais, je t’en prie, ne t’acharne pas, ne risquez pas votre vie pour des foutues vaches aussi têtues que les habitants de ce pays.

Je suis surpris de ce qu’elle vient d’annoncer. Des armes pour des civils ? Soit elle perd vraiment la tête, soit elle a décidé de prendre des risques. Toujours pris par l’enchaînement des événements, nous n’avons pas le temps de creuser la question. L’heure avance inexorablement. Je me précipite dans l’étable et récupère des tissus que je passe autour des yeux des vaches, les rendant ainsi aveugles. Je me souviens de ce que nous avions fait pour les faire venir, et un paysan avait utilisé cette technique lorsque l’une d’entre elles s’était montrée récalcitrante. Léna me regarde avec de grands yeux, mais lorsque la vache se décide à avancer, elle sourit. C’est parti pour rejoindre le convoi.

Je retrouve ainsi Julia, Lorena et quelques hommes devant l’entrée du camp. Il ne reste plus grand monde dans les lieux, les soldats ont fait des merveilles. Le convoi des réfugiés qui partent à pied vient de sortir et nous ne sommes qu’avec le Commandant et une partie des hommes qui souhaitent se positionner à proximité avec lui.

- Arthur, on est bon, vous pouvez monter, c’est le dernier trajet… Y a du matériel dedans aussi, désolée pour le confort, mais comme on a un peu de marge, on a pris le maximum de choses, me dit Julia en enfilant son gilet pare-balles.

- Tu ne viens pas, toi ? On monte ensemble, non ?

- Je défends le fort avec le Commandant, me répond-elle sans me regarder, finissant de s’équiper. On se retrouve plus tard…

- Julia, tu ne peux pas faire ça ! C’est une folie ! Si tu restes, je reste aussi !

- Hors de question ! Je suis une militaire, Arthur, tu sais, de ceux qui aiment tirer, tout ça, tout ça. Le Commandant a raison, on ne peut pas se laisser marcher sur les pieds comme ça. Et si on peut infliger un minimum de dégâts à l’armée pour montrer à Lichtin qu’on ne restera pas là sans rien faire, ça me va. Il y a du mouvement au loin, je suis sûre que ce sont ses hommes. Quant à toi, tu rejoins la grotte, tu rassures tout le monde et tu fais des bisous à Lila de ma part. Je t’en prie, ne discute pas, mets-toi en sécurité…

Cela ne me plaît pas, mais je dois me plier à ses demandes qui sont raisonnables. Il faut que j’aille m’occuper de Lila et des autres réfugiés, c’est ça ma mission ici.

- Oui, Lorena, Lila est partie avec quel convoi ? Elle est avec qui à la Grotte ?

- Elle était censée être avec Julia, elle m’a dit qu’elle partait avec elle, me répond la jeune femme, très inquiète alors que je me tourne vers la Lieutenant.

- Mais… Je ne l’ai pas vue de la matinée ! Comment j’aurais pu trouver le temps de m’occuper d’elle ? Bordel, c’est pas possible, ronchonne Julia en se précipitant dans la cabine du camion.

Je la suis, espérant que Lila soit montée dans l’un des convois, et entends grésiller la radio du véhicule.

- Ici la Lieutenant Vidal. J’ai besoin de savoir si la petite Lila est avec l’un de vous. Nous ne savons pas où elle est. Qui peut me confirmer qu’elle est avec lui ?

- Pas ici, Lieutenant.

- Nous non plus, on ne l’a pas vue.

- Pas de Lila avec les vaches, Ju, intervient Snow.

Je croise le regard de Julia et nous nous comprenons en un instant. Si elle n’est pas avec les hommes qui sont sortis, c’est qu’elle est encore dans le camp. Et si elle est ici, elle risque de se faire bombarder. Je regarde ma montre, il est déjà douze heures trente. Le délai est écoulé, et d’une minute à l’autre, les bombardements vont commencer.

- Je retourne dans le camp, il faut que je la retrouve.

- Tu n’es pas sérieux ? Tu as vu l’heure ? Prends le camion et va le garer plus loin, à l’abri. J’y vais, moi…

- Non, je ne pars pas sans elle. Commandant, vous pouvez y aller, pas la peine de prendre plus de risques que nécessaire. Je vous rejoins dès que possible. Julia, tu peux aller avec le Commandant, je retrouve Lila et j’arrive.

- Tu déconnes ? Je ne pars pas non plus sans Lila ! me crie-t-elle, comme si je l’avais vexée. On se sépare pour couvrir plus de terrain !

Le Commandant fait signe à ses hommes de le suivre et je me retrouve, seul avec Julia, dans ce campement vide. Lila est là quelque part, nous le savons tous les deux. Je m’empare d’une radio et je suis Julia qui s’est déjà élancée vers le bâtiment principal du camp. Il nous faut absolument retrouver la petite fille. S’il lui arrive quelque chose, je ne me le pardonnerai jamais.

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