20. Une bombe et ça repart

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Arthur

Lila s’est assoupie, Julia a aussi rejoint le royaume des rêves, mais moi, je ne dors pas. Dans cette cave froide et sombre, sur ce matelas, aux côtés des deux personnes qui comptent le plus dans ma vie, je réalise que pour cette petite fille, j’ai risqué ma vie. Et que pour cette jeune Silvanienne, je ne suis pas le seul à l’avoir fait. Et cela m’entraîne vers des horizons que même ma petite voix n’a pas explorés. Julia n’a pas hésité un instant à se joindre à ma quête folle pour retrouver Lila. Elle a risqué sa vie et, sans elle, pas sûr que nous nous en serions sortis indemnes. Pas sûr que Lila serait encore vivante. Toutes ces pensées tourbillonnent dans mon esprit alors que j’entends au loin le bruit de l’avion qui nous a bombardés s’éloigner enfin. J’observe la jolie femme qui est à mes côtés et contre laquelle s’est blottie Lila, ses petits bras autour du cou de la Lieutenant. Une grande bouffée de tendresse m’envahit et des larmes me montent aux yeux. Je ne les retiens pas, à quoi bon ? Je suis le seul éveillé et personne ne peut me voir dans cette obscurité à la fois terrifiante et rassurante.

- Toc ! Toc ! C’est moi. Tu sais que si es dans cet état, Tutur, c’est à cause du choc et du traumatisme ?

Je le sais, oui, mais nous sommes quand même passés pas loin de la mort. La mienne ne me fait pas peur, mais je réalise que je suis effrayé par celle des personnes que j’aime. Je sens mes larmes continuer à couler sans s’arrêter sur mes joues. Je retiens mes sanglots, je ne veux pas faire de bruit et risquer de réveiller Julia. Je ne pense pas qu’elle dorme vraiment, finalement, je crois que sa manière à elle de gérer les émotions, c’est de fermer les yeux et d’essayer d’oublier le monde alentour. Je ne veux pas la déranger, mais j’ai besoin de lumière, de sentir l’air frais de l’après-midi pour me sentir vivant. Profitant de la pénombre, j’essuie mes joues et me frotte les yeux avant de me lever. Julia est tout de suite sur le qui-vive, son arme à la main.

- Ça va ? murmure-t-elle en se redressant doucement. Tu as entendu quelque chose ?

- Oui, ça va. Je ne peux plus rester ici, sous terre. C’est tout. J’ai besoin d’aller respirer. Tu crois que c’est bon ? J’ai entendu l’avion s’éloigner.

- Je ne sais pas… Je vais aller faire un tour, voir s’il n’y a pas de danger. Tu peux tenir encore quelques minutes ?

- Julia… J’ai pas envie que tu prennes de risques inutiles à cause de moi. Reste, je peux attendre.

- On ne va pas rester là éternellement. Et puis… Je veux savoir si tout le monde va bien, et j’imagine que Snow panique déjà et compte débarquer ici comme un bourrin. Donc ce ne sont pas des risques inutiles. Est-ce que je dois ajouter que je déteste les espaces clos ? Moi aussi j’ai envie de sortir d’ici...

Je réfléchis rapidement. Je sais qu’elle a raison, mais je n’ai pas envie de la laisser s’éloigner de ma vue. J’ai envie d’y aller avec elle, mais on ne peut pas laisser Lila seule ici. Et la Lieutenant est clairement plus à l’aise que moi, une arme à la main, même si j’ai pu lui démontrer que je savais moi aussi m’en servir et me défendre. Je soupire.

- Oui, vas-y, dépêche-toi. Si la voie est libre, on va sortir rapidement de là. Je n’aime pas me cacher comme ça sous terre.

- Bien M’sieur, dit-elle en s’équipant de tout son barda. Referme derrière moi et n’ouvre à personne, surtout. Enfin, je sais pas pourquoi je te dis ça, je me doute que tu ne comptes pas faire une porte ouverte.

- Je n’ouvre qu’à toi. Enfin, si une autre Lieutenant plus mignonne frappe, je ne sais pas si je vais résister à la tentation d’ouvrir, dis-je en retrouvant la possibilité de sourire un peu.

- Je vois… Sache que je n’hésiterais pas une seconde à la massacrer, Beau Bûcheron ! Pour toi, je ne sais pas encore, mais elle, elle ne ressemblera plus à rien, sourit-elle avant de venir m’embrasser.

- Allez, va faire ton petit tour et reviens vite me libérer, Wonder Woman. La princesse et le Bûcheron attendent leur héroïne, dis-je en la poussant gentiment vers la sortie, non sans avoir profité de ce petit baiser plein de tendresse.

- Je vois. On ne vit même pas encore ensemble que tu me mets déjà à la porte, Zrinkak. Tu devrais avoir honte ! A tout de suite…

Je la regarde s’éloigner alors qu’un peu d’air frais entre dans la cave. Je referme la trappe à clé comme elle me l’a demandé et reviens vers Lila pour me coucher à ses côtés. Cette petite est incroyable. Il fait noir, même en plein milieu de l’après-midi, elle dort. Ce n’est pas à moi que ça arriverait, ça, de pouvoir oublier ce bombardement d’un claquement de doigts, et surtout la peur que j’ai ressentie de perdre ce petit ange tout mignon.

Quand de grands coups se font entendre, je ne peux m’empêcher de sursauter et Lila pousse un cri. Je fais signe à la petite de se taire et me précipite vers l’échelle que je gravis rapidement. Pourquoi on n’a pas convenu d’un signal ? Là, j’ouvre la porte prudemment en espérant qu’il s’agit bien de Julia et, lorsque je la vois, je me remets à respirer alors que je ne m’étais même pas rendu compte que j’avais retenu mon souffle. Je finis d’ouvrir la trappe et fais signe à Lila de nous rejoindre. Julia reste au-dessus de nous et je lève mon regard vers elle. J’en profite pour me rincer l'œil et admirer ses courbes que le treillis ne cache absolument pas avec mon angle de vue.

- Alors, on peut y aller ?

- Oui, ta mère a dit qu’il n’y avait plus de danger. Pour le moment, tout du moins…

- Ma mère ? Elle est là haut avec toi ? OK, tu me dis quand ce cauchemar s’arrête que je puisse me lever et reprendre cette journée de bon matin sans tous ces soucis !

- Mais non, gros bêta ! Je l’ai eue à la radio, elle veut te parler. Je crois qu’elle doute que j’aie réussi à garder son fiston en vie, rit-elle.

- Bien, il faut que j’aille rassurer ma maman alors. Tu viens, Lila ? Il est l’heure d’aller voir l’étendue des dégâts. Julia dit qu’on peut sortir, tout va bien.

- C’est sûr ? me demande la petite en se frottant les yeux.

- Ouep, Wonder Julia a ouvert la route. On peut lui faire confiance !

Je l’attrape dans mes bras et rejoins Julia qui nous attend près de la porte. Je lui souris. La panique que j’ai ressentie quelques instants plus tôt s’est évanouie, remplacée par une profonde colère contre ce Président qui n’hésite pas à mettre en danger la vie de ses concitoyens, contre cette ordure qui n’hésite pas à les tuer pour se faire de la publicité sur leur dos, pour ce porc qui pense qu’il est intouchable et qu’il peut faire ce qu’il veut.

Lorsque je sors à l’air libre, la luminosité ambiante et l’atmosphère qui s’en dégage contrastent avec le spectacle qui s’offre à nos yeux. Je n’ai pas l’impression que le bombardement ait été très efficace, mais les endroits où les bombes sont tombées sont dévastés. Je repose Lila sur le sol et la regarde s’avancer dans sa jolie robe rouge vers les ruines d’un abri en bois qui a explosé. L’image qu’elle donne, de son innocence devant cette dévastation, est émouvante et je me saisis de mon téléphone pour immortaliser cet instant. Mon appareil ne sert pas à grand-chose ici au milieu des montagnes, mais au moins, il fait de belles photos.

- Tu me passes ta radio, Julia ? Je vais rassurer ma mère. Et lui dire que le Président ne sait même pas viser. Tu as vu le peu de choses qui sont détruites ? Tout ça pour ça…

- Peut-être qu’il a un semblant de coeur, finalement, marmonne-t-elle en me tendant son gros téléphone satellite. Ne traîne pas trop, s’il te plaît, je n’ai pas encore contacté Mathias… Enfin, tu pourras rappeler Marina quand tu veux, évidemment.

- Peut-être qu’il est juste aussi habile à la guerre qu’à séduire une femme, grommelé-je en trifouillant l’appareil pour comprendre comment joindre ma mère. J’appuie sur le bouton rouge, là, ou ça va tout faire sauter ?

- Le vert, Arthur, rit Julia en me prenant l’appareil des mains. Comme un portable, vert pour appeler, rouge pour raccrocher. Tiens, j’espère que tu es prêt, ta mère a l’air d’avoir fumé un truc, elle est à moitié hystérique.

- Arthuuuuuuuuuur ! crie-t-elle alors que je viens d’appuyer sur le bouton d’appel, confirmant ainsi les dires de Julia.

- Oui, Maman, je suis là, soupiré-je devant tant d’énergie. Tout va bien pour toi ? On dirait que tu es un peu énervée.

- Mais bien sûr que je suis énervée ! Tu ne l’es pas toi ? Difficile de ne pas l’être avec ce fou au pouvoir ! Tu vas bien ? Tu es en sécurité j’espère !

- Je suis avec Julia, tu veux qu’il m’arrive quoi ? J’ai l’armée française à mon service, Maman.

- A ton service trois pièces, oui, mais tu faisais quoi sous les bombes ? Ton héros de pacotille ? Non mais, tu vas voir, toi, quand je vais te retrouver, ce sera la fessée même si tu as dépassé l’âge !

- Arrête Maman, peut-être que j’aime ça, ça te surprendrait, tiens !

- Tu fais bien ce que tu veux, s’esclaffe-t-elle. Je suis sûre que ta militaire adorerait te mettre la fessée ! D’autant plus que tu la mérites !

- Bon, tu es rassurée ? Je ne vais pas monopoliser le téléphone pour ces bêtises.

- Attends, mon p’tit loup. Juste pour te dire que le Commandant et moi, on arrive. Je dois vérifier que tu n’as pas de bobos, mon bébé. A tout de suite !

Elle raccroche et je vois Lila morte de rire en train de me regarder, tout penaud, le téléphone à la main. Ma mère arrive ? Elle est avec le Commandant ? Mais qu’est-ce qu’elle fait là ? Je jette un œil à Julia qui hausse les épaules, l’air de dire que c’est de ma mère qu’il s’agit et qu’avec elle, plus rien ne la surprend. Je lui rends le téléphone alors que Lila tire sur le bas de ma chemise pour attirer mon attention.

- Elle t’a appelé bébé, Mamie ! Tu es un bébé et elle va te mettre la fessée ! s’écrie-t-elle en riant aux éclats.

Je ne peux résister et après toute la tension de ces derniers instants, je me joins à elle alors que Julia m’enlace en souriant. Nous sommes tous les trois réunis, au milieu de la poussière et des ruines, en train de rire alors que nous venons d’échapper à une vraie catastrophe. Grâce à l’intervention de ma mère, même les vaches s’en sont sorties indemnes. Peut-être que quelques poules n’ont pas survécu, mais grâce à elle et grâce au professionnalisme de Julia, tout le monde s’en sort sain et sauf. Le Président n’a qu’à bien se tenir, avec des ennemies comme ça, il va galérer pour s’imposer.

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