29. Nouvel homme fort
Aujourd'hui, Lecossais et moi avons marché sur les pas d'Albane et Julien en visitant le château de Falaise, où Julien a emmené ses enfants pour fêter l'anniversaire de Gabin dans Nouvelle Chance.
C'est rigolo de se retrouver là-bas, franchement. Merci Guillaume le Conquérant !
__________________
Julia
- Je vais tout vous expliquer.
J’aimerais bien, oui ! Je l’observe avancer dans la pièce sans même jeter un œil au cadavre encore chaud à mes pieds, et le Général m’enjoint à m’asseoir sur le canapé alors qu’il se pose dans le fauteuil en face. Je reste sur le qui-vive, d’autant plus qu’il pose son arme sur l’accoudoir alors que je m’installe sans le quitter des yeux.
La situation en serait presque rocambolesque. Le Général de l’armée silvanienne, conseiller du Président, qui le trahit et le tue. Bon sang, est-ce que je suis dans un film, là ? Allez, on respire Julia, tu ne vas faire que discuter avec un mec qui vient de tuer son Président, avec le cadavre dudit Président à quelques mètres de toi.
- Est-ce que je dois craindre pour ma vie ? Au moins, je saurai qui me tue, je ne me prendrai pas une balle dans le dos, c’est déjà ça…
- Vous n'avez rien à craindre, Lieutenant. Maintenant que cette crapule perverse n'est plus de ce monde, votre féminité est en sécurité. Je ne suis pas fou comme lui, vous savez.
- Vous m’en voyez ravie… Mais vous venez quand même de l’abattre, ça n’est pas vraiment rassurant. Qu’est-ce qu’il va se passer, maintenant ?
- Maintenant que le monde est débarrassé de cette vermine, on va pouvoir remettre un peu d'ordre et d'honneur en Silvanie. Entre militaires, on peut être franc. Il faut de la discipline et de l'autorité pour que les choses reprennent leur cours normal, n'est ce pas ?
- Je ne sais pas… Pour être honnête, je crois qu’un peu de respect et de considération pour le peuple serait plus efficace que de la discipline pour la suite. Vos concitoyens sont meurtris et malheureux.
- J'aime votre vision des choses, Lieutenant. Que diriez-vous de devenir ministre du Peuple dans le Gouvernement que je vais former après les élections que je vais organiser ?
- Attendez, vous voulez organiser des élections ? Mais vous allez quand même présider ? Je suis perdue, là.
- Vous êtes plus naïve qu'il n'y paraît… L'armée va organiser un processus de transition démocratique. En lien avec l'ONU. Tout le monde pourra voter, ne vous inquiétez pas, voyons. Mais vous voyez vraiment un autre candidat que moi s'imposer ? Surtout si j'explique que c'est moi qui ai mis fin aux atrocités de Lichtin. Ce camp dont vous avez réussi à découvrir l'existence, c'est une véritable horreur ! Et le meilleur moyen de me positionner en tant que protecteur de la Nation si je le ferme !
- C’est vous qui êtes bien naïf, si je peux me permettre, Général, ne puis-je m’empêcher de rétorquer. Vous avez accompagné Lichtin pendant des années, les Silvaniens ne vous feront pas confiance aussi facilement.
- Oh oui, quelle horrible trahison envers son ami, son confident, envers l'armée. Quelle tromperie de cet homme ! Moi, si intègre, si honnête, je suis la victime dans l'histoire. Tout est affaire de communication. Et cela vaut aussi pour vous, Lieutenant, rajoute-t-il d'un ton clairement plus menaçant.
Je soupire et ferme les yeux un instant. Bon sang, cette petite mission de dingue est partie en sucette et je ne m’étais pas du tout préparée à ça. Qui aurait pu imaginer ce qu’il vient de se passer ?
- Qu’est-ce que vous attendez de moi, alors ?
- Vous êtes quelqu'un de raisonnable, j'en suis sûr. Une militaire comme moi dont l'objectif est d'apaiser les choses, me confie-t-il d'un ton mielleux. J'attends de vous une complète discrétion. Ce serait dommage de devoir éliminer quelqu'un de courageux et dévoué comme vous. Ou de devoir m'en prendre à vos chers réfugiés…. Vous pensez pouvoir être discrète ?
- Je vois que les menaces sont monnaie courante dans ce pays… Comment voulez-vous que je reste dans mon coin sans savoir ce qui attend le camp ? Et ce pays ? Vous vous rendez compte qu’humainement, savoir toutes ces choses et ne rien pouvoir en dire, c’est… Bordel, Général, qui me dit que vous ne serez pas pire que Lichtin ?
- Je vous demande simplement de ne pas remettre en cause la version officielle. Lichtin a eu un accès de folie meurtrière et été abattu par un soldat pendant cette crise. Pas très loin de la vérité, jusque là, si ?
J'opine du chef, attendant la suite.
- Quant à moi, vous avez ma promesse et mon engagement sur l'honneur que je vais laisser le camp et les humanitaires tranquilles. Vous pouvez me faire confiance, les élections seront démocratiques et le pouvoir sera rendu au peuple. Ordre et honneur, Lieutenant, c'est ma devise.
- Vous laisserez les humanitaires tranquilles… Arthur Zrinkak inclus ? Même si la Gitane fait des siennes ?
- La Gitane ne va plus faire des siennes, voyons. Elle va avoir des élections à préparer ! Et tenez, comme gage de ma bonne foi, vous pourrez dire à votre soldat, Morin je crois, que le Président est mort et que sa famille ne risque plus rien. Le pauvre, il devait être si angoissé…
Je mets un temps à comprendre ce que vient de dire Ankhov, qui s'amuse de ma perplexité. Son petit sourire, même s'il n'a pas la perversité et la folie de celui de Lichtin, me donne quand même la chair de poule.
- Je… Bon sang, marmonné-je en jetant un œil en direction du corps sans vie de Lichtin. Cet enfoiré a menacé l’un de mes hommes pour obtenir des informations, c’est ça ?
- Oh non. C'est plus perfide que ça, voyons. Vous êtes dans la cour des grands ici. Il a organisé une série d'accidents qui ont touché sa fille et on lui a demandé de nous tenir au courant pour que ça s'arrête avant que ça ne devienne fatal. Quelle torture pour lui de devoir vous trahir ainsi. Il a même essayé d'arrêter une fois, mais quand sa fille s'est faite renverser par un motard, il a cédé. Lichtin était un pro pour faire craquer les gens. Bon débarras, vraiment. On va pouvoir remettre tout dans le bon sens ! Vous voyez que vous pouvez me faire confiance.
A cet instant, je prends la mesure de ce dont le Président était réellement capable de faire, et des risques qu’ont encourus tous nos proches à cause de ce dingue. Il aurait pu faire du mal à ma famille pour obtenir ce qu’il voulait. Finalement, le pire n’aurait pas été de me retrouver à devoir lui tailler une pipe, bordel.
Je me lève et me dirige vers le bar pour me servir un verre d’un truc qui doit être du whisky si j’en crois le goût amer et la chaleur qu’il laisse sur son passage. Pas mauvais, mais il m’en faudrait plusieurs pour éteindre mon cerveau et apaiser mes idées, là.
- Est-ce qu’il a menacé d’autres personnes ? Est-ce que… Le Colonel Germain aussi, n’est-ce pas ?
- Oh, le Colonel était plus coriace. Heureusement qu'il a ce penchant pour les films pornos un peu déviants, sinon Lichtin n'aurait rien pu faire. Tout le monde a ses faiblesses, vous voyez. Il faut en finir avec ce régime de corruption. La démocratie est de retour en Silvanie !
- Je confirme, soupiré-je en me servant un second verre. Je n’ai cependant pas réussi à trouver la faiblesse de ce pervers, hormis peut-être les femmes… Et l’obsession pour le pouvoir. Bref… Donc, je repars et on fait comme si de rien n’était ?
- Rien n'est, de toute façon. Juste quelques histoires politiques malheureuses internes à la Silvanie. Et vous avez un camp à gérer. Moi, j'ai un pays à relancer. Nos routes ne devraient plus se croiser, Lieutenant. Vous pourrez juste vous féliciter et raconter à vos petits enfants comment vous avez fait partie de l'Histoire et assisté à la naissance de la démocratie en Silvanie.
- Très bien… Mais ne me la mettez pas à l’envers, Général, parce que ce dossier sera révélé sans aucune hésitation. Et si c’est Lichtin qui était le décideur de ce qu’il s’est passé, vous n’avez pas non plus la main innocente.
- Je suis Général. Vous devez bien savoir, en tant que militaire, qu'on ne peut pas toujours être fier de toutes les opérations ! Et vous verrez dans l'allocution de ce soir que je vais tout dire à notre peuple. La communication est maîtrisée !
- Bien, je vais regagner le camp alors… Espérons que ni vous ni moi n’ayons à regretter ce qu’il s’est passé dans ce bureau, dis-je en récupérant mon sac. La ministre Ferdic risque d’être déçue de ne plus pouvoir s’envoyer en l’air avec son Président.
- Oh je crois qu’elle va vite l’oublier et se consacrer à quelqu’un de plus…. Vivant comme moi !
- Sans doute… Eh bien, Général, je vais regagner mon chez-moi, si vous le voulez bien. vous pensez que je vais pouvoir récupérer mes armes à l’entrée ?
- Bien entendu. Et je vais demander au soldat Kubiak de vous ramener. Ça lui manque de passer vous surveiller au campement.
- C’est bien aimable, mais je suis venue par mes propres moyens, et je ne doute pas que certains de mes hommes aient trangressé mes ordres et soient près du Palais, juste au cas où. Je ne pense pas rentrer seule.
- Bien, faites comme il vous plaira, j’ai du travail, moi. Une petite allocution pour les médias du monde entier.
Il me fait un signe avant de faire venir des soldats pour récupérer le corps de Lichtin. Alors que je sors, je le vois se désintéresser totalement du cadavre et s’installer au bureau du défunt Président avant de se mettre à écrire. Quelque chose me dit que le Général n’attendait que ça, de finir à cette place, et j’ai en tête ce que me disait le Capitaine Torchet lorsqu’il est rentré au pays, blessé : on sait ce qu’on perd, mais pas ce qu’on retrouve. Espérons qu’on y gagne vraiment au change.
Annotations