46. Le Bûcheron en déraison

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Arthur

Je suis dévasté par ce que je viens de voir à la caméra. En fait, c’est Nathalie qui avait raison. A peine rentrée, elle est déjà dans les bras d’un autre. Et quel autre ! Ce gars est un véritable Apollon ! Sa tenue, ses mots, tout ça ne laisse pas de place aux doutes. Il a déjà dû bien en profiter, le bougre ! Et moi qui me faisais une joie de la retrouver en visio. Quel con je fais.

- Ouais, tu es vraiment con. Tu aurais pu lui laisser le temps de s’expliquer, non ? Tu crois vraiment qu’elle t’aurait pris en visio avec son amant à côté ? Il doit y avoir une autre explication.

L’explication est claire. Le gars, il a une bite de taureau et un cerveau de moineau. Et elle en a profité, un point c’est tout. Quand j’imagine ses mains sur elle, cela me révolte. Me donne envie d’hurler.

- Dis Arthur, pourquoi tu as tout coupé aussi vite que ça ? me demande Lila, toute innocente et visiblement frustrée de ne pas avoir parlé plus à Julia.

- Je crois que Julia avait autre chose à faire que de nous parler. On n’allait pas l’embêter quand même ?

- Oh, je voulais lui parler, moi. Tu me dis quand tu l’appelles encore ?

- Oui, je te dirai. Va donc retrouver Lorena. Tu vas avoir ton cours de français bientôt.

Quel lâche je fais. Parce que je ne suis pas près de la rappeler, Julia. Cela fait trop mal. J’ai l’impression que tout mon corps a été transpercé par les flèches d’une troupe d’apaches qui s’est entraînée sur ma dépouille sans vie. Bref, je divague, mais putain que ça fait mal. Cette image de ce mec à moitié nu qui l’appelle “Beauté” reste gravée dans mon cerveau alors que je sors de ma tente. Je suis surpris par le soleil de ce début d’après-midi. La vie ne s’est pas arrêtée à l’extérieur alors que j’ai l’impression que tout est fini et que mon cœur ne battait plus.

- Tu es vraiment, vraiment con. Rappelle-la et expliquez-vous ! Qu’elle te dise au moins en face que c’est fini. Écoute-toi, tu en meurs d’envie, Tutur.

La rappeler ? Pour quoi faire ? Pour m’entendre dire que c’est fini ? J’ai bien compris, ça. Pas besoin d’être devin pour me faire une idée. D’ailleurs, ça doit être pour ça qu’elle voulait faire cette visio. Pour mettre un terme à notre relation. Elle devait vouloir faire ça de manière douce, mais son abruti de gigolo a tout mis en l’air.

- Il faut dire que tu n’as pas la musculature du gigolo. Tu imagines bien que vu comme elle est belle, Julia, elle peut se faire tous les mecs qu’elle souhaite. Tu ne fais pas le poids, toi.

Me revoilà plongé dans la même souffrance que j’ai connue suite à la découverte de la tromperie de mon ex avec ses commandants et co-pilotes. Cela s’était produit presque de la même façon en plus. A croire que je suis maudit dans les visios. L’image du bel Apollon se superpose à celle du pilote arrivé dans la chambre de mon ex avec sa seule serviette sur les épaules. Je crois que c’est ça le pire. Alors que je m’étais promis de ne plus jamais faire confiance à une femme, j’ai replongé comme un adolescent innocent. Et me voilà dévasté.

- Ça va, Arthur ? Ça fait un quart d’heure que tu es debout devant ta tente sans bouger, comme si tu avais vu un fantôme !

Je me retourne et vois mon fidèle second, Dan, qui s’approche de moi. Il me connaît assez bien pour comprendre d’un simple regard que je ne vais pas bien et son air concerné me rend encore plus coupable de me mettre dans de tels états pour une femme alors que j’ai une mission à accomplir.

- Ouais, ça va aller, Dan. Tout roule, dis-je en me rendant compte moi-même que je ne suis pas du tout convaincant.

- A d’autres, Arthur. Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Mais rien, je te dis. Tout va bien. Le camp n’a jamais été aussi bien tenu, m’agacé-je.

- Ok, dit-il en levant les mains comme s’il s’excusait. Comme tu veux. Si tu as besoin de parler, je suis là, c’est tout.

- Parler de quoi ? Je t’ai dit que tout va bien.

J’ai conscience d’aboyer, d’être injuste avec Dan qui ne cherche qu’à m’aider, mais je n’arrive pas à m’en empêcher. Et il me connait bien car, au lieu de s’éloigner, il s’approche de moi et me regarde sans rajouter un mot, en attendant que je me confie à lui. Nos yeux se croisent et il tient tête à mon regard plein de défi.

- T’es chiant, Dan. Tu le sais, ça ?

- Je sais, c’est pour ça qu’on s’entend si bien. Je t’écoute.

- C’est Julia. Elle s’est déjà trouvé un autre mec. Elle m’a fait le même coup que mon ex. Jusqu’au mec qui apparaît à moitié nu dans la visio, tu imagines ? Je suis maudit, Dan. Jamais je ne serai heureux en amour.

- Attends, vous aviez rencard visio et elle était avec le gars ? Elle me paraît plus futée que ça, la Lieutenant. C’est vraiment pas malin si c’est le cas. T’es sûr que c’était son mec ?

- Ben, il l’a appelée “Beauté” et était en caleçon, tu crois pas que c’est clair ?

- On l’a appelée Joli Cul au début et aucun de nous ne se la tapait, rit-il. Elle est jolie, c’est comme ça. Tu sais bien que les surnoms, ça ne veut rien dire.

- Vas-y, dis moi que tu as déjà appelé Julia “Joli cul” devant elle ? Non mais, j’y crois pas qu’elle ait pu me faire ça. En tous cas, j’ai raccroché direct, tu peux me croire !

- Bien sûr, plutôt que de vous expliquer, c’est tellement plus simple. Arthur, enfin ! Elle était pas à la mer avec Myriam ce weekend ? Si ça se trouve, c’est le mec de Myriam, tu sais bien qu’elle saute sur tout ce qui bouge, elle. Et elle le fait bien, je peux t’en assurer même si tu n’y as jamais goûté, toi.

Je regarde Dan et me sens tout à coup comme un con. Myriam. Mais pourquoi n’y ai-je pas pensé ? Julia est avec son amie à la mer ! Ça pourrait tout expliquer. Mais pourquoi ma petite voix ne m’y a pas fait penser avant que je ne dérape comme je viens de le faire.

- Tu sais que je ne suis que l’expression psychiatrique de ta folie, Tutur. Je ne fais pas de miracle.

Dan me regarde, consterné.

- J’ai merdé, hein ? Je fais quoi, là maintenant ?

- Ben tu rappelles, gros bêta, s’esclaffe-t-il. La queue entre les pattes. Enfin… Tu t’excuses et tu demandes des explications, quoi.

- Elle va m’envoyer bouler. Elle a sa fierté et je crois que je viens encore une fois de marcher dessus, Dan. Elle est peut-être même allée se consoler avec l’Apollon de la visio.

- Mais non. Essaie, tu n’as rien à perdre. Et si vous ne tenez pas une semaine à distance, c’est que vous n’êtes pas faits pour être ensemble. Oulah, me voilà conseiller conjugal, rit-il doucement. Allez, Arthur, rappelle-la.

- Oui, je vais essayer tout de suite. Merci, Dan ! Je suis con, peut-être, mais au moins j’ai des amis qui m’aident à l’être un peu moins !

- C’est bien connu qu’être amoureux ne rend pas intelligent, se moque-t-il. Tu ne fais pas exception à la règle, c’est tout.

Je ne le salue même pas alors qu’il s’éloigne et rentre vite dans la tente où je rallume l’ordinateur et lance le système de communication fourni par l’ONG. Je rappelle Julia et ne peux m’empêcher de pousser un soupir de soulagement quand elle répond dès la deuxième sonnerie et que sa tête apparaît à l’écran. Elle semble super énervée, mais au moins, elle n’a pas fui l’échange. A peine connectée, elle m’attaque direct.

- Tu comptes m’accuser d’avoir causé la guerre en Silvanie aussi, tant qu’on y est ? Bordel Arthur, le mot “confiance”, ça te parle ?

- C’est qui ce type, Julia ? Dis-moi que ce n’est pas ce que ça donnait l’air d’être, s’il te plaît, la supplié-je presque.

- Rémi ? C’est le propriétaire de la maison qu’on a l’habitude de louer avec Snow. Et accessoirement le jouet sexuel de Myriam depuis deux ou trois heures. Tu veux savoir autre chose ? Tu comptes réagir aussi stupidement à chaque fois que tu verras un homme dans le champ de la caméra ? Parce que j’ai deux frères, et que je bosse dans un environnement masculin, je te rappelle.

- Et tous les mecs t’appellent “Beauté” ? Excuse-moi, Julia, tu viens juste de me faire revivre le moment où j’ai découvert que mon ex me trompait. Mon cerveau a disjoncté. Ce n’est pas une excuse, je sais. Je n’aime pas cette séparation.

- Arthur, soupire Julia, apparemment moins énervée. Je t’assure qu’il ne se passe rien avec Rémi. J’ai bien envie d’être honnête avec toi, mais j’ai peur que tu me raccroches encore au nez. On a couché ensemble y a quelque temps, c’est tout, rien de plus. Et rien de prévu à l’avenir, promis. Je t’en prie, c’est difficile pour moi aussi cette séparation, tout simplement parce que je t’aime. Fais-moi confiance, je ne suis pas ton ex, je mesure la chance que j’ai de t’avoir trouvé.

- Tu dois me trouver trop con, non ? Désolé si je t’ai blessée avec mon manque de confiance, et merci d’avoir répondu quand je t’ai rappelée. Mais pourquoi tu es avec moi alors que tu as des Apollon comme ce type qui ne demanderaient qu’une chose, te mettre dans leur lit ?

- Heu… Laisse-moi réfléchir une seconde, sourit-elle. Tu es beau, intelligent, respectueux, tu as du caractère, tu es un vrai distributeur d’orgasmes. Il faut que je continue la liste ? Parce que la dernière ligne est la plus importante, écrite en gros caractères : je t’aime, Zrinkak, alors arrête d’angoisser pour rien.

- Moi aussi je t’aime, Julia. Et je ne veux pas te perdre. Je te promets de faire un effort pour la confiance, j’en fais déjà d’ailleurs, même si ça ne se voit pas trop. Oh Julia, il faut qu’on se revoie vite ! Je vais voir avec Dan pour qu’il gère à ma place quelques jours et venir dès que possible. Peut-être en début du mois prochain ?

- Quand tu veux, Chéri, mais ne traîne pas trop, tu me manques. Et, sans vouloir te coller la pression, ma belle-sœur a cafté à ma mère, qui a cafté aux hommes de la famille. Autant te dire que s’ils savent que tu es dans le coin, tu vas faire la rencontre de la famille Vidal même si tu ne le veux pas, rit-elle.

- Ah oui ? Tout le monde est au courant chez toi aussi ? Moi, ma sœur, elle m’a dit que si tu faisais ta harpie comme mon ex, elle te tuerait de ses propres mains. Tu es prévenue aussi.

- Eh bien, entre ta mère cinglée et ta frangine menaçante, je suis bien dans la merde ! s’esclaffe-t-elle avant d’afficher un doux sourire. Il faut qu’on communique, Arthur, c’est pas facile la distance, mais je suis sûre qu’on va y arriver. Je ne pense qu’à toi, vraiment. C’est long et difficile, tu me manques, mais ça ne veut pas dire pour autant que je vais me jeter dans les bras d’un autre.

- Je sais, soupiré-je. Au fond de moi, je le sais, mais tu sais, quand mon ex m'a quitté, ça a été un profond traumatisme. Et j’ai toujours un peu de mal à m’en remettre. En tous cas, promis, Beauté, dis-je en insistant sur le petit surnom, je vais faire un effort de communication.

- Bien, Beau Bûcheron. Je comprends, vraiment. Et si ça peut te rassurer, moi aussi j’ai déjà été trompée, tu sais. Je ne souhaite ça à personne, et j’ai été élevée par un père qui nous répétait sans cesse “ne fais pas aux autres ce que tu ne voudrais pas qu’ils te fassent”. Je t’aime trop pour te faire souffrir en connaissance de cause, Beau gosse.

- On se rappelle demain soir ? Comme ça, tu pourras souhaiter bonne nuit à Lila et tu seras tranquille chez toi pour qu’on puisse discuter sans qu’un mec à moitié nu débarque ?

- Oui, on fait ça. Tu l’embrasses de ma part, d’accord ? Et embrasse Snow aussi, soupire-t-elle. Ah… Et ne dis pas à Mat’ que Myriam s’éclate avec Rémi, sinon il risque de ne pas être content. Elle est censée être en mission pour m’aider, au lieu de quoi elle gémit bien trop bruyamment pour mon apaisement mental.

- Promis, ma chérie. Je t’aime. A demain.

- Pas autant que moi, Bûcheron d’amour, sourit-elle avant de m’envoyer un baiser. A demain soir.

Je raccroche et souris bêtement. Cette femme est vraiment exceptionnelle. Plus jamais je ne m’autoriserai à douter d’elle ou de nous. Nous allons vaincre cette épreuve comme nous avons réussi tous les challenges depuis notre rencontre. Nous nous aimons et ce sentiment est plus fort que tout.

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