62. Minauderies d'une Néo-Sivanienne
Arthur
Sylvia est assise en face de moi et son air inquiet me fait de la peine. Elle ne s’était sûrement pas rendue compte avant d’être confrontée à Kubiak que le pays est vraiment en guerre. Ce ne sont pas des vacances dans lesquelles elle s’est lancée, mais dans une vraie aventure qui finira bien, je l’espère. Mais les risques sont là, bien réels. Les fusils chargés des militaires qui nous entourent dans le camion en sont la preuve tangible. J’observe par l’ouverture le chemin que nous prenons et je suis pour l’instant rassuré de voir que nous avons pris la direction du camp.
Un des soldats n’arrête pas de lancer des regards concupiscents à ma sœur. J’ai envie de lui dire d’arrêter mais il me devance en s’adressant directement à Sylvia en Silvanien.
- Tu es une fille de chez nous, non ? Tu n’as pas envie de découvrir ce qu’un garçon bien du coin sait faire à une jolie femme comme toi ?
Je le fusille du regard alors que Sylvia lui répond en français.
- Je ne parle pas Silvanien, désolée. Et encore moins à un militaire qui menace d’une arme des gens qui n’ont rien fait de mal, marmonne-t-elle en jetant un œil à son fusil.
- Je disais, Demoiselle, reprend-il dans un français un peu hésitant, que tu es belle et je veux un rendez-vous.
Il insiste sur ce mot qui, dans notre langue maternelle, ne laisse aucun doute quant à ses intentions qui vont au-delà du simple bisou. Je me demande si je dois intervenir mais Sylvia ne m’en laisse pas le temps.
- Pas intéressée, dit-elle en lui collant sa main gauche sous les yeux. Mariée. Et heureuse.
- Ton mari est pas là. Et si tu étais heureuse, tu serais avec lui, pas avec nous, continue-t-il en se penchant vers elle pour venir semble-t-il l’embrasser avant que son supérieur ne vienne l’en empêcher du bout de son fusil, arborant un regard réprobateur.
Cela signifie qu’ils ont des ordres et que nous n’allons pas finir violés ou torturés, c’est déjà ça. C’est une bonne nouvelle, même si je vois à l’air outré de ma sœur qu’elle a encore vraiment beaucoup à apprendre sur nos concitoyens. Surtout ceux qui sont dans l’armée. Le reste du voyage se passe sans plus de soucis mais dans un silence de plomb. Lorsque nous descendons devant la porte du camp, je constate qu’il y a toute une garnison silvanienne installée devant l’entrée principale. Cela a plus l’air d’un peloton d’exécution ou d’un système de surveillance de prison que d’une protection. Vu le nombre de soldats présents, il y a de quoi renverser tout le camp, et je constate que Snow a fait renforcer les murs d’entrée. J’ai l’impression que le camp s’est transformé en château fort assiégé, mais heureusement, nous n’avons pas à en faire le siège ou à forcer notre chemin car la porte s’ouvre et c’est Nathalie qui vient à notre rencontre pour nous accueillir.
- Ravie de te revoir, Arthur. Je commençais à m’ennuyer de toi. Je ne savais pas que tu serais accompagné, par contre. Qui est cette dame ?
- C’est ma sœur, Snow ne t’a pas prévenue ? Tu as fait des bêtises pour qu’il ne te fasse plus confiance ? demandé-je perfidement.
- Snow est très occupé. Bonjour, sœur d’Arthur, moi c’est Nathalie, une amie, dit-elle en appuyant sur le dernier mot tout en tendant la main à Sissi.
- Moi, je suis Sylvia. Une amie, dites-vous ? Étrange que mon frère ne m’ait jamais parlé de vous.
- Eh bien, il devait être trop occupé avec sa Lieutenant, soupire-t-elle en me jetant un regard que je n’arrive pas à déchiffrer.
- Oui, Julia me manque déjà, mais tu peux me dire ce qu’il se passe ici ? demandé-je alors que la porte se referme derrière nous. Vous vous êtes retranchés ? Il y a des menaces ? Comment vous faites pour aller chercher de nouveaux réfugiés ?
- On y va sous escorte silvanienne. Enfin bon, nous ne sommes sortis qu’une fois cette semaine. Le Général a resserré la vis de partout, c’est la mort.
- Pourquoi fait-il ça ? Il joue au Président ou quoi ?
- Je n’en sais pas plus, il faut voir avec le Chef Snow. Je ne suis qu’une petite subalterne, marmonne-t-elle. Tout ce que je sais, c’est que l'État d’Urgence a été décrété et que l’on ne peut plus rien faire.
- Eh bien, on a bien choisi notre moment pour te faire venir, Sylvia, lui dis-je alors que nous arrivons près du bâtiment principal.
- Tu crois que je vais pouvoir voir Maman quand même ?
- Je ne sais pas, il faut qu’on demande à Snow ce qu’il en pense. Les choses ont beaucoup évolué sur ma semaine d’absence. J’espère qu’elle va bien, en tous cas.
- Arthuuuuur ! crie une petite voix qui me met le cœur en joie. Tu es revenu ! Youpiiiiii !
Lila court vers moi et me saute dans les bras. Elle m’enlace et me couvre de bisous alors que je peine à rester debout. Je ris pour la première fois depuis que je suis revenu en Silvanie et la serre fort contre moi.
- Eh bien ! Lila ! Ça fait plaisir de te retrouver ! Tu vas bien ?
- T’as pas ramené Julia ? C’est nul, mais je suis contente que tu sois rentré !
- Non, mais j’ai ramené ma sœur, Sylvia. Sylvia, c’est Lila, la fille d’un de nos cousins, tu sais, celle que j’aimerais ramener en France en même temps que moi.
- La fameuse Lila, sourit ma sœur en saluant la petite de la main. J’ai beaucoup entendu parler de toi, mademoiselle ! Contente de te rencontrer.
- Tata Sylvia ! Mami m’a parlé de toi. J’ai les mêmes yeux que toi, elle a dit.
- Mami ? demande-t-elle en me jetant un coup d'œil. C’est Maman ?
- Oui, c’est bien ça, c’est comme ça qu’on appelle les grands-mères et les grands-tantes ici.
- D’accord… Au moins Maman se souvient de la couleur de mes yeux…
- Je crois qu’elle se souvient de tout chez toi, tu ne devrais pas douter de ça au moins.
- Oui, sans doute. On verra bien. Bon, il est où ce fameux Snow ? me demande-t-elle, voulant clairement changer de sujet.
- Je ne sais pas, je pensais qu’il nous aurait accueillis à l’entrée, mais il doit vraiment être occupé s’il n’est pas venu.
- Il a demandé à ce que vous le rejoigniez dans la salle des opérations, lance Nathalie avant de s’éloigner rapidement.
Je fais signe à Sylvia de me suivre et nous montons les escaliers afin de retrouver Snow qui est en train de converser avec le Colonel en visio. Je l’entends qui râle sur le fait que ma sœur ait rejoint le camp alors que Snow essaie de me défendre en disant que c’est l’ONG qui officiellement l’envoie et que l’armée n’a rien à dire. Le Colonel lui répond par un juron et Snow raccroche enfin en refermant l’ordinateur pour ne plus être dérangé.
- Ah, te voilà enfin, Arthur. Et je suppose que cette charmante jeune femme qui t’accompagne est ta soeur ? Lieutenant Mathias Snow pour vous servir, belle dame.
- Eh bien, Julia avait raison, sourit ma sœur en le détaillant des pieds à la tête. Beau spécimen et beau parleur, à ce que je vois, Lieutenant Snow. Ravie de vous rencontrer.
- Et vous, vous êtes tellement plus charmante que votre frère ! Le voyage a l’air de s’être bien passé, vous resplendissez !
- Ce n’est pas un secret, je suis la plus réussie des deux. Et je n’ai rien contre l’uniforme, contrairement à lui, minaude-t-elle en lui faisant un clin d'œil.
Je rêve ou ils sont en train de flirter devant moi comme si je n’étais pas là ? Comme si ma sœur n’était pas mariée ? Comme s’il n’était pas en couple avec Justine. Ils abusent, là. Je ne vais pas laisser ce soldat se taper ma sœur, non plus !
- Eh là, on se calme, on n’est pas là pour faire des bisous, non plus ! Et c’est quoi ce bordel, Snow ? On se fait accueillir par ton copain, Kubiak, le camp a l’air d’être assiégé et toi, tu n’as même pas le temps de venir nous accueillir. C’est la guerre ou quoi ? demandé-je en essayant de terminer par une pointe d’humour qui tombe un peu à l’eau.
- T’as tout bien résumé, Zrinkak, c’est la merde. Le Général se prend pour le nouveau dictateur et toi, tu reviens comme une fleur de ta semaine de baise, bordel ça me fout les nerfs.
- Les choses sont si terribles que ça, ici ? Peut-être que c’est juste un peu d’agitation et d’énervement, mais Ankhov avait vraiment l’air d’avoir envie de faire une transition démocratique avant mon départ. Qu’est ce qui a changé en si peu de temps ?
- Il a profité d’un attentat contre des troupes dans un petit village paumé pour déclarer l'État d’Urgence. Et le bâtard, il a arrêté le Commandant, mais, je te rassure, ta mère est toujours libre. Il n’a encore rien osé faire contre elle.
- Le Commandant a été arrêté ? Mais c’est vraiment la merde, ici. Et dire que je t’ai fait venir, Sylvia. Il faut qu’on te fasse rentrer dès que possible. Ton voyage risque d’être écourté.
- Je ne pars pas sans avoir vu Maman, Arthur. J’ai pas fait tout ça pour rien.
- Jolie Sylvia, on va tout faire pour que les retrouvailles se passent bien, indique Snow, mais la guerre risque de reprendre à tout moment et on ne vous fera pas prendre de risques inutiles. Ce serait dommage d'abîmer un si joli visage.
- On ne risque rien dans ce campement, si ?
- Ici, ça devrait aller, j’ai tout fait pour que ce soit sécurisé. Et jamais il n’attaquera l’armée française, mais je vous préviens, interdiction formelle de sortir du camp ! Pas de folie à la mode Zrinkak, sinon c’est la fessée assurée !
- Snow, arrête avec tes remarques graveleuses, ma sœur n’a pas besoin d’entendre ça. Je vais l’emmener à ma tente, on se retrouve pour le dîner ?
- Ouais, on fait ça, je suis pour un dîner en charmante compagnie. Eh, Arthur, Julia t’a rien donné pour moi, par hasard ? dit-il en me tendant la main.
- Je te ramène la bouteille ce soir, elle est dans mon sac, ne t’inquiète pas !
- T’as intérêt, j’en ai bien besoin. Et qui sait, Sylvia, peut-être que vous voudrez partager un verre avec moi ?
- Oh oui, ce sera avec plaisir. Si je ne peux pas voir ma mère, au moins j’aurai un beau spectacle à regarder !
- Bon, on y va, m’agacé-je. Sylvia, arrête de faire ta mijaurée, laisse Snow travailler. Il a du boulot et doit rester concentré sur son travail.
Nous sortons alors que ma sœur fait un petit signe de la main au Lieutenant, telle une écolière amoureuse. Elle m’énerve et je l’entraine un peu vivement derrière moi. Je sens que son séjour va être éprouvant si elle passe son temps à minauder ou à se faire draguer par tous les soldats qu’elle croise. Sans oublier les menaces qui pèsent sur le camp et sur nos vies en raison de la guerre qui a l’air de vouloir reprendre. S’il lui arrive quelque chose, jamais je ne me le pardonnerai.
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