70. Convoi pluvieux
Arthur
Je suis tout excité ce matin. Certes, je vais dire au revoir à ma sœur et je ne sais pas quand je vais pouvoir la revoir, mais tout ce qui compte dans mon esprit, c’est que je vais retrouver Julia. J’ai hâte d’arriver à la base et de la prendre dans mes bras. Il faudra sûrement qu’on soit un peu discret, on ne pourra pas se comporter comme pendant ma semaine en France, mais on sera à nouveau ensemble et on pourra s’occuper de ce camp qui nous tient tant à cœur.
Lila voulait nous accompagner mais, un peu égoïstement, je lui ai dit que ce n’était pas possible, que c’était trop dangereux et que, par ailleurs, on n'avait pas de place pour elle dans les véhicules. En réalité, c’est que j’ai vraiment envie d’avoir un peu de temps seul avec ma chérie que je suis impatient de prendre dans mes bras.
Nous montons dans le PVP conduit par un soldat que je ne connais pas et qui s’appelle Clément. Snow s’installe à ses côtés, à l’avant du véhicule. Il a l’air nerveux et inquiet alors que Sylvia s’assoit derrière, près de moi.
- Ça va, Mathias ? Tu as l’air à fleur de peau ce matin.
- Oui, oui, ça va, bougonne-t-il. L’armée silvanienne nous cherche des poux dès le réveil, mais tout va bien. Ils voulaient nous faire partir plus tard et j’aime pas ça.
- Pourquoi partir plus tard ? Ils ne sont pas prêts pour nous escorter ? Tu crois que c’est prudent de partir comme ça ? Peut-être qu’on devrait y aller avec des renforts ?
- Je peux pas prendre trente hommes non plus, Zrinkak. Faut bien que le camp soit protégé, non ? C’est bon, ils ont ronchonné mais on part à l’heure. A peu près…
- Bon, ça va aller alors. Sylvia, tu as bien toutes tes affaires ? Prête pour le départ ?
- Oui Papa, je te remercie, j’ai plus dix ans, rit-elle.
- Ben, je m’occupe de toi, tu es ma petite sœur quand même ! Ne te moque pas, tu sais bien que c’est comme ça que je suis depuis qu’on est tout petits, Sissi !
- Oui, mais figure-toi que maintenant j’ai deux enfants, et c’est moi qui leur demande s’ils n’ont rien oublié !
- Tu vas pouvoir les retrouver ce soir, profite d’avoir quelqu’un qui s’occupe de toi. C’est pas Eric qui fait vraiment ça. En route, Mathias ! Nous sommes prêts !
Lorsque nous sortons du camp, nous devons patienter jusqu’à ce que notre escorte soit prête. Je constate qu’il y a une forte agitation parmi eux et il y a vraiment beaucoup de cris. Des soldats vont dans tous les sens. C’est étrange car la mission de nous escorter ne devrait pas être aussi compliquée que ça. Le regard de Snow se porte partout à la fois. Lorsqu’un soldat vient nous annoncer qu’ils sont prêts, je l’apostrophe.
- C’est quoi, tout ça ? Pourquoi tant d’agitation ?
- Ordre du Général. L’équipe qui était prévue pour vous accompagner a été réquisitionnée avec la majorité du bataillon par le Gouvernement pour une autre mission. On a dû trouver en urgence des gars pour vous accompagner. Mais ça va aller, tout est prêt. Il y aura un véhicule armé avec vous.
- D’accord. Dépêchez-vous, l’avion militaire français ne va pas nous attendre éternellement.
Je traduis à Snow et Sylvia et je vois une barre d’inquiétude s’incruster sur le visage du Lieutenant.
- Peut-être qu’on devrait prendre avec nous une autre équipe de nos gars pour assurer notre protection, s’interroge-t-il, soucieux.
- Ne t’inquiète pas. La Rébellion ne va pas nous attaquer, notre mère sait qu’on est là. C’est plus pour le spectacle, tout ça, tu ne crois pas ? Il n’y a aucun risque et on sera vite à la base.
- Oui, oui, aucun risque, dit-il après avoir jeté un œil à Sylvia. Tu as raison. Allons-y avant que Julia ne fasse débarquer cent hommes parce qu’on aura dix minutes de retard.
Trois jeunes armés de fusils montent dans la jeep silvanienne qui s’élance devant nous. Nous les suivons au milieu des troupes silvaniennes totalement désorganisées. Je me demande pourquoi le Général a besoin de cette garnison alors qu’il pourrait très bien en réquisitionner ailleurs. La situation est-elle si catastrophique que ça qu’il doive récupérer tous les hommes disponibles ? Peut-être que la Rébellion est plus en position de force que ce que je croyais.
- Eh, Lieutenant Sexy, je t’ai connu moins stressé que ça. C’est l’idée de revoir ton ancienne cheffe qui te met dans cet état-là ? l’apostrophe ma sœur.
- On est dans un pays en guerre, Beauté. Une fois sortis du camp, il faut faire attention à tout. Et Julia va me pendre par les couilles s’il vous arrive quoi que ce soit.
- S’il arrive quelque chose, je suis sûre que toi et ton gros engin, vous allez me défendre !
- Sylvia, grondé-je alors que Clément, notre chauffeur, pouffe sans oser regarder son supérieur. Un peu de tenue, Snow a raison ! Le pays est en guerre et il vaut mieux être prudent.
- Oh ça va, si on ne peut même plus plaisanter ! bougonne ma sœur en se renfonçant dans son siège.
- On ne plaisante pas avec la sécurité, rajoute Snow, et vu la bande de guignols qu’ils nous ont affectés, j’espère que l’on n’aura pas de surprise.
Un silence pesant s’installe alors dans notre véhicule et nous n’entendons plus que le bruit de la pluie qui vient de se mettre à tomber. L’averse contraint les deux chauffeurs à ralentir et à faire plus attention sur la route sinueuse qui mène à la base. Les feux du véhicule devant nous s’allument régulièrement, contraignant Clément à freiner à son tour à plusieurs reprises de manière brusque.
Alors que nous prenons un énième virage, Clément pousse un juron et appuie à nouveau fortement sur les freins. Devant nous, le véhicule silvanien vient de stopper brutalement dans un bruit de crissement de pneus. Grâce aux réflexes de notre chauffeur, nous avons évité de peu l’accident, mais c’était moins une et heureusement que nos ceintures étaient bien attachées. Snow a sorti son pistolet alors que les soldats silvaniens descendent de leur jeep. De ma place, je n’arrive pas à distinguer ce qu’il se passe, mais Snow nous fait signe de rester à l’abri alors qu’il sort à son tour pour aller rejoindre les soldats.
- Clément, que se passe-t-il ? demandé-je en murmurant comme s’il y avait un risque d’être entendu. Je n’arrive pas à voir ce qu’ils font.
- Je ne vois rien non plus, Monsieur. Tout ce que je sais, c’est que le Lieutenant n’est pas content.
- Je vais aller voir aussi, alors. Il y a peut-être un arbre tombé sur la route ou je ne sais pas, moi.
- Non, Arthur ! Reste ! S’il te plaît, ne me laisse pas, j’ai peur, plaide Sylvia en s’accrochant à ma manche.
- Ne t’inquiète pas, Sissi, je suis là. On va attendre que Snow revienne, alors.
Je me penche en avant et essaie de voir à travers les essuie-glaces ce qu’il se passe. Snow est en train d’invectiver les jeunes silvaniens qui le regardent en haussant les épaules et en montrant un point à l’avant que nous ne pouvons distinguer d’où nous sommes. Je me demande s’ils arrivent à se comprendre et me décide à aller les aider lorsque tout à coup, un coup de feu éclate. Un Silvanien s’effondre alors que les deux autres et Snow se mettent à couvert derrière leur jeep.
- Baisse-toi Sylvia. C’est une embuscade, on dirait !
J’appuie sans ménagement sur la tête de ma sœur et je me positionne sur elle alors que Clément s’est lui aussi couché à l’avant de notre PVP, son arme à la main. J’essaie de voir par le pare-brise ce qu’il se passe. La pluie s’est enfin arrêtée et rien ni personne ne bouge. Il y a clairement un sniper qui nous a dans son angle de tir, mais d’ici, impossible de voir où il est.
Snow fait des signes aux deux Silvaniens restants et retourne avec eux dans la jeep. Ils sont à l’abri, mais la tension est palpable. On n’entend que le vent qui souffle et les sanglots de Sylvia qui s’accroche à moi et m’écrase contre elle. Snow se met à crier contre un des Silvaniens en lui disant de ne pas sortir, mais celui-ci ne l’écoute pas. Je crois qu’il cherche à s’enfuir et à quitter son poste. Il n’a pas fait cinq pas en dehors du véhicule qu’un nouveau coup de feu éclate et il s’effondre sans vie. C’est la merde, on va tous être tués un à un si on reste là.
- Clément, il faut faire marche arrière et partir d’ici. Si on reste, on va tous y passer !
- Je ne peux pas faire demi-tour, la route est trop étroite, Monsieur Zrinkak.
- Mais on ne peut pas rester là à se faire tirer comme des lapins, non plus ! Snow ! crié-je. On fait quoi ?
Avant qu’il n’ait le temps de répondre, deux camions arrivent derrière nous. On dirait des camions militaires, mais la quinzaine de soldats qui se mettent en position ne portent pas l’uniforme national. Ils sont vêtus de noir et pointent tous leurs fusils vers nos véhicules. Nous sommes à leur merci et je me demande ce qu’il va nous arriver. L’un d’entre eux nous interpelle dans un Français tout à fait correct.
- Rendez vous. Sortez de vos véhicules les mains en l’air et il ne vous sera fait aucun mal. Attention à vous, nous tirerons si vous résistez.
Aucun d’entre nous ne bouge et j’aperçois un groupe d’hommes en noir se rapprocher. Ils portent tous des gilets pare-balle et un équipement qui a l’air très moderne. Alors qu’ils sont juste à côté de notre véhicule, Snow se met à crier.
- Ce sont des citoyens français qui sont sous ma protection. Vous n’avez pas le droit de nous arrêter.
J’admire son courage car il est sorti de sa jeep. Il a toujours son pistolet à la main mais il le tend vers le ciel pour montrer qu’il n’a pas l’intention de s’en servir. Il avance lentement vers nous et son regard est fixé sur le chef du groupe ennemi. Je ne sais pas comment il fait pour garder son calme, mais toutes les armes des hommes en noir sont fixées sur lui.
- Lâchez votre arme ou je demande à mes hommes de tirer. Et restez où vous êtes ! N’avancez plus !
Snow obtempère et dépose avec précaution son arme au sol. Je fais signe à Sylvia et elle me suit alors que je sors doucement de notre PVP. Du coin de l'œil, je vois au-delà du corps d’un des Silvanien abattu les herses qui sont étalées sur la route. Il s’agit donc bel et bien d’un piège qui a été préparé à notre intention. Trois hommes se rapprochent de Snow. Sans prévenir, l’un d’entre eux assène un grand coup avec la crosse de son fusil sur le crâne du Lieutenant qui s’effondre, inconscient. Ils se dirigent ensuite vers le véhicule silvanien et, sans sommation, celui qui a assommé Snow tire sur le dernier soldat encore en vie. Il semblerait que seuls les Français les intéressent.
Clément ose alors sortir du véhicule pour nous rejoindre.
- Ne me tuez pas, pleurniche-t-il. J’ai une femme et un fils. Je ne veux pas mourir.
Un signe du chef des hommes en noir et ses troupes viennent le fouiller. Ils lui enlèvent sa veste de treillis et l’enferment dans le PVP, en le menottant au véhicule et en le bâillonnant pour qu’il ne puisse pas crier. Seuls Sylvia et moi sommes debout, au milieu de l’arène improvisée. Nous nous tenons la main et nous regardons avec horreur et stupéfaction ce qu’il se passe autour de nous. J’ai envie de courir, de m’enfuir, mais avec tous les fusils braqués sur nous, ce serait suicidaire de tenter quelque chose. Que nous veulent ces hommes ? Que vont-ils faire de nous ?
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