72. Prisonniers et séparés

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Arthur

Nous sommes installés à l’arrière d’un camion, une cagoule sur la tête, nos mains menottées et nos jambes entravées par des liens attachés à l’intérieur du camion. C’est clair qu’ils tiennent à nous empêcher de nous échapper. Je sens la présence de ma sœur à mes côtés et nous faisons tout pour maintenir le contact entre nous. Sylvia s’est assise tout près de moi et se colle à mon bras. Elle sanglote légèrement alors que j’essaie de garder mon calme et d’écouter ce qu’il se dit pour comprendre qui a pu nous enlever comme ça. J’imagine que c’est un groupe mafieux qui souhaite obtenir une rançon pour notre libération. Mais si c’est le cas, pourquoi n’ont-ils pas pris aussi les militaires ? Est-ce qu’ils comptent demander l’argent à la Rébellion et à notre mère ?

Les échanges entre nos gardiens sont limités, mais je comprends vite qu’ils savent parfaitement qui nous sommes. Plusieurs fois, j’entends le mot qui veut dire “frère et soeur” en Silvanien. Si j’ai bien compris aussi, ils nous emmènent dans une prison dont ils ont la garde. La route, en tous cas, est longue et tortueuse, et le fait d’être plongé dans le noir absolu n’aide pas à se sentir bien. J’ai essayé une fois ou deux de parler à ma sœur, mais je me suis pris des coups de crosse dans le ventre pour me faire taire et j’ai abandonné l’espoir de pouvoir échanger avec elle.

Quand enfin le camion s’arrête, on nous fait descendre sans ménagement puis on nous dit d’attendre sans bouger. On nous enlève enfin notre cagoule et je cligne un instant des yeux sous l’effet de la lumière. Tout de suite, je cherche du regard Sylvia qui fait de même et nous échangeons un petit sourire, autant pour nous rassurer d’être vivants que pour nous soutenir mutuellement.

- Ça va, Sissi ? osé-je demander doucement, sans me faire réprimander par qui que ce soit.

- Bien sûr, j’ai l’impression de partir en vacances, bougonne-t-elle. Non, ça ne va pas…

- Il faut qu’on tienne le coup, Sissi. A cette heure-ci, je suis sûr que Julia a déjà été informée et que la France met en œuvre tout ce qu’il faut pour que l’on soit libéré rapidement. Il faut qu’on garde l’espoir, c’est la seule chose qui nous permettra de tenir. Sache que je ne pars pas d’ici sans toi, même si nous sommes séparés, me dépêché-je de lui dire tant qu’on nous laisse échanger.

- Séparés ? Tu crois qu’ils vont nous séparer ? Je ne tiendrai jamais, Arthur, bon sang ! Je ne suis qu’une petite mère de famille, qu’une simple enseignante, qu’est-ce que tu veux que je tienne, enfermée par je ne sais qui, pour je ne sais quoi ? panique-t-elle.

- Il faut être forts, Sissi. Ne pas craquer, quoi qu’ils nous demandent. Juste, si on te demande de parler, tu parles, on n’est pas des héros. L’aide arrive, c’est sûr. Il faut juste être patients.

Je lui ressors tous les discours qu’on nous apprend lors des préparations de mission. Ce sont des leçons que l’on n’écoute jamais très sérieusement car les probabilités que ça arrive sont très faibles, mais c’est une erreur car, quand ça se passe, on est bien content d’avoir quelque chose sur quoi s’appuyer.

- Oui, et ils vont nous trouver dans les deux heures, bien sûr. On y croit tous, Tutur ! Bon sang, mais qu’est-ce qu’il m’a pris de venir ici, sérieusement ?

- Ça va prendre plus que deux heures, Sissi. Mais s’ils avaient voulu nous tuer, ils l’auraient déjà fait. Ils vont demander une rançon… Si ça dure un peu, peut-être qu’on va avoir nos photos en grand sur les bâtiments publics en France. Tu vas être une star, essayé-je de dire pour la dérider un peu.

- Génial ! Si je ne crève pas ici, c’est Eric qui m’achèvera. Non, mais t’imagines, l’angoisse pour les enfants ? s’affole-t-elle alors que ses yeux s’embuent.

Je n’ai pas le temps de répondre car le chef des hommes en noir arrive et nous fait signe de le suivre dans le hangar devant lequel nous attendions. Un de ses hommes me bouscule car il trouve que je traîne, mais ce n’est pas facile d’avancer, les pieds entravés.

- Monsieur et Madame Zrinkak, ravis de vous avoir parmi nous. Désolé de vous avoir fait venir de manière aussi peu diplomatique, mais j’ai obéi aux ordres. Vous savez comment c’est. Il faut toujours faire plaisir à son chef.

L’homme qui nous parle est entre deux âges, les cheveux grisonnants coupés courts. Il est vêtu du même uniforme noir que les autres, mais il n’est pas armé. En tous cas, pas visiblement. Il est assis sur un fauteuil bien confortable et nous observe, Sylvia et moi, tranquillement, comme si on était dans son salon.

- Je dois avouer que vous allez pouvoir revoir vos procédures d’accueil. Vous nous voulez quoi ? Vous savez que vous allez avoir l’armée française sur le dos ?

- C’est vrai que je manque à tous mes devoirs, répond-il en faisant un signe à nos gardes qui viennent délier nos jambes et nos mains.

Il nous demande alors de nous asseoir sur les deux chaises en face de son fauteuil et nous propose un thé que ma sœur et moi refusons tous les deux. Nous restons silencieux avant qu’il ne reprenne.

- Je n’ai pas peur de l’armée française. Jamais ils ne vous trouveront ici. Pour l’instant, nous allons attendre. Je vous préviens tout de suite. Si l’un d’entre vous essaie de s’échapper, l’autre sera fusillé. Si vous cherchez à communiquer avec l’extérieur, nous vous couperons la langue ou la main. Et si vous pensez que je ne suis pas sérieux, souvenez-vous que je n’ai pas hésité à faire tuer trois soldats silvaniens. Me suis-je bien fait comprendre ?

- Pas besoin d’en rajouter, on avait bien compris dès le départ, marmonne Sylvia. Foutu pays de cinglés.

- Un peu de respect, Madame Zrinkak. C’est aussi votre pays. Emmenez-les.

Deux gardes viennent, leurs fusils pointés sur nous, et nous emmènent vers l’arrière du hangar. Ils font entrer Sylvia dans une première pièce qu’ils referment à clé derrière elle avant de me faire entrer dans celle d’à côté. Il n’y a qu’un lit et un toilette dans cette petite salle juste éclairée par une minuscule ouverture dans un des murs. La porte se referme derrière moi et j’entends aussi le bruit de la serrure qu’ils actionnent afin de nous garder prisonniers. Je me demande qui est le chef dont il nous a parlé. Qui peut avoir assez de cran et de courage, de folie même, pour oser s’en prendre à deux citoyens français qui sont aussi les enfants de la cheffe de la Rébellion ?

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