79. Les bonnes et les mauvaises nouvelles

8 minutes de lecture

Julia

D’ordinaire, ce genre de position me dérangerait. Franchement, je refoule mon côté autoritaire et aimant gérer pour ne pas froisser Snow, mais je déteste ça. Revenir ici, c’était pour moi reprendre la gestion du camp. Snow ne voulait pas de ce poste, il n’aime pas être celui qui prend les décisions, normalement. Pourtant, je crois qu’il s’est pris au jeu. Et parfois, ça m’énerve. Parce qu’il fait les choses d’une façon qui n’est pas la mienne. Je me contiens, je le laisse gérer, mais dans ma tête, c’est le chaos.

D’ordinaire, j’aurais attaqué en frontal, je lui aurais sans doute dit que ça n’allait pas, qu’il devait faire de telle façon. Pourtant, il n’est pas déconnant dans ce qu’il fait. Il s’en sort même bien, si on passe sur les faits d’il y a maintenant cinq jours.

Finalement, je m’en fous, je laisse faire. Du moins, pour tout ce qui n’est pas le dossier “enlèvement d’Arthur et Sylvia”. Là, j’ai un peu plus de mal à lui laisser la main. En fait, je ne lui donne aucune marge de manœuvre, à ce pauvre Snow. Je crois qu’il a compris que, sur tout ce qui touche aux Zrinkak, il vaut mieux lâcher l’affaire, sous peine de me voir ruer dans les brancards. Pourtant, clairement, il y a peu de choses à faire car, malheureusement, les informations arrivent au compte-goutte et ça n’avance pas du tout assez vite pour moi. Je sais qu’on ne peut pas faire de miracle, mais cela reste trop peu pour moi. Jusqu’à cet instant précis.

- Julia, vous m’écoutez ou quoi ?

- Oui, oui, pardon Marina, je réfléchissais.

- Vous avez entendu ce que je vous ai dit ?

- Oui, je ne suis pas sourde. Arthur et Sylvia sont au Palais.

- Bonne ou mauvaise nouvelle, selon vous ?

Je jette un œil à Snow qui hausse les épaules, incertain. Je le suis aussi, il faut dire.

- Bonne parce qu’on sait où ils sont et que je connais un peu le Palais. Mauvaise parce que le Palais est bien gardé et sécurisé. Y entrer sans tout faire péter me semble compliqué, et s’en sortir sans qu’il y ait des pertes… Impossible.

- Non, il ne faut pas attaquer le Palais, pas comme ça en tous cas. Il faut la jouer subtile et avancer nos pions. Là, c’est le premier qui craque qui perd la mise. J’essaie d’avoir d’autres informations sur eux, on prépare une opération et on fonce. Il ne faut pas trop tarder mais il faut bien réfléchir.

- Très bien, soupiré-je. J’hésite à avertir le Colonel Germain maintenant pour avoir son autorisation pour intervenir, mais s’il décide qu’il vaut mieux négocier, cet avantage de savoir où ils sont sans que le Général ne soit au courant sera perdu…

- Germain ne fera rien. On est seuls sur l’opération de sauvetage de mes enfants. Je vous rappelle dès que j’ai plus d’informations.

- Entendu. Eh, Marina, ne me laissez pas sur le banc de touche, je veux en être, même si je n’ai aucune autorisation. Bonne journée.

- Non, je vous préviens dès qu’on lance quelque chose.

J’acquiesce et raccroche en soupirant. Snow me scrute et son regard en dit long sur ce qu’il pense de mes derniers mots.

- Tu vas bousiller ta carrière, Ju’, tu devrais laisser faire les Rebelles, ils ont les effectifs pour ça.

- Si c’était Justine qui était retenue par cet enfoiré, tu laisserais faire d’autres personnes, tu n’interviendrais pas ?

- Si, Julia, j’interviendrais, bien sûr. Et d’ailleurs, si tu y vas, je te suis. On est une équipe, hein ? Et je suis sûr que d’autres nous suivraient. On va les libérer, c’est certain.

- Je n’entraînerai pas d’autres hommes dans ce truc, Mat’. Je ne veux pas que nos hommes se retrouvent impliqués et en subissent les conséquences. Pareil pour toi. Tu aimes trop ce boulot pour en être privé, marmonné-je.

- Ne commence pas ou on va encore se disputer, Ju. Je suis là, sinon qui va surveiller tes arrières ? dit-il en me donnant une petite tape amicale sur les fesses.

- Je vais pas tenir, Mathias. Je suis à deux doigts de prendre les armes et de filer là-bas pour faire un carnage…

- Et te faire tuer avant même d’avoir tenté un truc ? Vas-y, mais je t’ai connue plus maligne que ça.

- Tu m’énerves quand tu as raison, Snow. Ça me donne envie de te frapper.

Je me verse un énième café et me replonge dans la lecture des dernières informations de la région récoltées par les équipes du Colonel. Tout ceci ne me sert plus à grand-chose maintenant que nous savons où sont retenus Arthur et Sylvia, mais au moins, ça a le mérite d’occuper l’esprit un moment, quand je ne me perds pas dans mes pensées.

Lorsque je referme le rapport, je constate que j’ai reçu un mail sur ma boîte sécurisée, d’une adresse qui m’est inconnue. J’hésite à l’ouvrir, mais suis piquée par la curiosité. Il faut dire que peu de personnes ont cette adresse, et que seuls les mails autorisés passent les barrières virtuelles. En cliquant sur l’objet vide, j’ai le déplaisir de tomber sur l’image d’un clown hideux et plutôt flippant, et je sens la merde arriver. En dessous de la photo se trouve un lien. Une nouvelle fois, l’hésitation est bien présente et je me demande même si je ne devrais pas demander conseil à Morin, mais je clique une nouvelle fois et un fond noir apparaît, vite remplacé par les visages d’Arthur et Sylvia.

- Snow, viens voir…

Je monte le volume de mon ordinateur alors que le Lieutenant vient se poster derrière moi, et j’observe rapidement le visage rougi de Sylvia, le regard incertain d’Arthur et leurs mains enlacées. Ils sont tous deux dans une pièce plutôt sombre aux murs blancs, apparemment sans meubles. Est-ce qu’il y a une pièce comme ça au Palais ? Étrange, toutes celles que j’ai visitées étaient tout sauf vides.

Je sens la main de Mathias se poser sur mon épaule et mon ventre se tordre en constatant que Sylvia semble vraiment désespérée alors qu’Arthur prend la parole.

- Julia, ce message est pour toi, commence-t-il d’une voix douce et peu assurée, qui lui ressemble si peu. Pour l’instant, comme tu peux le voir, nous allons bien. Nous sommes bien traités et nous avons ce qu’il faut pour vivre. Ce n’est pas exceptionnel, mais ça va. Tu me manques beaucoup trop par contre. J’ai essayé de dire à notre geôlier que c’était un motif pour me renvoyer à toi, mais il a refusé, le con.

Il fait un petit sourire craquant et mon cœur fond littéralement. Même dans un message comme ça, dicté ou commandé par l’ennemi, il trouve le moyen de faire une blague.

- En tous cas, il nous a dit comment il fallait faire pour qu’on soit libéré. Julia, je compte sur toi pour accomplir cette mission comme tu sais si bien le faire. C’est dur pour moi de te le demander mais…

- Non, Arti, arrête, ne lui demande pas ça. Tant pis si on meurt, l’interrompt sa sœur, ce qui a le don de l’agacer.

- Si, Sissi, il faut le lui demander, sinon, ils vont te tuer. Donc, Julia, reprend-il alors que Sylvia pleure à ses côtés, il faut que tu tendes un piège à notre mère, la Gitane, et que tu la remettes aux autorités. Une fois qu’elle sera prisonnière du Général, ce Grand Homme, ajoute-t-il en insistant lourdement sur ces mots, nous serons libérés. Tu es la seule qui peut accomplir ce miracle.

- C’est vrai, Julia, continue la jeune femme aux côtés de mon Bûcheron. Si tu ne le fais pas dans les soixante-douze heures, il va bombarder le camp ou me tuer. S’il te plaît, Julia, aide-moi !

L’écran devient à nouveau noir et je reste un moment silencieuse avant de la relancer, une fois, puis deux, puis trois, et Snow finit par fermer le clapet de mon ordinateur.

- Arrête ça, ça ne sert à rien.

- Ils sont vraiment en vie, Mat’...

- Bien sûr qu’ils le sont, la Gitane te l’a dit y a même pas une heure.

- Ils sont en vie et cet enfoiré est bien trop fûté…

- Fûté pourquoi ? On ne négocie pas avec les terroristes, tu te souviens ?

- Ce n’est pas un terroriste, juste un crevard prêt à tout pour obtenir ce qu’il veut.

- Et… Il va l’obtenir ?

- On a soixante-douze heures pour faire en sorte que ça ne soit pas nécessaire.

- Et si on n’a pas trouvé de solution, tu envisages réellement de t’immiscer dans la politique locale, loin du mandat de l’ONU que nous avons, de ne pas protéger la population et remettre une habitante du pays au Gouvernement ? Cela va contre tous tes principes, non ?

- J’en sais rien, bordel, m’agacé-je en me levant. Je ne sais plus ce que je dois faire. Mes principes sont beaux ouais, mais ils ne collent pas du tout avec mes envies ! Je fais quoi, si je ne fais pas ça, je laisse Sylvia être tuée et Arthur aussi dans la foulée ? Je ne peux pas faire ça, je ne peux pas le perdre, tu l’as pas compris, ça ? Je… Putain, mais pourquoi je l’ai laissé revenir ici ? J’aurais dû le séquestrer moi-même !

- Julia, je ne te laisserai pas tout foutre en l’air. Réfléchis, il faut qu’on soit les plus malins, là tu ne parles pas avec ton cerveau, mais avec ton cœur ! J’ai besoin de retrouver la Julia froide et calculatrice qui fait des miracles !

- Si tu la retrouves, fais-moi signe, parce qu’elle est portée disparue. Elle a dû se faire bouffer par un Bûcheron...

- Non, elle est là, à mes côtés. Secoue-toi, Julia. Oublie que c’est le Bûcheron, un instant. Qu’est ce que tu ferais si c’était deux otages que tu ne connaissais pas ?

Je sais qu’il a raison. Evidemment que je suis bien trop impliquée dans tout ça. Evidemment que je ne réfléchis pas en tant que militaire, là, que l’affect passe avant tout le reste. Livrer la Gitane serait stupide, et sans aucun doute inutile puisqu’on ne peut pas faire confiance au Général. Quant à savoir ce que je ferais s’il s’agissait de deux inconnus, je ne crois pas être en capacité de répondre à cette question pour le moment.

- Je vais aller sur le terrain d’entraînement, j’ai besoin de réfléchir à tout ça et de me dépenser. On en reparle ce soir ? Je te jure que je ne compte pas m’échapper pour aller au Palais. J’ai juste besoin de m’épuiser et d’agir en militaire, là. C’est bon pour toi ?

- Oui, Julia, répond-il, résigné. On en reparle tout à l’heure. Je vais réfléchir aussi de mon côté.

J’acquiesce et vais me blottir contre lui un moment. Voilà que je me retrouve toute fragile avec ce besoin permanent de me sentir entourée et rassurée. Ça fait chier, mais il est le seul ici avec qui je m’autorise à lâcher prise l’espace de quelques instants. Montrer mes failles pourrait être la pire idée du siècle, pour preuve, ce connard de Général utilise la principale de toutes pour obtenir ce qu’il veut. Ne me reste plus qu’à trouver une solution qui conviendra à tout le monde en m’évitant de livrer Marina, et de ne plus jamais être capable de me regarder dans un miroir. Je vais partir en quête de la militaire froide et calculatrice sur le champ d’entraînement, et je ne reviendrai ici que lorsque je l’aurai retrouvée.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0