82. Défaut de livraison

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Arthur

Le Général a l’air trop fier de lui, c’est horrible de le voir jubiler ainsi. Il se frotte les mains et sautille sur place alors que ses hommes en noir restent impassibles pendant que nous récupérons nos affaires. J’ai fait le choix de laisser tous les vêtements qu’ils nous ont donnés pendant notre séjour, je veux mettre fin à cet emprisonnement et ne garder aucun souvenir de cette période. Je constate qu’il en est de même pour Sylvia qui, à mes côtés, regarde le Général avec effroi, surtout quand il s’approche d’elle et vient lui prendre le menton entre ses mains.

- Oh, jolie créature, c’est vraiment terrible de devoir nous séparer dans de telles conditions. J’aurais tellement aimé découvrir ces jolies courbes que j’ai eu le plaisir d’observer à travers les caméras. C’est indécent, non, d’être un gentleman comme moi et de respecter ma parole. Lichtin vous aurait mise dans son lit, c’est sûr !

Sans lui laisser le temps de répondre, ce gros porc dépose ses lèvres sur celles de ma sœur avant de nous quitter en chantonnant et en frétillant comme un gamin à qui on a promis la nouvelle tenue de Superman. Les hommes en noir nous font alors monter dans un camion où ils nous menottent afin d’empêcher toute vélléité d’évasion. Personne ne parle et quand Sylvia a essayé de me dire quelque chose, elle s’est pris un coup de crosse dans le ventre, la pauvre.

Pendant le trajet, j’essaie de réaliser ce qui est en train de se passer. Le Général nous a dit qu’il avait reçu un message de Julia lui indiquant que la Gitane avait accepté de se rendre en échange de notre libération. C’est incompréhensible car, du peu que je connaisse ma mère, elle n’a jamais fait le choix de sa famille aux dépens de son pays. Pourquoi en est-il différent cette fois-ci ? Le Général pense qu’elle s’en veut de nous avoir abandonnés il y a si longtemps et il jubile à l’idée d’avoir son ennemie à sa merci. Pour lui, cet échange, c’est le signe de la fin de la guerre civile dans le pays et le début du renouveau avec lui à sa tête. Dans ses discours, il se voit déjà en train de serrer la main au Président des Etats-Unis lors d’une conférence de paix sur la région. Il se voit même avec le Président Russe, en train de signer des contrats de vente d’armes. J’ai vraiment l’impression qu’il est encore plus fou que Lichtin avec des rêves plus improbables que son prédécesseur.

Je me demande comment l’échange va se passer car nous n’avons pas eu les détails. Je vois à travers la bâche du camion le paysage silvanien se dérouler devant nous. On fonce sur une route sinueuse qui monte dans la montagne. Lorsque le camion s’arrête, les hommes en noir en descendent et s’installent. Un d’eux se cache derrière le camion alors que les six autres se mettent en position pour attendre la Gitane et son escorte. J’en profite pour échanger avec Sylvia maintenant que nous sommes seuls.

- Ça va, Sissi ? Tu tiens le coup ?

- Oui… Tu crois vraiment que Maman va se livrer ? C’est complètement invraisemblable.

- Oui, je sais, c’est fou. Mais elle veut peut-être vraiment se faire pardonner le fait de nous avoir abandonnés ? En tous cas, il va falloir se méfier et croire en notre bonne étoile. Tu vois comment ça va se passer ? Être seuls entre tous ces soldats armés ? Prêts à tirer ? Il va falloir garder notre sang-froid, je compte sur toi pour être forte.

- J’ai peur, Arti. Je ne sais pas si je vais y arriver en sachant que Maman va se faire tuer pour nous.

Je ne réponds pas car un des soldats donne un grand coup sur la bâche du camion en nous intimant l’ordre de nous taire. Deux véhicules blindés français sont en train d’arriver. Lorsqu’ils s’arrêtent et que les soldats descendent, je suis surpris de ne voir que Snow et pas Julia. Comment se fait-il qu’elle ne soit pas venue nous chercher ? Encore un coup du Colonel, sûrement. Maman sort du véhicule et dit quelque chose que je ne comprends pas. Le milicien qui s’était caché remonte alors dans le véhicule et approche le camion de l’endroit de l’échange. Il vient ensuite et détache Sylvia qu’il fait descendre. Alors que je m’apprête à subir le même sort, je suis surpris de voir qu’il referme la bâche sans me libérer.

- Je crois que le Général est en train d’essayer de jouer un tour à la Gitane. Avoir la mère et le fils, c’est un bon moyen de pression sur elle, non ?

Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Pourquoi ne suis-je pas avec ma sœur pour l’échange ? Je me penche et observe la scène qui se déroule. Je constate que Snow est en train de s’agiter avec Morin et qu’ils sont en grande discussion alors que Sylvia et ma mère s’étreignent brièvement avant de se séparer. Ma sœur a l’air en pleine détresse et elle ne cesse de se retourner vers Maman qui continue, vêtue d’une de ses belles robes et d’une capuche pour la protéger du vent. Snow crie alors que les deux femmes sont presque arrivées chacune à destination.

- Où est Arthur ? L’échange, c’était la Gitane contre les deux enfants !

Le Silvanien ne répond pas et se contente d’attraper Maman et de la pousser dans le camion alors que ses acolytes se mettent en position de tir. Les soldats français font de même alors que Morin s’empare de ma sœur et l’attire derrière le véhicule blindé. Tout se passe alors à une vitesse folle. Le Chef de la milice lance à Snow qui a l’air tendu et en colère :

- Une Zrinkak contre une autre, ça, c’est juste. Pour le deuxième, il faudra proposer autre chose au Général.

Puis il fait un geste à ses troupes qui s’engouffrent dans le camion, lequel démarre en trombe sous le regard ahuri des troupes françaises qui, heureusement, nous laissent partir sans nous tirer dessus. Ma situation n’a pas changé, mais au moins, ma sœur est libre. C’est déjà ça. Je constate que ma mère se relève enfin, aidée par un milicien qui la pousse à s’asseoir un peu rudement. Sa capuche tombe et…

- Julia ! Mais… Tu fais quoi là ? m’écrié-je, surpris du visage que je vois apparaître sous la capuche.

- A ton avis, le Bûcheron ? Circuit touristique, bougonne-t-elle avant de se prendre un coup de crosse dans le ventre qui la plie en deux.,

- Tu es folle d’être venue ! m’exclamé-je avant d’être à mon tour frappé pour me faire taire.

Le chef des miliciens qui s’est rendu compte que ce n’était pas ma mère qu’il avait récupérée commence à s’énerver.

- Tu es qui, toi ? demande-t-il en Silvanien. Bordel, on s’est fait avoir, les gars. Ils nous ont baisés, les Français.

Julia regarde les miliciens sans comprendre la question, l’air fier et résolu. Je me demande ce qu’ils vont faire maintenant qu’ils se sont rendus compte de la supercherie.

- Française ? demande le Silvanien en Français à la Lieutenant.

- Oui Monsieur, sourit-elle en s’asseyant à mes côtés, l’air de rien.

- Tu fais quoi, là ? Elle est où la Gitane ? Qui es-tu ?

- Je n’ai aucune idée d’où se trouve la Gitane, mais je ne comptais pas attendre qu’elle se bouge le cul pour essayer de récupérer ses gosses, soldat.

- C’est une Lieutenant de l’armée Française, interviens-je. Vous n’avez pas le droit de lui faire du mal, elle est protégée par les accords de Genève.

- Ta gueule, Zrinkak. On fait ce qu’on veut ici. Pas sûr que le Général la laisse vivre quand il sera au courant.

- Pas sûr qu’il vous laisse vivre une fois qu’il saura, rétorqué-je immédiatement avant de me prendre un nouveau coup de poing dans le ventre.

- Lieutenant ? C’est quoi ton nom ? demande le chef silvanien.

- Lieutenant Julia Vidal, et ne te laisse pas berner par mes beaux yeux, je n’aurais aucune hésitation à te foutre un coup de pied là où il faut si tu me touches. Tu vas bien, Arthur ?

- Ça va, murmuré-je en essayant de retrouver mon souffle. Mais tu n’aurais pas dû venir.

- Et te laisser te balader seul ? Hors de question, Chéri, murmure-t-elle avant de faire un clin d'œil au soldat. Vous devriez peut-être fuir maintenant, pour avoir côtoyé le Général, je n’ai pas trop envie de m’attirer ses foudres, personnellement. Bon, techniquement, je le fais quand même, mais quelque chose me dit que vous n’avez pas ce courage. Ou cette folie...

- Ta gueule. Taisez-vous. Plus un mot où je n’hésiterai pas à vous tabasser. Ce serait dommage d'abîmer un si joli visage, mais je n’hésiterai pas.

- Oh faites-vous plaisir, ce ne serait pas la première fois, j’ai l’habitude, ricane Julia, insolente.

Il ne répond pas et se contente de prendre un bâillon et de le passer autour de la tête de Julia qui ne le quitte pas des yeux, plein de bravade dans le regard. Je ne sais pas comment elle fait pour afficher un tel courage. Elle m’impressionne et je suis loin de ressentir une pareille force alors que le véhicule nous ramène vers le Palais. Quand le Général va apprendre la nouvelle, les conséquences vont être terribles. Le seul soulagement que j’ai, c’est que si je meurs, ce sera avec la femme de ma vie. Je n’ai pas su vivre avec elle, nous aurons au moins la possibilité de mourir ensemble.

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