Chapitre 9 – Le chemin des bergers.

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La neige s’était arrêtée de tomber. La température avait brusquement chuté. Un levant mesquin soufflait maintenant en petites rafales assassines. Il avait froid, il était gelé jusqu’aux os. Les lourds nuages noirs s’effritaient lentement. Un mince croissant de lune baignait ce décor sibérien d’une lumière pâlichonne.

Sa faible lueur était suffisante pour éclairer cette vaste plaine. À sa main droite, il entrevit une miraculeuse cabane de pierre sèche. Elle se dressait, fière d’elle, sur son petit mamelon. Deux genévriers engoncés tels des fantômes dans un suaire immaculé veillaient sur elle.

Il s’en approcha. La porte était défoncée, il entra, ce n’était pas un palace, loin de là ! Ce n’était qu’une famélique borie, juste faite pour abriter, un berger, d’un orage d’été. Il s’en contenta. Dans sa besace presque vide, il découvrit des trésors un quignon de pain et un bout de lard. Il se dépêcha de les engloutir, comme si quelqu’un pouvait les manger avant lui !

Il avait été si fier de participer à cette épopée. Il s’était senti brave parmi ces hommes au début de l’aventure. La réalité avait été grotesque. La guerre n’était ni une partie de plaisir ni une page de gloire d’un livre d’aventure. Il le savait maintenant que ce n’était que larmes, bile et laideur.

Inévitablement, il songea à ses frères, l’un au diable Vauvert, l’autre en prison. Ses pensées allèrent également à son père souffrant. Les reverrait-il un jour ?

Il avait enfin trouvé une bonne position, ses yeux se fermaient. Il était presque bien, il allait dormir quelques heures, il avait besoin de se reposer un moment avant de repartir.

Alors que son cerveau lâchait prise… Il se remémorait Martin couché au bord de cette route, jeté à terre par ses bourreaux ! Il avait encore la vision de ce héros, prostré, protégeant sa tête avec les mains, alors que les soldats le rouaient de coups. Il avait été sabré, frappé, torturé… quelle souffrance avait dû être la sienne ! Et pour finir, le préfet, qui accompagnait la troupe l’avait exécuté d’une balle à bout portant. Même s’il était à peu près certain de la mort de Martin, il aurait dû aller voir ! Peut-être, par sa faute, Martin avait agonisé de longues heures… peut-être n’était il que blessé…

Il lui fallait chasser ces réflexions absurdes, Martin avait vécu. Personne ne pouvait survivre à de tels traitements. Il devait reposer là où on l’avait exécuté, sans sépulture chrétienne, à la merci des bêtes sauvages.

Il aurait dû retourner sur ses pas ! Cette pensée l’obsédait. Tous ces remords se bousculaient dans sa tête, l’empêchaient de dormir. Il chassait une idée noire, une autre lancinante lui succédait, c’était à devenir fou.

Il se rappelait également ces histoires, que racontait son grand-père, vétéran des guerres d’empire qui avait vécu le cauchemar russe et la longue retraite à travers les steppes glacées de ce pays immense. Il lui avait décrit ces grognards qui tombaient dans la neige et ne se relevaient plus. Qu’à s’endormir dans le froid on risquait la mort ! Et les camarades à moitié dévorés par les loups.

Ses frères et lui en avaient ri à l’époque, ils pensaient que le vieux radotait ou pire, qu’il se vantait.

Alors sans regret il renonça à ce sommeil qu’il sentait improbable et à cette cabane trop austère pour être accueillante. Il se leva, remonta son col et quitta ces lieux.

Marcher, sans s’arrêter, jusqu’à arriver à domicile, quitte à mourir d’épuisement, il n’avait pas d’autres choix

. Il poussa la porte. Le levant avait viré en tramontane, c’était une bonne nouvelle, avec ce vent glacial, la perturbation filerait vers le sud. La mauvaise blague, c’était qu’avec toute cette neige il ne savait où se diriger. Partout était la même blancheur immaculée. Une petite voix dans sa tête lui disait :

« Quand on ignore quelle voie prendre, on se tourne vers le ciel ! »

C’était un des rares souvenirs de catéchisme. Ensuite, son père, jacobin buté, se fâcha avec le prêtre en envoyant balader la moitié de sa famille.

Son regard machinalement obéit à cette injonction, le Levant avait déblayé tous les nuages, la voute céleste scintillait de mille feux, c’était magnifique.

Il lui fallait d’abord trouver l’étoile Polaire. Elle indiquait toujours le nord. Il se rappela la grande et petite ourse avec le serpent entre eux. Il l’avait enfin repérée, elle était une des plus brillantes du ciel, après l’astre du berger.

Il avança toute la nuit d’un bon pas sans faiblir. Il savait qu’au terme de cette longue route, ce chemin sinueux qui serpentait entre des bosquets de chênes verts et rouvres, de chênes kermès aux feuilles coriaces et des genévriers tortueux, il allait le voir.

Il arrivait au bord du plateau, un dernier bouquet de pins bouchait l’horizon, il le contourna. Son cœur battait la chamade, il avait les jambes molles la gorge sèche. Il était au bout de ses forces. Mais la récompense était là Sur son rocher, couronné par un imposant château, Saint-Martin l’attendait.

L’énorme boule rouge du soleil l’éclairait déjà, alors que les bois des Pallières en arrière-plan étaient encore plongés dans la pénombre. C’était la fin de ses déboires, il trouva facilement un reliquat d’énergie pour finir son périple, il allait retrouver sa mère, sa sœur et son logis.

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