Chapitre 15 – Renfoncements débonnaires
Ugo se sentait piégé, pour la deuxième fois de sa vie. La première fois, c'était le jour où il était né. Il analysa la situation plus en détail :
En face de lui se trouvait probablement la seule personne responsable de la mort de Saefedin, du trauma de Sarah et des dégâts collatéraux prodigués à Yannis et Margarita par le Cavalier Rouge : Elisabeth n'avait pas l'air affectée par les événements, mais se trouvait plutôt en bonne position. Au lieu de ses vêtements habituels de lycéenne redoublante, elle portait une robe longue, rouge et pleine de motifs noirs louches. Un diadème vert ornait son front. Ugo pensait que c'était à cause de son mauvais goût apparent, mais la fierté qu'elle magnifiait par ses atours semblait proche de celle d'une reine.
Il vit le Cavalier et ses deux hommes s'incliner poliment, avec moins de ferveur par rapport à l'arbre blanc. Bien, se dit Ugo. Au moins, on sait comment leur faire pression : un briquet et quelques bouts de papier. Mais le plus étonnant, c'était de savoir pourquoi cette fille aux dents de lapin foutait dans ce colloque de « vierges quarantenaires accro à Internet ».
— Inclinez vous devant Isabelladona Larakhouv, Grande Inquisitrice, siffla le Cavalier.
Ah. Donc la petite redoublante avec des problèmes se trouvait être en réalité une cheffe suprême d'un clan de barjos magiques. Sympa… Ugo ne s'inclina pas cependant, trop tenté par l'idée de provoquer une personne haut gradée pour la troisième fois aujourd'hui. Hadrian obéit, Edward hésita avant de faire de même. Seul Ludwig, qui soutenait Yannis, ne put le faire. Au moins, je me sens pas seul, se lamenta ironiquement Ugo.
Elisabeth/Isabella observa tour à tour les visages décomposés de chacun, et s'attarda sur celui de Yannis. Ugo prit note, et continua ses inspections : Isabella avait une expression de jubilation soutenue, comme quelqu'un qui se retient de rire. Elle ne faisait pas attention au Cavalier, et celui-ci attendait des ordres, le regard perdu dans le vague mais droit comme un piquet. Ugo observa plus attentivement la pièce autour de lui : il y avait bien la fenêtre pour en sortir, mais c'était de l'autre côté du bureau et il ne connaissait pas la hauteur à laquelle ils se trouvaient. Ce serait trop long et dangereux à observer, à tester surtout. De plus, le Cavalier était sur ses gardes, et ses deux hommes étaient tendus, prêts à bondir au moindre mouvement de sa part.
Soudain, Isabella se tourna vers le Cavalier et lui dit d'un ton autoritaire :
— Je croyais, Lorkan, vous avoir dit de ne pas en capturer plus que prévu...elle renifla avec dédain. Que font les autres-ici ?
— Je vous prie d'accepter mes plus respectueuses excuses, ma Dame, répondit le dénommé Lorkan. Je me rendais sur le lieu de rendez-vous, avec l'escadron Aleph. Nous avons ratissé tout le plateau comme vous nous l'aviez demandé, et nous sommes tombés sur tout un groupe d'humains. Nous avions conclu que l'un d'eux était le fugitif, et qu'il fallait donc tous les mettre aux fers, pour éviter toute fuite et tout ébruitement. Nous avions alors, au cours du voyage, senti que l'une de ces cinq personnes était bien celle que vous cherchiez, compléta Lorkan en laissant son regard planer dans le vide.
Il ment, se dit Ugo, Je ne sais pas sur quoi, mais il ment, c'est indéniable ! Pourquoi ?
— Je suis consciente que je ne vous ai pas rendu la tâche facile, mais il me faudra du temps pour détecter leur potentiel. Je vous sais tout de même gré de votre engagement dans ce projet, Commandant Lorkan ; l'Hakessar et moi nous vous récompenserons comme il se doit.
— Récompenser la Garde sera suffisant, ma Dame... Maintenant, si vous voulez bien m'excuser…
— Très bien, vous pouvez disposer.
L'Inquisitrice regarda Lorkan et ses hommes s'incliner et partir. Une fois la porte fermée, Isabella se tourna vers Ugo et les autres, le regard pétillant.
— Eh bien, qui est donc le plus loquace parmi vous ?
Ugo se plaça de manière astucieuse derrière Edward, et le poussa sur le côté pour l'empêcher de parler à sa place. C'était si bien dosé que, dans le cas où on se trouvait devant lui, on le remarquerait comme un idiot qui trébuche sur du vide. Il rajusta son col, se racla bruyamment la gorge et faillit s'étouffer de rire en voyant Isabella se tourner brusquement vers lui, comme une chouette aveugle et effrayée au moindre bruit.
— Le chef, ici, c'est moi : pas de blabla inutile, on est là pour comprendre ce qui arrive ; explique donc nous ce qui se…
Isabella leva le doigt devant la tête de Ugo. Celui-ci, surpris, s'arrêta brusquement de parler et observa le visage tordu de l'interruptrice, qui semblait y prendre un malin plaisir. Je vais lui laisser ça, sinon elle va chicaner.
— Je ne souhaite pas y aller par quatre chemins : dis-moi lequel d'entre vous est Apte, et j'autoriserai peut-être les autres à s'en sortir sans trop de souffrances.
Ugo sentit qu'il lui avait tendu un bâton inconnu pour se faire battre sèchement. Il n'avait peur de quiconque, mais il ne voulait pas que ça retombe sur ses amis : il aurait besoin d'eux s'il voulait s'en sortir. À peine eut-il essayé de fomenter quelque plan mauvais à l'égard de cette mégère que Isabella se retourna, et s'approcha de la fenêtre pour contempler la ville.
— Sais-tu où nous sommes, misérable humain ? Sur la Terre des Rois-Mages, en Hallian. Nous sommes au cœur de l'Empire, dans sa capitale culturelle, politique, militaire et économique, vieille de plusieurs centaines de générations : Dal'Agard. C'est ici que siège l'Académie, ici qu'on forme la fine fleur de notre civilisation… Sais-tu de quoi il s'agit ?
Mais Ugo n'écoutait déjà plus : il s'approchait doucement dans le dos d'Isabella, prêt à la percuter violemment afin de la faire passer à travers la fenêtre. Il s'infiltrerait dans l'angle mort, et terminé le mauvais goût ! Déjà, il sentait le parfum de cette catin indolente se propager dans ses narines, et il pouvait presque palper ces hanches provocatrices qu'il aurait bien étreint si elles n'étaient pas une partie de cet étron géant. Il se trouvait à un mètre d'elle quand il ressentit un léger picotement le long de sa colonne vertébrale. Soudain, une douleur fulgurante lui transperça la poitrine et il fut soulevé en l'air, des arcs électriques s'agitant frénétiquement autour de lui comme des serpents pris de folie. Isabella s'était retournée, sa main désormais brillante d'un bleu turquoise, tendue vers Ugo, et, comme son visage hargneux le soulignait, elle ne s’arrêterait pas là.
— Les Mages, voilà votre idylle ! Vous les humains n'êtes que de pauvres êtres misérables, ne méritant même pas une once de ma pitié, des cancrelats en somme. Votre seule utilité se résume à nous servir de rats de laboratoire, de bétail ! Mais, au vu de l'expression sur ton visage, j'en déduis que tu n'es pas d'accord ? Seulement, qu'en est-il de votre propre bétail ? Le prendriez-vous en pitié ? L'épargneriez vous ? Je ne crois pas… Voilà comment fonctionne le monde : les faibles nourrissent les forts, en les servant ou en mourant.
La douleur était telle qu'il sentit la rage poinçonner l'arrière de son crâne. Pendant un instant, il crut qu'il allait partir en vrille et la massacrer. Mais il se retint, se servant de la douleur en tant qu'inhibiteur. L'idée folle de lui dire que la technologie humaine semblait dépasser de loin la magie lui traversa l'esprit, mais son corps le rappela à l'ordre et fit taire le sarcasme.
Isabella rabaissa sa main, qui s'éteignit, comme la douleur dans sa poitrine. Ugo s'écrasa contre le sol. La mégère soupira, et s'assit sur son siège, visiblement lasse de devoir imposer son pouvoir. Elle tapota distraitement son bureau du doigt, tandis que Edward aidait Ugo à se relever, ce dernier à moitié sonné. Après quelques instants, une personne entra. C'était une jeune femme d'une vingtaine d'années, au visage angélique et portant une robe simple, de couleur gris cendre. Elle portait un sac en bandoulière, et elle avait l'air nerveuse. Elle s'inclina dans une grande révérence devant la grande Inquisitrice, et attendit qu'elle prenne la parole.
— Ah, Éléanora, je t'attendais (elle observa la nouvelle venue du coin de l’œil, puis les désigna d'un mouvement de tête). Vois-tu ces humains ? Je veux que tu fouilles dans leurs souvenirs et que tu leur arraches la vérité. N'utilise pas toute ta force mentale : ils ne sont d'aucune utilité pour l'instant, mais à l'avenir… Enfin, tu as compris ?
— Oui, ma Dame, et la jeune femme s'inclina plus bas.
Puis, elle se tourna vers Ugo. Déjà que celui-ci n'avait pas l'air en forme, même en pire état que Yannis, subir une attaque mentale manquerait de l'achever. Il devait contenir ses souvenirs dans une partie inviolable de son esprit, pour ne pas qu'ils apprennent son secret. Déjà, il voyait cette Éléanora s'approcher de lui de façon prudente, comme s'il était un chien enragé. Une fois près de lui, elle gardait cette attitude, et Ugo lui fit un sourire pour détendre l'atmosphère. La Mage resta interdite, et posa ses mains sur le crâne d'Ugo, pouce sur le front. Mais il avait déjà terminé sa compression de souvenirs, et il ne restait plus rien à prendre ou à donner. Seul subsistait l'inextricable souvenir du goût indéfinissable de sa boisson, qu'il n'arrivait jamais à déplacer. Il sentit alors que la magicienne pénétrait dans son esprit, mais pas comme il s'y attendait : elle était décidément une experte, laissant sa force mentale couler comme de l'eau dans les moindres brèches de son dédale cérébral. Seulement, le bloc mental d'Ugo était inviolable, et l'intrusion ne fit que glisser sur ses parois. Elle sortit donc, semblant satisfaite de sa recherche.
Elle s'approcha ensuite de Ludwig. Lui non plus n'avait pas l'air très apeuré. Elle resta une minute à le sonder, puis arrêta, son visage trahissant le fait qu'elle n'avait rien vu de compromettant. Lorsqu'elle s'attaqua à Hadrian, son visage était confus.
Les choses devinrent intéressantes quand vint le tour de Edward. Celui-ci avait le visage calme comme la surface d'un verre, mais des petites fêlures montraient bien que l'intrusion n'était pas la bienvenue. La Mage n'avait pas l'air d'aller fort de son côté : elle suait à grosses gouttes. Elle retira prestement ses mains du visage du blafard, et le contempla avec effroi, lequel répondit par un sourire doux et cruel, ses yeux jetant un bref éclat rouge. Bordel, pensa Ugo, Il sait faire peur quand il le veut. Et un truc suspect pour la table onze, un !
Quand Yannis fut sondé en dernier, la Mage avait le visage fermé. Elle resta à l'analyser, encore et encore, mais plus elle continuait, plus elle semblait renfrognée. Finalement, elle stoppa ses recherches, se tourna vers Isabella et lui dit en montrant du doigt Yannis et Ugo :
— Ces deux-là ont le Don, ma Dame. Le petit au nez rouge a opposé une barrière mentale
Malédiction ! se dit Ugo.
— Le brun possède une drôle de Porte… Pour les trois derniers, c'est moins sûr. Il faudrait peut-être les garder sous clé pour les étudier plus longtemps… Souhaitez-vous que je m'en charge ?
— Non, je n'ai plus besoin de vous, maintenant tout du moins, dit Isabella en vrillant du regard Éléanora. Je vous remercie, vous pouvez disposer.
— Mais, ma Dame, dit la grise, suppliante. Je peux encore…
— Sortez, répondit d'une voix menaçante Isabella. Je vous respecte pour votre persévérance, mais savoir s'arrêter est aussi preuve de sagesse. Vous . Pouvez . Disposer…
La grise mordit ses lèvres, à deux doigts de répliquer. Néanmoins, elle s'inclina à contrecœur et sortit, non sans jeter un dernier regard discret vers les cinq garçons. Une fois que le bruit de ses pas s'estompa, Isabella se tourna vers son bureau, ramassa une clochette en or et sonna avec. Pendant quelques instants, il ne se passa rien, mais quelqu'un au coin de leur regard apparut, en lâchant un toussotement discret. Il ressemblait à un majordome en costume trois pièces, atteint de calvitie, avec une moustache de morse. Il se tenait en marge de leur champ de vision, attendant des ordres.
— Deeds, demanda Isabella. J'ai besoin de tes services.
— Formulez votre demande, Ô Isabelladona Larakhouv, Grande Inquisitrice et Maîtresse du Dogme D'Abraxas…
— Épargne-moi les formules de politesse. Je souhaite que tu amènes ces deux gamins, le blond et le jeune brun à lunettes, à la chambre annexe aux baraquements, Lorkan leur trouvera bien une utilité. Celui-ci, continua-t-elle en désignant Yannis, doit être amené à une chambre dans les quartiers des Cycle zéro. Quant aux deux autres… Trouve un Cycle Supérieur de libre pour les étudier. En attendant, amène-les dans la chambre des invités.
— Bien sûr, Maîtresse, dit le majordome en s'approchant d'Hadrian et Ludwig.
Il les fit se relever et leur donna les instructions nécessaires afin d'atteindre leur destination. Puis, il accompagna ensuite Yannis pour l'amener à l'endroit désiré. Une minute plus tard, il réapparut dans l'angle mort de leur champ de vision, sans que Ugo ne puisse comprendre comment il avait fait. Sur le coup, aucune raillerie sur la magie lui vint en tête, mis à part le fait que c'était de l'esclavage.
Isabella congédia le mystérieux serviteur, lequel disparut en un battement de paupières. Satisfaite, elle se tourna alors vers lui et Edward, questionnant dans le vide :
— Pendant combien de temps, penses-tu, tiendront-ils ? Une heure ? Une journée ? Moi je parierais une semaine, mais rien ne dit qu'ils ne seront pas brisés en cours de route…
— Pourquoi vous nous gardez ? rétorqua Ugo avec agressivité.
Il espérait la pousser à bout afin de mieux percer ses défenses. Mais Isabella avait flairé le piège et sourit de plus belle, ce qui fit perdre à Ugo son dernier assaut.
— Je ne pense pas avoir forcément besoin de t'en parler… Mais, en ce qui vous concerne, Edward et toi, il semblerait bien que vous possédiez quelque chose, qui normalement ne devrait pas être possédé par vous, ou par quiconque de votre espèce. Je vais donc vous prévenir : si vous ne me dites pas comment vous avez obtenu de la Magie Ancienne, je serais dans l'obligation de vous faire torturer jusqu'à que vous parliez ; croyez-moi, confia-t-elle, je pense que vous regretterez de ne pas vous faire enfermer à Guantánamo.
Elle appela ensuite des serviteurs pour les surveiller, qui s’empressèrent de conduire Ugo et Edward vers des appartements situés à une cinquantaine de pas du bureau où ils se trouvaient auparavant.
Une fois à l'intérieur, ils constatèrent que le soir pointait déjà le bout de son nez, accompagné d'un effluve brumeux. Edward confia à Ugo le soin de le réveiller le lendemain, et s'affala sur son lit, tombant dans un sommeil silencieux et profond. Ugo, quand à lui, se posait encore trop de questions pour pouvoir y répondre. Il but une gorgée d'alcool, il frissonna quand le liquide doré coula dans sa gorge en feu, et il trouva la paix et le sommeil quelques instants plus tard.
* * *
*Maty
Pendant la « séparation »
Elle regarda s’éloigner le chariot à l’avant, où ses cinq amis avaient été emmenés plus ou moins contre leur gré. Alors que ses yeux glissaient lentement du chemin montant vers cette bâtisse immense construite au dessus du vide pour y plonger un regard désespéré, le cœur de Maty se vida de toute sa substance lorsque le reste du convoi s’enfonçait dans les ténèbres qui se trouvaient en dessous. La route, creusée à même le ravin, devenait de plus en plus lisse à mesure que le reste de la TSB et les guerriers s’enfonçaient dans les profondeurs. Maty jeta un regard dans le trou : quelque chose y brillait faiblement mais à cause du jour, elle ne distinguait pas les formes.
L’un de leurs geôliers beugla quelque chose et le sol trembla, envoyant Maty se cogner la mâchoire contre le bois dur. Sonnée, elle se redressa quelques instants après pour constater la source du séisme : le jour se faisait engloutit par des tonnes et tonnes de terre, qui s’agglutinaient depuis les parois pour former un plafond séparant le monde d’en-haut de celui d’en-bas. Lorsque les rayons des soleils ne percèrent plus la voûte, les yeux de la jeune fille mirent du temps à s’habituer jusqu’à qu’elle puisse voir ce qui brillait tout en bas.
On aurait dit la légendaire cité d’Agartha mais en plus glauque : une grotte aux proportions titanesques, de troglodytes maisons en échafauds serpentants autour des parois et d’immenses colonnes d’accrétion, sur lesquelles on distinguait des silhouettes grises, et quelques jaunes et rouges, parfois vertes. Tout ce petit monde allait et venait de toutes directions, galeries, tunnels… Maty devina aisément qu’il s’agissait d’un chantier, qui plus est d’esclaves. Suis-je bête, pensa-t-elle avec un humour sombre. Les comédies de fantasy dans un autre monde, c’était trop beau pour être vrai.
— C’est ce que je crois ? s’enquit son amie Eikorna en s’asseyant à ses côtés pour regarder la scène.
— À 200 %.
— C’est pas possible… Comment ça se fait que le bâtiment d’au-dessus ne fasse pas s’effondrer ?
— Les piliers, peut-être ?
— Non, fit la brune en secouant de la tête. Tu as vu sa taille ? Et je me rappelle de sa brillance, c’était du métal !
— Alors on est vraiment dans un autre monde, assuma Maty.
— La physique, c’est partout pareil !
Elle s’apprêtait à lui dire que la science était loin de tout pouvoir expliquer mais ferma sa bouche : son amie s’accrochait seulement à la dernière once de rationalité dans ce monde on-ne-peut-plus étrange. Elle regarda discrètement son amie : les yeux rivés sur la mine, la sienne était déformée par la peur. De son côté, Maty ne ressentait qu’une légère appréhension… mais c’était tout. Comme si quelque chose au creux de son être lui chuchotait que tout irait bien. Elle soupira néanmoins et ferma à moitié les yeux : sa tête lui faisait toujours mal depuis le choc à la mâchoire et la situation n’allait pas en s’améliorant.
Une fois tout en bas, on les détacha, les fit tous descendre des chariots en aboyant des ordres dans leur langue étrange et gutturale que, malgré elle, la blonde commençait à comprendre :
—…nnez-leur leurs tenues aussi ! (l’un des spadassins se tourna vers la TSB) Enlevez vos vêtements !
La plupart d’entre eux se regardèrent, gênés. Le soldat répéta de nouveau, sa main caressant le pommeau de son épée. À la grande de surprise de Maty, ses camarades obéirent. Cela signifiait qu’ils comprenaient eux aussi ce dialecte ! Elle posa la question à Joao pour être sûr, lequel répondit à l’affirmative tout en retirant son pantalon. Au bout d’un moment, tout le monde était en sous-vêtements, hésitants et mal à l’aise, leurs restes de vêtements en petits tas sur le sol. Le soldat les ramassa pour les mettre dans un chariot amené par un comparse, accompagné d’un autre type qui portait une pile de vêtements gris pliés.
— Mettez ça ! (les lycéens enfilèrent les tenues, des sortes de bure ou sac à patates) Bien ! Vous êtes à présent sous la juridiction de l’Empire Mourmon et par conséquent, vous serez traités comme tous les étrangers : vous gagnerez votre liberté après avoir effectué votre service national. Des questions ?
— Oui ! s’écria Margarita. Quand est-ce qu’on va sort… ARGLh !
Un des soldats lui avait filé une calotte avec sa main gantée et cloutée. Les épéistes gloussèrent et le discoureur les fit taire après un instant. Un sourire malin se dessinait sur ses lèvres.
— Je vois que vous avez hâte de vous y mettre. Bien ! Votre tâche sera la suivante : vous extrairez le Sable Noir des souterrains selon les instructions de votre maître de travail. Bon courage et gloire à l’Empire !
— Gloire à l’Empire ! répétèrent à l’unisson les soldats.
Ils partirent en oubliant l’existence de la trentaine d’adolescents affamés, esseulés et complètement déboussolés. Maty serra la main d’Eikorna et tourna le dos à la troupe armée pour faire face à la mine. Quelque chose… quelque chose n’était pas clair dans cet endroit. L’esclavage l’était, la souffrance tout autant. Non, il y avait forcément un monstre tapi dans ces souterrains, qui soufflait un vent maudit à travers les cœurs de tous et chacun. Et comme tous les monstres, cette chose avait peur de la lumière du soleil.
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