Chapitre 35 – Au cœur du Chœur du Monde

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Bon, c'est vrai, on pense toujours que la plupart du temps, c'est pas très dangereux. Vous savez que les volcans qui n'ont pas été en activité depuis 10 000 ans sont considérés comme éteints, chez nous. Les allumés, par contre, sont plus ou moins dangereux : on a les rouges, par exemple, qui sont plutôt cool pour voir les projections de lave illuminer la nuit, et moins quand ils te transforment en bacon bien grillé...

Bien sûr, il faudrait être très lent pour se faire brûler par de la coulée de lave, car sa vitesse est de quelques centimètres à deux mètres par seconde, environ. Les volcans les plus dangereux sont explosifs, rien qu'à l'épisode de Pompéi qui fait encore rêver les archéologues. De ce fait, on en conclut que les volcans sont pas toujours très sympatoches.

Mais le volcan dans lequel ils allaient avait l'air calme. Il fumait calmement, laissant ses vapeurs s'étaler calmement dans l'atmosphère céleste calme. Il était haut, trop haut pour voir le sommet. Ugo se trouvait à la base du volcan, près de l'entrée qui se constituait en une immense porte métallique, coulissante et incrustée dans la roche amorphe. Le basalte prenait des formes aguicheuses qui rappelaient à Ugo ses anciennes conquêtes. Mais passons, il n'avait pas de temps à perdre en élucubrations : il devait réfléchir. Voyons, pensa-t-il, les murs sont fondus en couches, ce qui signifie que les coulées de lave sont fréquentes, mais vu l'inclinaison de la pierre et la concentration en pyroxène, la lave est rapide et refroidit rapidement.

En tout cas, le volcan crachait la fumée grise caractéristique de la vapeur d'eau, ce qui était inquiétant. Si un bouchon se formait, il se retrouverait avec un volcan gris, explosif. En bref, pas une chose très sympathique en somme. Sans savoir la cause de ce refroidissement, il se disait que le volcan n'allait pas exploser, mais semblait perdre de l'énergie ; comme la planète était en vie, ce volcan était l'équivalent d'un bouton.

Ugo se tourna vers Archibald, qui accomplissait un rituel. Il lui avait expliqué que, parmi les mages, il y avait plein de variétés qui prenaient différentes voies d'études sortilèges : les magiciens, les sorciers, les druides, les alchimistes, les croyants, les manciens, etc … Accomplir un rituel, c'était assez druidique, en somme, car on invoquait les forces de la nature pour implorer ou demander tel ou telle chose. Lorsque Archibald acheva son cantique, il leva ses bras en croix, et lâcha un note unique, cristalline. En réponse, la porte vibra à un harmonique plus bas, et s'effaça lentement.

Derrière se trouvait un "homme" immense. Il avait l'allure d'un bipède, sauf que son visage était celui d'un espèce d’arthropode. Il avait trois paires de bras musclés qui partaient de l'arrière de son dos, lui-même couverts de piques. Il n'avait pas de cheveux, mais de longs fils qui se mouvaient librement, sûrement pour détecter les vibrations et donc les gens. Ses jambes avaient plusieurs articulations, et semblaient assez puissantes pour broyer un humain dans la force de l'âge. Sa peau était grise, et couverte de fissures. En fait, en se concentrant, Ugo se rendit compte que c'était des plaques de chitine, rattachées entre-elles par on-ne-sait-quoi. Le monstre humanoïde sortit une langue noire de ses mandibules, et l'agita pour former trois cercles concentriques.

Immédiatement, Archibald mit la main dans sa poche et en sortit un minuscule cadran couleur jade-brute, ou comme du fer rouillé. Il y grava une relation mathématique. Ugo regarda par dessus son épaule et lut.

C'était illogique, d'un point d'homogénéité. En fait, la variable introduite ici n'aurait eu aucun sens si cela n'était pas une des fameuses lettres propres à toute matrice vectorielle magique. La lettre en question était inconnue à Ugo. Dès que le magicien eut fini sa formule, l'inscription s'illumina. Derechef, Ugo entendit une voix croissante qui provenait de l'insecte humanoïde à six bras :

— Soyez les bienvenues, visiteurs de la Capitale ! Venez, venez, ne soyez pas timides… Le Gouverneur m'a beaucoup parlé de vous. Je suis Glar'ik'do, mais vous pouvez m'appeler Garry, ça sonne comme par chez vous.

— Je vous remercie de votre chaleureux accueil, répondit respectueusement Archibald en s'inclinant. Si vous avez déjà conversé avec le gouverneur, vous savez pourquoi nous sommes ici ?

— Naturellement ! Venez, suivez moi ! Je vais vous montrer le chemin.

Ils s'engagèrent à la suite de la bestiole parlante, et Ugo put observer les couloirs plus en détails : de la pierre, parcourue de veines lumineuses, comme…

Comme dans mon poste de travail, se dit-il. On possède aussi le même système de circuit. Mais comment ils ont pu acquérir ce genre de matériel ? Le système de refroidissement est là, lui-aussi ! S'ils utilisent ma technologie, pourquoi est-ce détraqué ? Réfléchis : j'ai pensé ce système sans prendre en compte le paramètre le plus chiant de toute cette histoire : la magie. Normal, quoi. Maintenant, je vais devoir refaire mes calculs… Putain de sa mère…

Les veines s'illuminaient et s'éteignaient en fonction de la quantité d'énergie qui y passait. Normalement, cela devait être soit constant, soit périodique. Seulement, Ugo voyait bien que le système était comme siphonné de son énergie. Un déséquilibre assez grand pouvait provoquer une distorsion dans le continuum espace-temps ; jouer avec les lois de la physique demandait quelques ajustements métastables (stabilité dans l'instabilité) à l'envers. Placer le boson de Higgs pour le faire vibrer permettait de changer la masse en anti-masse, et de créer une énergie infinie, à petite échelle seulement.

En théorie, le boson de Higgs créait un champ (de Higgs) qui permet de conférer de la masse aux particules dans son rayon d'action. Le faire changer d'état (de métastable à stable ou à instable), devait créer un champ d'antiréalité, une bulle de vide parcourant l'espace à la vitesse de la lumière. Ugo avait contourné le problème : il exploitait le vide en le remplissant, ce qui le faisait disparaître immédiatement après création… enfin non-création. Sur une échelle de quelques yoctomètres, on créait des champs de vide et de non-vide, qui s'annihilaient en permanence et en équilibre. L'énergie dépensée était faible par rapport à celle qu'on recevait, ce qui faisait un rendement très élevé, de l'ordre de 95 %. Finalement, on avait juste besoin de quelques atomes de fermium se baladant et s'écrasant à une vitesse de 99,9 % de celle de la lumière. Sans pollution. Wouah… Des gens avaient volé son travail, et ça risquait à chaque instant de détruire l'univers. Pourquoi la plèbe ne comprenait pas que l'invention des génies ne saurait être utilisée que par des génies eux-mêmes, et pas par des employés de seconde zone ?

Pendant que Ugo continuait son monologue interne de concepts mathématiques, physiques et philosophiques compliqués dans sa tête, Yannis s'approcha d'une veine et la toucha. Il se tourna vers les autres, avec un air perdu :

— J'ai l'impression que je suis déjà venu ici…

— Ah bon ? Ugo se tourna vers lui, intéressé. Et, c'était quand ?

— Je ne sais pas trop, c'est comme… flou dans ma tête… Hum… Il y a quelques mois ?

— Je ne pense pas que vous êtes déjà venu ici, avança Garry. Il n'y a qu'une seule entrée viable, c'est la porte ; je sais toujours quand quelqu'un rentre ou sort.

— Je pense que vous avez raison, Garry, affirma Yannis en opinant. Je suis jamais allé ici, et je n'en ai jamais rêvé. C'est juste que… Ces veines de lumière, elles me sont familières.

— Ah ! Vous vous intéressez à mes petites chéries ! Ce sont des fées, actuellement. Celles-ci sont spécialement élevées pour se nourrir en magie et en faire de la puissance électrique. Mais, vu que le taux de magie du volcan s'est soudainement affaissé, elles se meurent une à une et les machines ne peuvent plus fonctionner sans elles.

— Savez vous la cause de ce phénomène ?

Ugo était soulagé que ce système ne soit pas celui qu'il avait conçu. Au moins, il y aurait une chance de mieux s'en sortir.

— Non, et c'est pour cela que vous êtes là ! Venez, je vous mène à la salle de contrôle .

Ils se dirigèrent à travers les couloirs, et la chaleur commençait à monter. Ils débouchèrent dans une salle remplie d'ordinateurs, Ce qui fait un point

commun avec nous, et avec tout l'équipement pour faire des mesures, des expériences et un tableau, rempli d'équations d'échanges d'énergies thermiques et électriques remplissait tout l'espace.

Garry se dirigea vers le porte manteau, et en rapporta des vestes en peau que Ugo reconnut de suite :

— Des peaux de Kaarnag ? Mazette ! Comment vous les avez eues ?

Mais Garry lui répondit avec un air étonné.

— Je suis surpris que vous connaissiez les Kaarnag, alors qu'on les appelle les Flammations. Peu de personnes sont au courant qu'ils existent, et beaucoup les confondent avec les Feurailleurs, mon espèce.

— Je me suis renseigné sur tout ce qu'il y à savoir, rétorqua Ugo en faisant un clin d’œil à Yannis.

— C'est une petite fouine, vous connaissez les humains ! intervint Archibald pendant que Garry observait Ugo d'un air soupçonneux. Il n'était, bien sûr, continua-t-il en lançant un regard noir à Ugo, pas au courant avant de voir le dossier…

— Naturellement, affirma Garry.

— Exactement. Nous allons nous séparer, dit Archibald en se tournant vers les trois jeunes. Moi et Ugo, nous prendrons le couloir de droite, tandis que vous, Garry, vous accompagnerez Yannis et Kara dans l'autre aile du bâtiment.

— Impossible ! (Garry désigna la porte de la tête) J'ai été assigné dans cette partie du bâtiment, je ne peux donc en sortir, ni entrer dans les autres ailes.

— Eh bien, vous pouvez désobéir aux ordres, pour une fois, dit Yannis d'un ton sarcastique.

— Vous ne comprenez pas : c'est un contrat magique, pas juste social ou moral. Si j'essaie de passer par la sortie ou par ces portes, c'est comme si je me heurtais à un mur.

— Mais personne n'y va, pour voir si elles marchent, vos machines ?

— Bah, d'habitude c'est Lrevi qui s'en charge, et lui peut aller et venir dans le labo, sous prétexte qu'il est plus « qualifié » que moi. Une vraie teigne, moi je vous le dis…

— Très bien… Archibald soupira et regarda d'un air entendu Yannis, lequel sourit gaiement. Il s'adressa à Kara : Veille à ce que Yannis ne tombe pas dans un trou ou sur un mur à cause de son étourderie naturelle ; je t'en remercierais d'avance.

— Comptez sur moi, maître.

— On se retrouve dans la couloir principal du sous-sol. Dispersons-nous!

Ils partirent chacun de leurs côtés, vêtus de leurs peaux magiques à l'épreuve du feu. La chaleur les assaillit, les prit en tenaille, puis finit par abandonner la bataille, surpassés par les enchantements.

Ils s'enfoncèrent, dans les creux, les tunnels, pour entendre le lent battement du cœur du volcan.

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