Chapitre 47 – L’écho zéro

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*Archibald Parmini

— Vas-y, Archi ! Montre à ce Mange-Boue de quel bois t'es fait !

Tandis que ses "amis" l'encourageaient, Archibald jubilait ; derrière ses mèches brune-ocre, il regardait Synnaï qui se tenait debout en face de lui, le visage tuméfié.

Cela faisait près d'une heure qu'Archibald le matraquait à coups de Mots (et le ciel s'assombrissait déjà de nuages menaçants). Les Mots étaient peu utiles dans un combat rapide et nerveux, car contrairement aux formules qu'on pouvait inscrire rapidement, les chants des Mots étaient longs. Mais leur puissance supérieure permettait aux mages de s'approprier le champ de bataille si personne ne recherchait le corps à corps avec eux. Et comme Synnaï incarnait l'Aspect dans ce duel, Archibald avait toutes ses chances de le faire ployer.

Malgré tout, le nouveau n'avait pas bougé d'un iota. Il n'avait pas non plus vacillé sous les coups incessants des sortilèges, et Archibald commençait à s'essoufler. Le combat était peut-être à sens unique, mais il fallait en finir au plus vite ; Synnaï recherchait peut-être le match nul.

— Que se passe-t-il, ici ?

Archibald tourna la tête. Fais chier ! C'était Bartavius Lenistoler. Normalement, il aurait dû être dans son bureau à s'occuper des tâches ingrates liées à sa fonction, mais cet insolite crétin préférait se balader pour observer les élèves. Un vieux pervers ! Il pouvait bien sûr arrêter immédiatement le duel, mais Synnaï intervint mystérieusement, parlant de manière étouffée à cause de son visage boursouflé :

— Monsieur le Directeur, je vous prie de nous excuser, mais c'est une affaire d'honneur tyrminien. L'Académie respecte les traditions de chaque contrée.

— Quand bien-même, rétorqua le directeur. Je refuse que mes élèves soient blessés pour des affaires aussi triviales que l'h…

— C'EST TOUT SAUF TRIVIAL !!! hurla Synnaï si fort que même Archibald relâcha la cadence pendant un instant.

Il vit alors les yeux de Synnaï briller de mille feux, libérant des arcs électriques qui parcoururent son corps de la tête au pieds. D'un coup, Archibald ressentit une pression telle qu'on aurait dit qu'il faisait face à un titan sortit de terre, et qu'il se tenait dans la paume de sa main. Il sentit des gouttes de sueur froide descendre sur tout son corps, quand il vit le regard intense de Synnaï ; un regard de pure destruction.

— Hé ! Un des camarades intervint. T'as pas le droit d'utiliser autre chose que ta Nature, sale pleutre !

— Croyez-le ou non, chers élèves, mais c'est sa véritable Nature…

Bartavius avait pris un ton calme, mais une jubilation à peine contrôlée se lisait sur son visage.

Le mot « nature » en lui-même prenait son double sens, comme si le pouvoir de Synnaï révélait complètement la nature de son âme : un être vindicateur qui entraînait à lui seul la roue du destin. Le déferlement d'énergie était tel que les forces gravitationnelle et nucléaire près de Synnaï arrachaient des lambeaux de terrain ; dès qu'ils entraient au contact de l'Aura de celui-ci, ils se sublimaient. La température était pourtant contrôlée à un degré quasiatomique, car Archibald ne ressentait en aucun cas la caresse de la chaleur sur ses joues.

Quand la pluie se mit à tomber, des volutes de vapeur s'élevèrent autour de Synnaï, comme s'il était un oracle de la Terre dans son antre, lui donnant un air mystique. Soudain, les vapeurs se ramenèrent vers lui et disparurent.

C'est alors qu'Archibald comprit.

Chaque atome qui touchait l'Aura de Synnaï était converti en énergie. Ça n'était pas seulement de l'alchimie de haut niveau : c'était carrément un contrôle total sur l'équation entre la matière et l'énergie. Il fabriquait, à partir du réel, l'irréel. Des petites étincelles scintillantes apparaissaient dans l'horizon des événements de l'Aura.

C'est magnifique…

Mais il n'eut pas le temps de penser plus que le pied de Synnaï apparut contre son visage. Archibald reçut l'énergie de plein fouet, sentant une sorte de décharge foudroyante qui le transperçait de part en part. Il tomba au sol, complètement paralysé.

Si c'est comme-ça… Archibald ouvrit sa Porte en grand, invoqua sa Nature, et… rien. Apeuré, il chercha encore à atteindre la source de son pouvoir. Rien. Le vide. Déboussolé, il ne comprit pas tout de suite ce qui venait de se passer.

Il vit Synnaï s'approcher, pas à pas. Ce dernier avait le visage totalement guéri, mais sa tunique s'était déchirée pour révéler un corps couvert de cicatrices. Un corps de guerrier… Ha ha ha… Et moi qui croyait que c'était juste un simple fermier un peu chanceux… Je me suis fait avoir… Quand Synnaï fut assez près, il toucha Archibald. Celui-ci ressentit immédiatement ses membres revenir à la vie. Il se redressa, et vit une main tendue et un visage souriant.

— Tu vois ! Si tu avais fait plus d'efforts, tu m'aurais vaincu avant cette défaite.

Archibald grommela, chassa la main de Synnaï et se releva tout seul tant bien que mal. Le directeur le regardait avec un œil sévère, ce auquel Archibald répondit :

— Le duel est terminé. Il est le vainqueur. J'arrêterais de lui chercher des noises jusqu'au prochain Cycle. Ça te va ? Demanda-t-il en dernier à l'intéressé.

Synnaï le regarda avec un air un peu perdu, puis un sourire démoniaque sur le visage. Il prit ensuite un air suffisant, et proclama :

— Je saurais me montrer magnanime à mon tour si, par audace de ma part, tu seras mon serviteur jusqu'au prochain Cycle.

— QUOI ?! Par quelles ignominies tu veux me faire passer, espèce de bouffeur d'asticots de… Eh ! Pourquoi tu rigoles comme ça ?

— P...Po...Pour rien ! Répondit Synnaï en éclatant de rire de plus belle. Je te taquinais juste ! Mais je veux effectivement une autre récompense, en l'honneur de ma victoire…

Archibald lâcha un « tch » caractéristique, et essuya du sang à demi-coagulé sous son nez.

— C'est quoi, le deal ?

Synnaï sourit de plus belle, et tendit la main une nouvelle fois vers lui.

— On devient amis, au moins jusqu'au prochain cycle !

Archibald le regarda, regarda sa main, le regarda, regarda sa main, et la repoussa. Il lui tourna le dos et commença à marcher, bousculant au passage ses camarades. Il détestait cette sensation qui naissait en lui, comme si quelque chose essayait de trouver son chemin vers la lumière, comme une fleur.

Amis, hein… ? Dans tes rêves !

Il marcha quelques instants, jusqu'à qu'il se retrouve seul. Il regarda sa main ; couverte du sang de ce gars si insipide, et pourtant si intrépide. Un type comme-lui, y en avait pas deux. Archibald se demandait bien ce que ça faisait d'avoir un ami.

Qui sait… Mais pas tout de suite.

* * *

Yannis se réveilla en sursaut sur un lit d'hôpital. Une perfusion au bras, il entendait un bip périodique qui devait sûrement surveiller son éléctrocardiogramme.

— Tu es réveillé ? Bien, je te parlerais dès que tu seras prêt à supporter ma voix.

Il tourna la tête de droite à gauche, et fut surpris de voir tous ses amis terriens présents. Ils avaient tous arrêté de faire leurs activités favorites : Edward était en train de râler, Ludwig en train de réprimander Ugo, et Hadrian était sur son téléphone. Mais maintenant, ils l'observaient tous avec inquiétude.

— Les g… (En se redressant, Yannis réprima un cri de douleur.).

— Doucement, lui dit Hadrian en le repoussant doucement sur son oreiller.

L'infirmier a dit que tu devais te reposer.

— …Est-ce que Jinn, Solis et Pythie sont… ?

— Pour sûr, qu'ils sont absents ! Ugo le coupa dans sa phrase, une pointe d'agacement dans la voix. Il n'y que tes vrais amis qui sont venus aujourd'hui. Donc j'espère que tu vas nous récompenser !

— Ah…

Ludwig rabroua Ugo avec un coup de poing dans l'épaule.

— Ils avaient des choses importantes à faire, ajouta Ludwig. Pour le Tournoi.

—… Oui, je vois…

— Et sinon, qu'est-ce qu'il s'est passé ? (Manifestement, Edward était très inquiet.). Apparemment, on t'a vu tomber au jardin dans un profond coma, mais maintenant tu te réveilles. Ça va bien, ou bien ?

— Ouais, répondit Yannis en se redressant. J'ai juste eu une surcharge magique, ça arrive à n'importe qui.

— D'accord. Si t'as besoin de quelque chose, utilise ta boule magique machinchose, rétorqua Ugo en se frottant l'épaule. On accoura pour être à vos petits soins, Majesté.

— Dégage, le gueux, répondit Yannis en rigolant.

Ses amis quittèrent la pièce. Yannis se rallongea doucement, sentant que son corps était encore endolori. Tout à coup, il eut mal au bras. Surpris, il le leva pour l'observer : son avant-bras était couvert d'hématomes, de cicatrices et de bleus. Yannis écarquilla les yeux quand il découvrit l'ampleur du phénomène : les blessures étaient répandues sur l'intégralité de son corps. Même son visage était boursouflé.

Il se redressa d'une traite, et se frotta les yeux ; mais ça n'était pas une hallucination. La douleur était bien réelle. Pourquoi ses amis n'avaient rien remarqué ? Peut-être avait-il dormi entièrement sous la couverture… Non, ces blessures étaient illogiques. Autant il aurait pu avoir une bosse derrière la tête, ou avoir un ou deux bleus. Mais cette quantité de blessures était irréelle, surtout que, d'après lui, elles dataient d'au moins deux ou trois jours.

Yannis se demandait si cela n'avait pas un rapport avec son rêve lucide. Il avait vu à, à travers les yeux de Archibald Parmini, les prouesses de… Synnaï Hencherick ? Cet élève tant vanté par le directeur Lenistoler. Cette expérience l'avait troublé, parce que, dans ce rêve, il ressentait les sensations de Archibald, mais aussi celles de Synnaï. Et si ses blessures avaient un lien avec celles de Synnaï ?

La Résonnance Adimensionnelle, comme son nom l'indiquait, ne dépend d'aucune dimension. Si un sortilège aussi puissant utilisait ce procédé, alors les ruptures spatio-temporelles devaient être fréquentes. Ainsi, des fragments d'événements pouvaient se perdre dans le continuum espacetemps, et ré-atterrir dans les pensées de ce qui étaient connectés de manière forte (magiquement parlant) aux gens. Yannis parla d'une voix forte et déterminée :

— Eh, la voix dans ma tête ! Tu m'entends ? J'ai pigé le truc, maintenant tu peux me parler !

Yannis se sentit idiot d'avoir parlé à voix haute, tout seul. Il le faisait souvent, mais c'était surtout pour réfléchir ; là, c'était pour s'adresser à quelqu'un.

Mais sa déconfiture ne fut que plus grande quand il l'entendit :

— Diantre, ce que vous êtes bruyant ! Vous n'êtes point obligé de crier, vous savez… Je vous entends très bien.

Yannis n'en croyait pas ses oreilles : il conversait avec une personne venant d'une autre dimension (d'une autre temporalité, plus exactement, mais c'était déjà plus classe). Il déglutit, intimidé. Et si ce gars, ou cette meuf (la voix était difficile à identifier), vivait dans sa tête… ? Il devait en être sûr.

— Euh… Salut ? Je m'appelles Yann…

— Je sais comment vous vous nommez.

— Ah bon ? Et donc, t'es dans ma tête ?

— Parbleu, non. Je ne suis ni présent dans votre esprit, ni au sein de votre âme. Je suis actuellement autre part, mais je ne saurais vous en donner la localisation exacte.

Allons bon…

— Comment je peux te croire ?

— Je ne mens jamais.

— C'est déjà un mensonge, en soi.

— Votre point de vue est différent du mien, je n'ai pas la capacité de mentir. Mais soit, je comprends votre vigilance. Que me demandez-vous qui puisse m'accorder votre confiance ?

— Comment tu t'appelles ?

— L'Enfant de la Chose.

Yannis bugga pendant quelques secondes, avant de reprendre son cerveau en main. C'était quoi ce nom, un blaze de D&D ? Son pseudo sur Tinder ?

— D'accord… Sinon, tu t'appellerais pas Synnaï, des fois ?

— Je m'appelle tout le temps de la même manière, si cela vous inquiète tant.

— T'as pas répondu à ma question.

— …

— Tu me prends pour un crétin du dimanche ? Je connais l'astuce du « je ne mens jamais, mais je dis pas toute la vérité, ou je me tais ». Sorry, mais ça ne prend pas sur moi. Donc si tu réponds pas, t'es suspect.

— Je ne « m'appelle » pas Synnaï.

Yannis était sur ses gardes, donc il ne relâcha pas la pression, et ré-attaqua dans l'instant.

— Tu mets trop l'accent sur les « guillemets », mon gars… D'ailleurs, t'es bien un gars ?

— Un… gars ?

— Un individu mâle, si tu préfères.

— … Je ne vois pas vraiment en quoi c'est important. Mais, si ça l'est pour vous… Considérez-moi comme un « gars », si vous le souhaitez.

— Super… T'as pas un autre nom ? « L'Enfant de la Chose », c'est un peu lourd à prononcer.

— …. Fort bien. Appelez-moi…. Sharivari.

— Ah ouais… Tu passes du cancer au choléra, en fait.

— Plaît-il ?

— Je t'appellerais Schwarz, dans ce cas. Ça glisse sur la langue, j'aime bien.

— Schwarz… C'est d'origine allemande ?

— Huh ? Tu connais l'Allemagne ?

— J'ai beau ne pas être dans votre tête, M. Yannis, il y a des bribes de souvenirs qui jaillissent de votre mémoire. Comme je suis d'une nature, excusez-moi d'avance, curieuse, j'ai pensé que je pouvais y jeter un coup d’œil. Était-ce une déconvenue ?

—… Non, ça va. J'imagine que tu dois t'ennuyer, là où tu es. Tant que tu ne regardes pas ma vie privée, ça ne me dérange pas.

— Il n'y a ni lumière, ni son, là où je me trouve. Je ne sens pas le poids, la rigidité et la souplesse de mon corps.

— Si y a pas de son par chez toi, comment tu m'entends ?

— Je ne vous « entends » pas. Je ressens vos pensées, votre volonté. Elle m'est directement affectée, donc je la traduis selon mes mots à moi. J'ai conservé ma pensée, mes connaissances, mes souvenirs. Ces derniers sont seulement flous, je n'arrives pas à les organiser.

Soudain, Yannis eut un déclic. Une sorte d'éclair de génie, mais avec de l'espoir, l'espoir fou d'une idée complètement démente, et pourtant si rationnelle et claire. C'était comme si, après la rotation d'une centaine d'engrenages, l'horloge avait décidé de lancer son premier « tic-tac ».

— Eh, Schwarz… T'as bien parlé de connaissances ?

— Oui… Je sens que vous avez une idée bouillonnante, mais je ne saurais dire laquelle. Pouvez-vous m'en détailler le contenu ?

— Hé hé… Tu le sauras après quelques petits tests de ma part…

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