Chapitre 51 – Un abri pour les mains solitaires

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*Maty

Elle avait la rage. Elle avait l'espoir. Elle avait la force de se battre contre l'oppression dans l'ombre. Sans être une justicière de la nuit, elle faisait les 400 coups à l'aide de « T » et de sa bande : saboter le travail de surveillance des gardes en empoisonnant leur dîner (un champignon violet qui poussait partout leur filait une colique dévastatrice!) ; c'était plonger les Coursiers dans la confusion au point qu'ils n'arrivaient plus à vérifier si les caisses étaient remplies ou non ; c'était diminuer les possibilités pour les Jaunes et les Rouges pour tourmenter les Gris ; c'était finalement une occasion pour soigner les Verts, dont Maty, Eikorna, la terminale SB et la « T-Crew » faisaient partie. C'était un combat de tous les jours, mais tous les jours payaient.

Désormais, elle n'était plus cette gamine qui s'amusait comme une lycéenne normale. Elle n'organisait ni ne participait à plus aucune fête. Elle n'était plus amoureuse d'un garçon beau comme un ange. Le temps ne lui laissait que le droit d'accomplir son devoir de protection des faibles et des opprimés. Rabattant une mèche qui tombait devant ses yeux, elle se demandait s'il était judicieux de les couper, mais garder ce semblant d'individualité, c'était comme faire un doigt d'honneur à ce système d'injustice.

Et bientôt, ils seraient tous libres. Elle savait que quelqu'un de la Terre avait entendu son message perdu dans la roche ; depuis quelque temps déjà, elle avait remarqué que de l'eau descendait d'une paroi, et que de l'air sifflait à sa sortie. Eikorna lui avait indiqué que ce passage fonctionnerait comme l'expérience du fil et du pot de yaourt, alors Maty avait essayé. Et cela avait fonctionné : quelqu'un qui connaissait le morse avait répondu à son appel, et lui avait indiqué qu'il viendrait les chercher. L'espoir était auparavant ténu, mais il avait grandi suite à cette réponse. Enfin, la revanche avait sonné.

Mais elle était tout de même inquiète : et si son sauveur ne trouvait pas de moyen pour les libérer ? S'il se faisait attraper, enfermé comme eux dans le Trou sordide où gisaient tous les défauts de la société de l'Empire ? Soudain, elle vit une jeune fille s'approcher d'elle : cette dernière ne devait pas avoir plus de treize ans, avec un visage timide et des cheveux en bataille. Une nouvelle, en somme, car les femmes comme les hommes étaient constamment sous pression pour se faire raser la tête. Maty arrêta de piocher.

— Salut, petite… Tu t'es perdue ?

— Maty, répondit la fille avec une voix fluette mais un ton exaspéré. C'est moi !

—…On s'est déjà croisé ? (Si c'était le cas, ce serait gênant pour elle) Désolé, j'ai pas trop la mémoire des visages…

La jeune fille soupira, puis mit ses deux mains sur ses hanches, en imitant la pose d'un professeur que l'ancienne lycéenne n'aurait jamais oublié de toute son existence. Maligne comme elle était, elle devina immédiatement :

— Mais, d'où tu connais M. Lacuis… ? UGO !?

— Chut ! Tu vas nous faire repér…

Mais Maty sauta pour l'enlacer de toutes ses forces, ne contrôlant pas trop les muscles qu'elle avait développé durant ses longues sessions de minage.

— Ouf ! Arrête ça, tu m'étouffes ! se tortilla Ugo pour échapper à la prise de fer. Putain de bordel, t'es stock comme InShape, ma parole ! Ils te donnent quoi à manger, ça m'intéresse…

— Mais… Comment tu… Attends une seconde !

Et l'ancienne Maty revint, au plaisir de la nouvelle.

— Pourquoi t'es une fille ? T'as changé de sexe ? Ils ont un Taïwan ici aussi ? Pourquoi t'es plus petit qu'avant… Heu… petite, je veux dire, je voulais pas t'offenser… Mais, sinon, tu vas bien ! Et comment vont les autres ? J'ai entendu des histoires à propos de favoris du Tournoi… Yannis y participe ? Et d'ailleurs, pourquoi t'es là ? Oh là là (Maty se ventila à l'aide de ses mains), si seulement j'avais mon téléphone, j'aurais fait un selfie ! T'es trop mignonne !

— Mais tu vas la fermer, ta grande gueule ? (Maty était tellement heureuse de retrouver son ami qu'elle opina sans relever l'insulte) Déjà, tu me lâches la grappe cinq minutes, c'est juste un déguisement magique ! (Quand elle entendit « magique », ses yeux s'illuminèrent) Et non ! Je te donnerais pas le costume, ça grillera ma couverture… Le plan, c'est de sortir d'ici au plus vite, c'est pour ça que je suis venu vous chercher.

— Tu es venu… nous chercher ? (En entendant ça, Maty se sentit gonfler d'un mélange de fierté, d'amitié et de courage) Mais… Tu es seul ?

— Et c'est bien assez, répondit mystérieusement Ugo. Où sont les autres ?

— Je peux les rassembler d'une minute à l'autre, mais il y a aussi…

— « T » et sa bande. Je sais ça, aussi.

Hein ? Comment pouvait-il savoir quelque chose qu'il n'avait pas vécu ? Mais Ugo n'expliqua rien de plus et observa les gardes les plus proches d'eux ; ceux-ci étaient en train de discuter de leur journée autour d'une boisson chaude constipante, donc ils ne les remarquèrent pas parler ensemble.

— Tu sais si les gardes peuvent lancer des sorts ? s'enquît Ugo, la mine soudain inquiète.

— Euh… Pas ici, en fait : les cristaux sont très sensibles à la magie, alors ils sont exempts d'en faire.

— Alors ils peuvent plus rien contre moi, sourit démoniaquement le travesti mathématicien.

* * *

Le jour se levait.

Le Biwaat lança son cri salvateur, et les habitants du côté éclairé de Mourn se levèrent à foison. Certains ronflaient encore, d'autre somnolaient, d'autres encore profitaient du soleil matinal qui lâchait ses habituels bâillements luminescents. Tous attendaient avec impatience l'événement le plus triomphant de l'histoire Mournienne, qui serait diffusé sur toute la planète dans quelques heures. Tous ? Non. Seul un petit groupe d'irréductibles Terriens résistaient encore et toujours à l'engouement général, plongés dans un bain d'appréhension aussi puant que les fesses d'un rat. Attendant la guillotine du destin, la Ferroul Squad crépitait d'angoisse dans les vestiaires de la première épreuve.

Yannis aurait dû se sentir oppressé par la masse grandissante de la peur qui grouillait en lui. Il aurait dû vomir à cause du trac de la première épreuve. C'était toujours comme ça avant qu'il passe ses examens ; il n'oubliait jamais rien lors d'une épreuve, mais il voulait toujours aller trop vite. Il avait toujours les yeux plus gros que le ventre. Mais aujourd'hui, il ne jouait non pas que son avenir, mais son existence. Toutes les choses en lesquelles il croyait, toutes les émotions qu'il avait ressenti, tous les souvenirs qu'il avait ou non partagé, il devait les montrer au monde par le biais de ses compétences. Montrer qu'il en valait la peine.

— Tout va bien ?

Yannis sursauta ; Edward avait posé sa main sur son épaule, le visage inquiet. Yannis prit un regard sombre.

— Oui… Le trac, hein ?

Il tenta de sourire pour se détendre, mais seul un rire nerveux sortit de sa bouche, la tordant de part en part. Edward ne dit pas un mot, mais il semblait avoir compris : il lui tendit la main. Surpris par un tel élan de camaraderie, Yannis la prit. En un regard échangé, son ami lui faisait comprendre qu'il n'était pas seul. Ludwig. Hadrian. Jinn. Solis. Pythie. Même Kara.

L'équipe entendit la cloche du commencement. Sonnait-elle le glas de leur défaite ? Ou le triomphe de leur victoire ?

La Ferroul Squad sortit de sa tente personnelle, aux couleurs de l'équipe, mélange de rouge nacarat et de jaune primaire, l'emblème de la croix occitane imprimé sur chacune de leurs tenues. Autour d'eux, les autres équipes se rassemblaient dans le Stade, un gigantesque Colisée aux allures grecques dans lequel des centaines de milliers de personnes hurlaient et chantaient pour la gloire des Rois-Mages.

Soudain, on entendit un coup de tonnerre, ce qui mit fin au vacarme assourdissant de l’excitation ambiante. Au loin, sur une estrade privée, on apercevait les personnages les plus importants de l'Empire : la Grande Inquistrice, le Directeur de l'Académie, l'Archimage, le Conclave et l'Hakessar lui-même. Celui-ci leva la main pour saluer les convives, qui se prostèrnèrent respectueusement, suivis de près par les participants. Seule la Ferroul Squad resta debout. L'Hakessar le remarqua, sans réaction apparente. Il annonça de sa voix profonde et ancienne :

— Cher peuple de Mourn ! Je vous souhaite à tous la bienvenue en ce jour si particulier. Sachez que je suis heureux que le Festival puisse se dérouler, malgré ces temps qui s'annoncent un peu nuageux. Mais n'ayez crainte : c'est en le maintenant que nous assurons notre position envers et contre le Royaume de Migdemar. Ainsi, en l'honneur de la mémoire des Sept, je déclare ouvert le 567e Tournoi des Rois-Mages !

Un cours discours, mais qui eut l'effet désiré : une ovation titanesque retentit tout autour du terrain. Sans plus attendre, l'Archimage Momonoga Nao-Rhan prit la parole :

— Avant que nous commencions, chers spectateurs et téléspectateurs, laissez-moi vous présenter chaque équipe venant des quatre coins de l'Empire, et au-delà ! En favori du tournoi, M.A.C.H.T, les meilleurs élèves de la promotion Jaune de l'Académie, de vrais génies ! En second, venant des fins-fonds de l'Ouest, les Scaravenger de Kadash ! Applaudissez haut et fort ces valeureux guerriers qui vont pouvoir vous montrer leur force et leur hargne ! En troisième viennent les Sharun-Mahad d'Ulron, entraînés dur dans l'art du Grand Serpent, et prêts à tout pour gagner ! En quatrième place, la Blue Sight, de jeunes élèves de Cycle vert qui ont décidé de former une équipe qui serait digne de la légendaire Red-Sight ! Cinquième, les Ognennyy Zmey de Fergio, sixième les Kumo no kawa d'Hallian, septième les Bkrraa de Paraxie. Et enfin, venu d'une autre planète, ce qui est rare mais dans leur cas, ça ne l'est pas : la Ferroul Squad venu de la Terre, soutenue par Médine !

Tout le discours de l'Enthousiaste débordant fut ponctué d'ovations et d'un tonnerre d'applaudissements, hormis le moment où il présenta la dernière équipe, qui fut elle huée et sifflée. Dans la foule, Yannis aperçut Archibald et Éléanora et quelques collègues étudiants qui les encourageaient. Il les salua de la main, puis regarda ses amis autour de lui. Il n'était pas seul.

— Cher mourniens, chères mourniennes, et chers mourmons, que la première épreuve commence ! Et, candidats, n'oubliez pas : l'épreuve vous réservera de petites surprises…

Tout à coup, un cercle de Runes apparut autour de Yannis. Un cercle de téléportation instantané… Prépare-toi ! Yannis embauma son cerveau de magie, et sentit immédiatement le contre-coup du cercle runique le percuter violemment. Heureusement pour lui, Schwarz lui avait appris à contrecarrer l'effet nauséeux qui suivait une téléportation forcée.

Une lumière l'éblouit, et il se retrouva au beau milieu d'une forêt. Yannis regarda autour de lui, mais il n'y avait ni ses amis, ni les autres concurrents. Il était seul. C'est peut-être ça, la surprise dont l'Archimage parlait. Il faut que je retrouve la Ferroul Squad. À en juger par les alentours, et d'après le terrain pentu, Il devait se trouver proche de la limite du terrain. S'il voulait rassembler l'équipe, le plus logique aurait été de chercher vers le centre, où plus de gens auraient dû être téléporté. Le fait qu'Ugo soit absent compromettait déjà leur victoire. Mais il y avait un plan, et il fallait s'y tenir.

Yannis alluma son cristal qu'il avait attaché à son poignet, comme une montre. Un écran holographique apparut juste au-dessus, et il put constater que les points verts cerclés de jaune (ses alliés) étaient déjà rassemblés à un endroit précis. L'algorithme qui les avaient traité avait dû donc les mettre dans le mec sac, soit des humains. Bien, je vais les appeler…

— Allô ? Dites 5/5 si vous me recevez !

—….Tu te prends pour un agent infiltré, ou quoi ? Bien sûr qu'on te reçoit !

C'était la voix de Ludwig. Yannis sourit de toutes ses dents.

— Hé ! Me fais pas la morale parce que je m'amuse, je peux enfin faire des activités physiques avec vous !

— …Rejoins-nous vite, on a trouvé un shelter.

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