IV. De l'utilité des bibliothèques,troisième partie

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 Jal mena tout droit ses pas vers la caserne. Vivien, qui n’en revenait toujours pas du sens de l’orientation exceptionnel de son cousin ranedaminien, le complimenta.

  Quelques hommes en armes s’y tenaient, s’entraînant ou briquant leurs armes, mais pas trace de Lidwine ni d’Hendiad Londren. Jal s’enquit du capitaine auprès d’un soldat, qui lui indiqua une salle d’entraînement. Les deux jeunes hommes parcoururent une enfilade de pièces, des salles d’armes, des salles d’entraînement, parfois vides, parfois occupées par des soldats qui faisaient quelques passes, toutes bien fournies en armes diverses et variées, accrochées au mur comme la collection d’un seigneur particulièrement belliqueux. Ils finirent par trouver Lidwine et le capitaine dans une salle plus grande que les autres. La jeune femme enlevait les brassards de cuir qui protégeaient ses bras. Le capitaine Londren portait une épée longue, très différente du sabre olaan avec lequel Jal l’avait vu combattre. L’entraînement était manifestement terminé.

  • Jal et seigneur Bertili ! Quelle joie !

 Lidwine venait de les voir et s’avançait vers eux. Elle portait une tenue d’escrime en cuir de dragon et en drap brun, serrée et lacée autour de son corps, et ses cheveux cendrés rassemblés en catogan. Cette tenue soulignait son élégance naturelle ainsi que la force et la souplesse de son corps. Vivien resta bouche bée. Elle souriait de toutes ses dents et tenait encore à la main sa fidèle épée Devra.

  • Il est arrivé quelque chose ?
  • Non, rassurez-vous, tout va bien. Nous passons simplement prendre de vos nouvelles, votre père nous a dit où vous étiez.
  • Eh bien vous voyez, messieurs ! Vous voulez tirer un peu les armes avec moi ?
  • Je vous conseille de préparer vos meilleures parades, messeigneurs ! Cette demoiselle est une adversaire redoutable, intervint Londren. Permettez-moi de louer encore une fois votre méthode, dame Lidwine. J’aurais été fier d’une telle élève.

 La jeune escrimeuse rosit de fierté.

  • Nous n’avons aucune chance ! Affirma Jal.
  • Est-ce de la couardise ou de la galanterie ?

 Jal se retourna. C’était Ulrich Kleber qui venait de parler. Il se leva du banc sur lequel il était assis, dans un coin de la salle. Ni Vivien ni Jal ne l’avait vu. Mais l’affront qu’il venait de lancer appelait réparation. C’était sans doute une façon d’ouvrir les hostilités, de mesurer l’adversaire. Jal fronça les sourcils.

  • Je présume que la galanterie échappe à votre compréhension, sinon vous ne me poseriez pas cette question. La couardise, en revanche, paraît vous être familière… Il s’agissait simplement d’une constatation, tout à fait réaliste. Cela dit, si vous souhaitez régler la question de mon courage, je suis à votre disposition.
  • Tout de suite, monsieur Dernéant.

 Jal ne pouvait pas ignorer un défi aussi manifeste. Il enleva aussitôt sa cape, sa sacoche et son chapeau, et tira son épée. Il laissa courir les reflets sur la lame, savoura le poids et l’équilibre de l’arme. Sa chère Valte, victoire en luc ancien. Ulrich semblait un peu moins assuré, maintenant. Il se débarrassa aussi de sa riche cape brodée, de son chapeau de feutre et dégaina une lame neuve, à la lourde coquille ornée. D’après ce que Jal pouvait en voir, elle paraissait solide et équilibrée. Le combat s’annonçait intéressant. Bien sûr, il n’était pas question de combat à mort, même si Jal sentait monter la colère. Ce n’était qu’un duel de principes, qui devait s’arrêter au premier sang versé ou au désarmement.

 Jal se mit en garde, la plus sûre qu’il connaisse. Il ne connaissait pas le niveau de son rival. Ulrich posa une garde de soldat, très académique. Hendiad, posté dans un coin de la salle, les scrutait de son regard d’acier, rendu plus transperçant encore par l’expérience. Il les jaugeait. Mais plus pesant encore était celui de Lidwine. L’inquiétude brillait dans ses prunelles vert-de-gris. Pour Jal ou pour Ulrich ?

 Vivien, lui, grommelait. Jal réagissait au quart de tour ! Il aurait pu laisser passer courtoisement l’insulte, mais il avait fallu qu’il relève. Pour impressionner la demoiselle… Il jeta un œil au profil de Lidwine. Elle fixait les combattants, une main posée sur la garde de Devra, prête à intervenir.

  Ce fut Ulrich qui attaqua en premier. Une erreur, mais il ne supportait plus le calme olympien que conservait Jal. Calme apparent, bien sûr, mais dès que le jeune galant eut porté son attaque, il connut sa force et répliqua avec vivacité. La pointe fut arrêtée de justesse par Ulrich, dont la grimace annonça qu’il avait sous-estimé son concurrent. Son jeu devint plus serré et plus rapide. Jal serra les dents et accéléra, se concentra. Ulrich était doué, il devait mobiliser toute sa maîtrise pour tenir bon. Il bloqua d’extrême justesse un coup puissant qui arrivait par le haut, les lames glissèrent l’une contre l’autre avec un crissement et des étincelles tout du long. Les yeux dans les yeux, Jal et Ulrich reculèrent d’un pas, essoufflés.

 Mais cette fois ce fut Jal qui relança l’assaut. Il ne se maîtrisait plus, il ferraillait frénétiquement, espérant épuiser le jeune homme ou le prendre de vitesse. Il résistait, difficilement mais vaillamment. Jal, en désespoir de cause, dessina un grand cercle dans l’air, qui le mettait à découvert mais lui permettait un coup efficace. Malheureusement, l’épée d’Ulrich avait vu la faille et y plongeait. Jal détourna la lame au dernier moment avec sa poignée et parvint à toucher l’épaule de son rival. Excédé, Ulrich lança son bras vers le flanc de Jal, qui passa Valte sous le bras de son adversaire et le toucha encore. La lame d’Ulrich glissa sur son vêtement sans l’entamer.

 Jal grimaça. Le combat n’aurait pas dû se prolonger. Le duel devenait sérieux, Ulrich refusait d’abandonner malgré les touches de Jal. L’épée du jeune Kleber entourait l’aspirant messager d’une gangue d’acier. Ses bras commençaient à fatiguer. Il se défendait de son mieux, surpris par le renouveau des forces de son rival. Il comprit trop tard que ce tourbillon d’attaques n’avait pour but que de l’étourdir avant d’assener un coup imparable. Le fer filait déjà vers sa gorge. Il n’eut que le temps de fermer les yeux dans un réflexe dérisoire.

 Un son métallique résonna à deux doigts de son nez. Il ouvrit les paupières. Une lame, tenue par une poigne de fer, avait stoppée net l’attaque d’Ulrich juste devant son visage. Jal se tourna et rencontra les traits délicats de Lidwine. Son épée, avec une maîtrise parfaite, avait paré le coup et sauvé Jal. Ses traits durcis éteignirent la fureur dans les yeux de son prétendant, qui recula.

  • Disparais. Le duel est terminé, Jal a vaincu.

 Ulrich coula un regard suppliant à la demoiselle qui resta inflexible, puis quitta la salle. Le dernier regard qu’il lança à Jal brillait de haine. Dès qu’il fut sorti, Lidwine rengaina. Le Ranedaminien s’aperçut alors qu’elle n’avait pas remis ses protections de combat. Elle avait réagi en un éclair.

  • Vous m’avez sauvé la vie.

 Elle eut un sourire.

  • Il semblerait bien, messire.
  • Heureusement qu'elle était là ! grommela Vivien.

 Son cousin sourit en remettant Valte au fourreau.

  • Vous aviez gagné, c’est indiscutable, seigneur Dernéant. Ce forcené n’a pas respecté les règles du duel. Demoiselle Artanke a bien fait d’intervenir. Avec un sang-froid remarquable, d’ailleurs !
  • Merci, capitaine Londren, lâcha Jal.
  • Il vous a mis en danger ! siffla la jeune femme. J’aurais dû briser son épée en deux !
  • Votre Devra m’a été d’un grand secours, une fois encore. Je lui dois toute ma gratitude, ainsi qu’à vous, dame Lidwine. Votre habileté m’a rendu un fier service.
  • Nous sommes à présent quittes, Jal, conclut-elle en riant.

 Jal se rendit alors compte qu’il n’avait pas lâché son épée. Il décrispa lentement ses doigts de la poignée avec une pensée affectueuse.

  • Je dois aussi une fière chandelle à Valte.
  • Et à ta maîtrise, dis-le, se moqua Vivien. Sans blague, il n’était pas drôle, cet Ulrich. Tu t’es bien débrouillé.
  • Merci, Viv, mais je suis sûr que tu aurais fait mieux ?
  • Ça me paraît évident…
  • Eh bien voyons cela tout de suite, tu es prêt ?

 Jal dégaina à nouveau Valte et la fit tournoyer avec dextérité.

  • Non, ce ne serait pas honnête, tu es fatigué par ton premier combat. Un autre jour.

 Jal sourit.

  • C’est ça, et ce jour-là, je te mettrais la pâtée.
  • C’est ce qu’on va voir !

 Lidwine interrompit le duel d’intimidation par un de ces sourires dont elle avait le secret.

  • Hum, je m’en voudrais de déranger votre rivalité, mais cela navrerait-il l’un d’entre vous de me dire pourquoi vous me cherchiez ?
  • Je m’inquiétais pour vous, je l’avoue, mais je…
  • Nous ! protesta Vivien.
  • Nous voulions nous rendre à l’académie et à la caserne pour suivre l’enquête. Ici nous pouvons poser la question au principal intéressé…

 Ce disant, Jal tournait un regard interrogatif sur Hendiad Londren, resté les bras croisés près du râtelier d’armes. Le capitaine de la garde royale posa sur eux son regard d’aigle.

  • Mes hommes ont été chercher le corps de votre tortionnaire, seigneur Bertili. Nous ne connaissons pas son nom. L’avez-vous entendu, par hasard ?
  • Non, jamais. Ses sous-fifres l’appelaient « monsieur » ou « chef ».
  • Nous l’avons amené à l’académie de magie, au cas où quelqu’un le reconnaîtrait.
  • On peut sentir la magie dans un cadavre ?

 C’était Jal qui jouait encore les curieux.

  • Non, la magie s’enfuit en même temps que la vie et il ne subsiste aucune trace de sa puissance.
  • Vivien, tu es sûr que l’homme qui t’a assommé chez Érode et celui que j’ai tué étaient le même ?
  • Absolument, j’ai bien reconnu sa voix et ses yeux.
  • Mais peut-être n’était-ce pas lui le commanditaire de l’opération.
  • Il ne reste vraiment aucun de ses employés pour nous le dire ? intervint Lidwine.

 Elle détacha ses cheveux couleur de crépuscule et ouvrit la porte de la salle d’armes. Hendiad reposa son épée longue et attrapa le fourreau de son sabre fétiche, déposé sur un banc. Il passa devant elle et quitta la pièce à grands pas, suivi par les deux garçons et la jeune femme.

Je crains que non. Mais après tout, certains ont pu s’enfuir. Il faut espérer que quelqu’un parmi les étudiants ou les professeurs le reconnaîtra, sinon…

  • On n’aura plus de piste, soupira Vivien. Ne devriez-vous pas protéger demoiselle Lidwine ? Après tout, c’est elle que visait cet homme, il ne voulait de moi que des renseignements. Si quelqu’un a commandité cette affaire, il en a après elle, non moi.
  • Vous avez raison, j’ai proposé une protection permanente par mes soldats à la dame Artanke, qui n’en a pas voulu.
  • Ce qui ne m’étonne qu’à moitié, glissa Jal avec un sourire. Mais que pouvait-il vous vouloir ?
  • Je ne l’ai jamais vu, Jal. Je n’en sais rien. Peut-être même que je le connais, en fin de compte !

 Le Ranedaminien se perdit dans ses pensées. Oui, c’était possible, en effet. Mais sinon ? Si personne n’avait vu cet homme ? Ils en seraient réduits à attendre le prochain danger. Et Jal détestait cette idée.

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