IV. De l'utilité des bibliothèques, cinquième partie

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 Liz traversait la rue pavée, son derkan dans les bras, en direction de l’académie de magie. Elle se sentait perplexe. Jal l’inquiétait, jamais elle ne l’avait vu dans un état pareil. Puis elle se fit la réflexion que cela faisait quelques années qu'elle ne l'avait pas vu, en réalité. Le connaissait-elle réellement ?...

  La magicienne fut détournée de ses pensées par un fracas constant à sa droite. Un carrosse arrivait à toute allure vers elle. Elle cria, Éclipse bondit à terre et fila, elle tourna sur elle-même pour trouver une échappée. Le véhicule la heurta de plein fouet, elle vola, sentit sa tête partir en arrière et heurter durement le pavé.

 Sonnée, mais pas assommée, elle rampa comme elle put sur ses coudes. Une douleur irradiait de ses jambes et de ses épaules, sans parler de son crâne qui résonnait comme une cloche. Elle gémit et essaya de se relever, mais la tête lui tournait. Une main lui saisit le coude et la tira vers le haut. Elle allait remercier le bras secourable mais s’interrompit en voyant une lueur mauvaise dans les yeux en face d’elle. Elle n’eut que le temps de hurler pendant qu'on la tirait dans le véhicule.

  • Non !

 Il ferma la porte et le carrosse repartit à fond de train. Elle se démenait comme une forcenée.

  • A l’aide !

 L’homme, surpris par tant de résistance, la lâcha une seconde. Aussi vive qu’une silenia prise dans un filet, elle glissa au sol entre les banquettes, rua contre la porte qui s’entrouvrit sur la ville qui défilait à toute vitesse. Elle vit la main se tendre pour l’attraper, d'un geste elle expédia une giclée de magie enflammée à la tête de son ravisseur, qui tomba en arrière dans un cri affreux. Elle inspira et se jeta dehors.

 Elle roula sur le sol douloureusement, le chaos régnait autour d’elle, de pavés, de ses cheveux noirs et parfois le ciel. Enfin tout s’arrêta et elle retrouva son souffle. Elle vit, dans un brouillard, le carrosse disparaître et des gens courir vers elle. Elle perdit conscience et laissa sa tête retomber à terre. Elle se réveilla quelques minutes après, entourée par des passants en proie à une vive agitation.

  • On a tenté de vous enlever !
  • Quel courage !
  • Vous allez bien ?

 Ses paupières papillonnaient ; elle reconnut soudain un visage parmi eux.

  • Liz ! Par les lunes, que s’est-il passé ?

 Elle se redressa sur ses coudes et prit son front dans ses mains. Le monde tournait.

  • Je… Aide-moi, Lénaïc. On vient d’essayer de m’enlever.
  • Quoi ?! Que Vinoo nous protège ! Viens, on rentre à l’académie.
  • Préviens Vivien, s’il te plaît.
  • Ton frère ?
  • Oui, et aussi Jal Dernéant.
  • Attends, je vais t’aider.

 Il la souleva avec douceur et la soutint le temps de retourner à l’académie. Elle marchait difficilement. Sitôt arrivé, il prévint un professeur et l’aida à s’asseoir sur une banquette de velours. Elle s’y laissa tomber et secoua ses cheveux noirs pleins de poussière. Avec une main, elle effleura les coups qu'elle avait reçus à la tête et aux épaules. La magie s'infiltra à travers le tissu de sa robe bleue d’étudiante et illumina ses blessures. Elle s’apaisa, et sursauta quand le professeur arriva.

  • Mademoiselle Bertili ! Vous devriez déclarer cet incident à la caserne, le plus tôt possible. Vous vous sentez bien ?
  • Pas trop mal, grâce à Lénaïc, je vous remercie. J’y vais tout de suite, et prévenez mon frère Vivien et mon cousin Jal Dernéant, je vous prie. Et… Éclipse ! Où est passé mon derkan ?
  • Euh… Je ne l’ai pas vu.
  • Tant pis. Je file à la caserne.
  • Je vous accompagne. La prudence m’y oblige. Ces sinistres individus pourraient recommencer.
  • Très bien, dépêchez-vous.

 Elle bondit sur ses pieds, parfaitement remise, secoua sa robe bleue et sortit, Lénaïc sur ses talons. Après un petit temps d’anxiété, elle se mit à courir vers la caserne de ses petits pieds d’oiseau. Lénaïc s’essouffla vite en essayant de la suivre. Elle disparut derrière l’angle d’une rue. Il ouvrit des yeux paniqués et reprit sa course pour la rattraper. La caserne, quadrangulaire en pierre jaune, se dressait devant lui. Liz toquait à la porte avec le butoir.

  • Capitaine Londren ! Capitaine Londren !

 Le capitaine se montra réceptif à l’histoire de Liz. Il envoya six hommes chercher Jal et Vivien, et interrogea lui-même la jeune étudiante. Elle ne put pas lui dire grand-chose, le carrosse portait un blason mais elle n’était pas capable de l’identifier. Vivien arriva vingt minutes plus tard, seul.

  • Où est Jal ?
  • Aucune idée. On ne l’a pas trouvé, ni moi ni les soldats d’Hendiad. Je sais qu’il est rentré tout à l’heure, mais il n’est pas chez lui, ni chez Lidwine. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé…
  • Donc il n’est pas au courant ?
  • Non. Comment tu vas ?
  • Pas trop mal, j'ai soigné mes blessures, mais… Je suis terrorisée.

 Vivien serra sa petite sœur dans ses bras.

  • Tout va bien, je suis là. Je te protégerai. Calme-toi.
  • Pourquoi, Vivien ? Pourquoi voulaient-ils m’enlever ? Qu’est ce qui se passe ici, par ma lune ?

 Le noble Vorodien soupira profondément.

  • Je n’en sais fichtre rien. Il nous faudrait le cerveau de Jal pour démêler tout ça, et lui aussi manque à l’appel… C’est vrai que c’est le seul à qui il n’est rien arrivé encore. J’ai peur que ce soit son tour. Il faut qu’on le trouve. Lénaïc ?
  • Oui, Seigneur ?
  • Pourriez-vous repérer Jal avec le même sort que vous avez utilisé pour moi ?
  • Seul ? Je n’ai pas la puissance magique nécessaire. On était très nombreux, pour vous.
  • On peut s’y mettre à trois, qu’en dis-tu, Liz ?
  • Je m’en sens capable. En plus, nous le connaissons tous, ça devrait faciliter la tâche. Mais il sera forcément beaucoup moins précis ; au mieux, nous n'aurons qu'une direction dans laquelle chercher.
  • Bon, on ne perd rien à essayer. Prêts ?

 Lénaïc essaya de se détendre et projeta sa magie dans ses mains, qui s’illuminèrent. Liz ferma les yeux et de ses doigts jaillirent des étincelles. Sa magie était beaucoup plus puissante que celle de son frère, raison pour laquelle elle était entrée à l’académie. Vivien enfin ouvrit les bras et reçut la magie émergeant de leurs corps, servant de catalyseur. Il y joignit la sienne et projeta les trois sorts mêlées vers le ciel. Une goutte de sueur perla sur son front. Les deux apprentis magiciens semblaient parfaitement détendus, les yeux fermés, la magie pure affluant de leurs paumes. Vivien évoquait le visage de son cousin, le son de sa voix, son amitié simple et constante. Liz visualisait ses yeux gris perle, son rire et sa légendaire curiosité, le mouvement de sa cape lorsqu’il marchait, son front plissé lorsqu’il lui confiait ses tourments. Lénaïc se concentra du mieux qu’il put, et soudain le sort s’évanouit, la fontaine de magie disparut et Vivien s’affaissa. Liz secoua ses mains pour les débarrasser des derniers filaments de lumière et l’aida à se relever.

  • Alors ? Où est-il ?
  • Pas la moindre idée. Je n’ai rien vu.
  • Hein ? Mais le sort a marché, j’ai bien vu la colonne de lumière !
  • Oui, le sort a marché, mais il n’a rien détecté. Pas la moindre direction préférentielle, pas le moindre indice.

 Un silence consterné s’installa lorsqu'ils ils se souvinrent de ce que cela signifiait.

  • Ca veut dire que sa présence a disparu de la surface de ce monde... Jal est mort.

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