VIII. Le rempart de l'acier, deuxième partie

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 Vivien, le ventre plein, s’assit sur une des marches du perron et contempla d’un air satisfait la nuée de ses confrères qui s’empressaient autour de ce qu’il restait du buffet.

  • Tu n’as pas mangé grand-chose, Jal. Il y a un problème ? Je n’ai pourtant pas besoin de t’expliquer qu’il te faut des forces, ces jours-ci.
  • Hum.
  • A quoi tu penses ?
  • A ma sœur. Je me demande si elle sait que je suis à Lonn pour le concours.

 Vivien grimaça.

  • Si tu veux mon avis, elle s’en moque.
  • Je sais.

 Imre, la grande sœur de Jal, avait épousé le riche baron Harnan. Elle considérait l’ambition de messager de son frère comme ridicule et minable, une fantaisie de gamin. Il n’y avait de place pour aucune émotion dans sa cervelle froide. Tout tournait autour de son confort et de sa richesse. Elle ne portait aucune attention à son frère ni d’ailleurs à aucun membre de la famille. Jal trouvait parfois sa bonne vieille Valte plus chaleureuse qu’Imre Harnan.

  • Et c’est ça le problème ?

 Jal se redressa, un peu agacé par ces questions intrusives.

  • Non, cela fait longtemps que je sais ce qu’elle pense de moi. Il n’y a pas de problème.
  • Sûr ?
  • Crois-moi. C’est juste une question sans importance qui me turlupine.
  • Une question, hein ? Pourquoi ne suis-je pas surpris ?
  • Tu avais promis de ne plus te moquer, Viv !
  • Ce n’est pas une moquerie, c’est une simple interrogation ! protesta Vivien.

 Son cousin répliqua par une bourrade amusée. C’était de bonne guerre. Le Vorodien se leva et fit claquer son épée dans le fourreau.

  • On y va ? Je suis fin prêt !
  • Tu n’aurais pas dû manger autant avant l’épreuve d’escrime, ça va te jouer des tours.
  • Ne t’inquiète pas, il nous reste encore du temps. Je pensais plutôt qu’on pourrait s’entraîner un peu avant.
  • On a le droit de rester dans les jardins ?
  • Y a pas de raison ! Allez, en garde !

 Vivien laissa tomber sa cape et son chapeau à terre. Jal, enchanté, l’imita et tira Valte avec un son cristallin qui lui arracha un sourire de satisfaction. Il se posa en garde en face de son cousin qui avait lui aussi dégainé. La très belle arme qu’il tenait devant lui se nommait Imsil, Jal la connaissait bien. Il affermit la prise de ses pieds sur le sol gravillonné de l’allée et passa à l’attaque.

 Vivien était doué, il le savait. Il se préparait à un assaut solide. Au bout d’un moment, il parvint à le désarmer en donnant un coup violent sur la base de la lame. Le choc se répercuta jusque dans son épaule.

  • Bien joué, admit Vivien sans la moindre amertume.
  • Tu veux ta revanche, champion ?
  • Pas de refus.

 Ils se remirent en garde. Cette fois, Vivien parvint à expédier Valte en l’air au bout de quelques minutes, rendant Jal maussade.

  • Comment tu as fait ça ?

 Il se baissa pour ramasser son arme.

  • Je t’ai laissé croire que tu étais le plus fort. Ça t’apprendra !

 Le jeune homme grimaça, mais encaissa la mauvaise foi.

  • J’avoue, je n’ai rien vu venir. Mais tout à l’heure ça ne marchera pas, tu n’as qu’un seul combat.
  • Pas grave, j’ai plein d’autres surprises en réserve.

 Il rengaina, satisfait. La cloche sonna à la seconde où il lâchait la poignée d’Imsil.

  • Frék ! Le clos d’escrime est à l’autre bout du palais !
  • Viens !

  Le clos d’escrime écrasé de soleil s’étendait devant lui. Il dévala les marches. Le maître d’armes s’avança sans le voir au milieu du terrain sablonneux, délimité pour la circonstance par des cordes. Jal parvint à se glisser au milieu des aspirants messagers sans que personne ne le remarque. La cloche avait cessé de sonner. Vivien se coula près de lui.

  • Comment tu connaissais cette porte ? ahana Bertili.
  • A l’épreuve de mémoire, on est passés devant.
  • Et tu te souvenais de son emplacement et tu as deviné où elle donnait ?!
  • Chut !

 Le maître d’armes du palais, un homme sec et barbu d’une quarantaine d’années, se raclait la gorge avec insistance pour faire cesser le bourdonnement continu qui s’échappait du groupe dense de ses aspirants. Subitement, seul le froissement du vent meubla le clos.

  • Jeunes… et moins jeunes aspirants messagers. Vous avez réussi la première session d’épreuves. Très bien. Mais le dur métier de messager ne se limite pas à porter des billets doux d’une chambre à l’autre, à comprendre dix-huit langues et négocier des traités de paix. Il faudra aussi que vous sachiez vous défendre, car toutes les routes ne sont pas sûres en Longarde et encore moins au-delà. Un messager est une proie de choix, que ce soit pour un seigneur de guerre, un espion ou un simple brigand. L’examen de magie aussi vérifiera vos capacités, mais si vous voulez mon avis, ce ne seront pas des tours de passe-passe qui vous débarrasseront d’une horde décidée à vous faire la peau. Il vous faudra...

 Il tira sa propre épée, simple et parfaite.

  • ...Le rempart de l’acier !

 La lame luisait, aiguisée et polie de frais, mais la poignée patinée témoignait d’une utilisation répétée. Il la tenait aussi naturellement que s’il s’était agi d’une extension de sa propre main.

  • Je suis ici pour vérifier la capacité de chacun d’entre vous à se battre. Nous ne pouvons pas nous permettre d’engager des faibles parmi nos messagers ! Vous savez comme moi qu’on les surnomme chevaliers de la Plume et de l’Épée. Il est temps de prouver que vous savez manier autre chose que la plume ! J’imagine que vous avez tous votre propre équipement ? Si quelqu’un ici n’a pas d’arme, qu’il lève un bras pour que je l’expédie hors de l’enceinte du palais à coup de pied au derrière !

 Personne ne remua d’un poil. Le maître d’armes esquissa un sourire moqueur sous son imposante moustache.

  • Bien. Combien d’entre vous combattent à l’épée ?

 Plusieurs dizaines de mains se levèrent, dont évidemment celles de Jal, de Vivien et celle de Lidwine quelque part dans la foule.

  • Les autres, quelles sont vos armes ?

 Les elfes portaient des arcs ornés de fils multicolores qu’ils brandirent avec fierté. Les quelques nains restants firent claquer leurs haches et la demi-douzaine de centaures tirèrent de longs cimeterres recourbés de leur dos. Parmi les humains, quelques-uns portaient des masses ou des fléaux d’armes, et Jal crut même apercevoir une massue à pointes énorme sur l’épaule d’un colosse de Paditie. Personne n’avait de sabre olaan comme celui d’Hendiad Londren. D’où le capitaine de la garde tenait-il cette arme forgée dans les hautes montagnes ? Jal se promit de lui poser la question.

  • Très bien. Pour le tir à l’arc, aucun affrontement n’aura lieu. J’ai demandé à mes élèves de vous placer des cibles fixes et mobiles sur lesquelles nous pourrons tester votre habileté. Pour toutes les armes de combat rapproché, je suis à vous, mesdames et messieurs, elfes, nains, naines et centaures. Commençons.

 Il ouvrit le portail du terrain.

  • Qui d’entre vous se porte volontaire pour m’affronter en premier ?

 Un instant de flottement traduisit le malaise des aspirants. Se battre contre lui ? Même si son corps sec n’accusait pas une musculature prononcée, il paraissait évident à tous qu’il les battrait à plate couture sans avoir besoin de faire de gros efforts. Il éclata d’un rire tonitruant.

  • Ne vous inquiétez pas, ce n’est en aucun cas un combat mortel. Vous êtes bien trop précieux pour cela. Mon travail consiste seulement à évaluer à quel niveau d’escrime je dois monter pour vous désarmer. Personne ne s’attend à des prouesses, vous devez juste me prouver que votre arme vous sert à autre chose qu’à enfoncer des clous.

 Personne n’osa rire ni même ébaucher le moindre début de sourire. Ce fut un nain qui releva le défi le premier. Jal se tordit le cou pour apercevoir un de ces fameux guerriers, aussi puissants qu’irascibles, peu courants en-dehors de la Paditie. Celui-ci n’avait sans doute pas supporté que l’on mette en doute si peu que ce soit l’utilité de la splendide hache qu’il portait dans le dos et qu’il avait sans doute forgée lui-même. Il enfonça sur sa chevelure rousse et luxuriante un casque scintillant, déboucla la sangle qui soutenait son paquetage et saisit d’un geste sûr le manche de son arme. Sa barbe était tressée et retenue par un anneau métallique gravé. Le maître d’armes sourit encore.

  • Bonjour, maître nain. Je vous rappelle à tous que l’emploi de la magie est strictement interdit lors de cette épreuve. A présent, permettez-moi de prendre ma propre hache afin de vous combattre à armes égales.

 Le nain laissa échapper un petit ricanement. Le maître d’armes traversa le terrain pour ouvrir un coffre et en sortir une hache, moins resplendissante que son épée mais qui paraissait néanmoins capable de décapiter à peu près n’importe quoi. L’assurance du mineur de Paditie baissa d’un cran. Le maître d’armes revint devant lui d’un pas assuré, balançant avec aisance sa hache au rythme de ses pas. Il leva la belle courbe d’acier devant lui. Le nain l’imita. Derrière Jal, ses congénères hurlèrent leur soutien.

  • A vous l’honneur, maître nain.

 Le choc des haches fut violent. Les deux adversaires s’équivalaient à peu de chose près par l’expérience et la force physique. Le poids non négligeable de l’arme réclamait pour la manier un entraînement long et exigeant. La hache du nain, œuvre de leur industrie perfectionnée et inégalable, lui donnait un certain avantage, mais le calme olympien du maître d’armes le poussait à l’erreur. La pointe supérieure de sa hache finit par crocheter celle du nain. D’un geste d’une puissance insoupçonnée, il la fit voler en l’air. Pas un froncement de sourcil ni le moindre frémissement des lèvres ne permettaient de savoir ce qu’il pensait de la prestation de son adversaire. Pour son adversaire en revanche, le mécontentement transpirait de ses yeux étrécis. L'humain le salua dans les règles et tendit la main vers son public médusé. Très peu de personnes dominaient les nains à l’exercice de la hache.

  • Au suivant !

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