XII. Mais que fait la police ? Deuxième partie
Le capitaine Londren réagit très vite au nom de Jal et le reçut aussitôt.
- Capitaine Londren.
- Seigneur Jal Dernéant, je vous écoute.
- Le temps presse. Je viens à nouveau de me faire enlever par sept hommes réunis dans une maison de la rue des Sabots-Gris. Je me suis échappé.
- La patrouille y est passée et n’a rien remarqué d’anormal.
- La réunion se tenait dans une pièce éteinte et il y avait des guetteurs. Croyez-moi, capitaine, il faut aller les cueillir très vite !
Hendiad Londren hocha la tête. On s’acharnait sur lui et cet enlèvement répondait à une certaine logique.
- Qui vous garantit qu’ils n’auront pas déjà fui ? Ils ont bien dû remarquer votre évasion et comprendre que vous viendriez aussitôt m’avertir…
- Il y a une elfe du nom d'Hovandrell qui garde la porte pour moi.
Le capitaine se leva.
- Fort bien. Vous me raconterez la suite plus tard, nous allons les chercher.
Il sortit à grand pas du bureau en mettant son casque. Son sabre olaan dépassait derrière son dos.
- Une cohorte avec moi ! Direction rue des Sabots-Gris !
Les gardes royaux bénéficiaient du meilleur entraînement qui soit. Ils sortirent aussitôt des bâtiments de la caserne, en ordre et armés. Une cohorte comprenait 15 hommes, sans compter Jal et le capitaine Londren qui en prenait le commandement.
- Combien sont-ils ?
- Sept, dont trois blessés. J’en ai assommé un en m’échappant, mais je ne sais pas dans quel état il sera. Deux possèdent une magie conséquente.
Londren hocha silencieusement la tête. Le détachement avançait vite, tous les passants s’écartaient devant la démarche impérieuse et le regard d’acier d’Hendiad Londren. Il connaissait bien la ville, car jamais l’aspirant messager n’eut à lui indiquer le chemin. La rue des Sabots-Gris se trouvait près des remparts, à l’extrémité orientale. A l’approche de ce quartier, la capitaine distribua ses gardes en losange autour de Jal et se posta à la pointe avant. A l’arrière veillait son second Olympe, une femme élancée un peu plus jeune que lui, à la chevelure brune et coupée court. Ainsi disposée, attentive, la cohorte entra dans la rue.
Hovandrell visait toujours l’encadrement de la porte d’entrée avec une extrême concentration. Hendiad dut poser une main sur son épaule pour qu’elle s’en détourne. Elle se releva aussitôt.
- Capitaine. Ils ont tentés de fuir au début, mais dès qu’ils ont compris que je veillais, ils ont renoncé. Je n’ai pas eu à tirer ; ils doivent toujours y être.
- Vous serez récompensée pour ce service rendu au royaume, elfe Hovandrell.
- Je ne l’ai pas fait en espérant une récompense, se rebiffa-t-elle, et je n’attends pas de remerciement. Adieu.
Elle dépassa le capitaine Londren qui se renfrogna et arriva à la hauteur de Jal.
- Messire Dernéant, merci de m'avoir fait confiance. Vous pourrez me retrouver au champ de tir, place de la Dernière Loi, si je puis encore vous être utile. Les arbres vous protègent !
- Et les Lunes veillent sur vous, elfe Hovandrell ! J’y songerai. Sachez que je vous conserve reconnaissance.
L’elfe sourit, puis rangea son arc dans son dos et s’éloigna dans la rue.
Londren envoya des hommes encercler la maison, dont l’autre façade débouchait rue Venteuse, et pénétra à l’intérieur avec ceux qui restaient. Il laissa Jal sous la protection de deux gardes. L’aspirant messager avait protesté, voulant participer à l’assaut, mais Hendiad avait refusé, arguant qu’il constituait leur cible et donc le plus vulnérable en plus de son insuffisance magique. Le Ranedaminien le vit donc lancer les sommations d’usage et devant l’absence de réponse, enfoncer la porte avec l’aide de deux gardes.
Les soldats en poste surveillaient les fenêtres. Un long et pénible silence s’ensuivit, durant lequel Jal rongea son frein. Soudain un éclair de lumière magique illumina la fenêtre, qui explosa l’instant d’après en milliers de minuscules fragments pleuvant sur le pavé. Des cris lui parvinrent alors et le fracas des armes, puis le sifflement d’un trait de magie. Dix gardes, dont Hendiad Londren, contre sept malfaiteurs, la partie fut rapidement jouée. Un sort efficace de paralysie temporaire les enchaînait lorsqu’ils furent poussés hors de la maison par Olympe, visiblement ravie, et Hendiad.
- Voilà, seigneur Dernéant ! Problème réglé, annonça le second avec fierté. Il ne nous reste plus qu’à découvrir ce que vous voulaient ces crapules.
- Ils avaient un chef, nota Jal, qu’il faudra retrouver.
- Ont-ils prononcé son nom ?
- Jamais.
Elle leur jeta un regard de dégoût, puis jeta presque celui qu’elle tenait, Anderson, dans les mains d’un autre garde.
- Le capitaine m’a demandé de conserver votre témoignage. Vous avez le temps de revenir à la caserne ?
- Bien sûr, je suis à vous.
La soldate eut un sourire éclair, puis reprit son sérieux et bifurqua dans l’avenue des Couronnes. Les gardes avec Londren et leurs prisonniers prenaient un autre chemin, celui de la prison.
Olympe devançait Jal sans difficultés ; elle marchait vite, mais d’une manière différente de celle d’Hendiad, sèche et impérative. Ses pas souples et allongés, sans être aussi gracieux et légers que ceux de Lidwine, évoquaient l’attitude d’un derkan en approche. Elle portait son épée au côté, une rapière efficace, fine et droite, très différente du sabre olaan affectionné par le chef de la garde. Elle avait retiré son casque arrondi et ébouriffait ses cheveux bruns bouclés et courts. L’uniforme jaune et noir de la garde royale lui allait à merveille, permettant à son corps musclé et élancé une totale liberté de mouvements. A son cou pendait une pierre bleue percée d’un trou. Des bottes de voyage lacées haut sur le mollet indiquaient aussi qu’elle possédait une monture. Ses traits fins et délicats ne laissaient apparaître aucun signe de mollesse, et elle avait dans le visage la dureté que Londren avait dans les yeux. Les siens luisaient d’un éclat mordoré auquel rien n’échappait.
Sa voix sèche fit sursauter le garde chargé de la porte de la caserne.
- Ouvre ! Second Vorbad.
- Oui, second.
Penaud, il tira le portail et les laissa pénétrer dans la cour.
Olympe Vorbad s’assit à la place généralement occupée par le capitaine et invita Jal à s’installer en face. Il déposa son chapeau sur le coin du bureau. Le second prit une plume dans l’encrier et attrapa une feuille au hasard dans l’entassement qui recouvrait le bureau.
- Vous avez entendu le nom de vos ravisseurs ?
- Oui, leurs prénoms… mais il pourrait s’agir de noms d’emprunts. Le blessé grave s’appelait Octave, le chauve Louÿs, le plus jeune Olin, celui qui ressemble à un elfe Samuel et celui qui boite Maximilien. Zack, le second magicien, et Anderson, le balafré, m’avaient déjà enlevé il y a quelques jours. Il y avait aussi Baudoin Ernase dans leur bande, aujourd’hui décédé.
- C’est tout ?
- Ils parlaient d’un chef, qu’ils craignaient plus ou moins, mais ils n’ont jamais cité son nom. Il leur a ordonné de me marquer d’une rune d’asservissement, mais certains envisageaient de lui désobéir et de me tuer…
- Avez-vous une idée de qui peut vouloir une telle chose ?
- Je ne sais pas… mais c’était déjà l’objectif de Zack et Anderson lors de mon premier enlèvement. Je crois qu’ils avaient pour but de me forcer à abandonner le concours.
- Ce que vous n’avez pas fait.
- Lors de ma première fuite, Zack m’a cru mort et a dû rapporter cette rumeur aux autres. J’ai alors bénéficié d’un peu de tranquillité. Le lendemain, j’ai perdu connaissance pendant une épreuve et les mages royaux me considéraient comme inapte. J’ai été rayé des registres, ce qui les a confortés dans l’idée de ma mort. Mais j’ai plaidé ma cause auprès des mages, qui ont accepté de me réintégrer. Cela a dû leur donner l’alerte.
- Alors ils avaient un contact parmi les mages ?
Jal sursauta. Bien sûr, pourquoi n’y avait-il pas pensé ? Toute la négociation s’était déroulée dans la salle des secrets. Seuls les mages et l’administration du palais savaient donc qu’il avait été réintégré. Plus ses cousins, Lidwine et Lénaïc, évidemment. Y avait-il un traître parmi eux ?
- Je ne sais pas.
- Vous croyez qu’ils pourraient avoir un lien avec la Chape ?
- La Chape ? Qu’est-ce que vous voulez dire ?
Olympe ouvrit de grands yeux étonnés.
- Vous n’avez jamais entendu parler de la Chape ? Mais d’où venez-vous ? La Chape constitue l’un des pires ennemis des messagers de Lonn. Elle forme un réseau de crime organisé, étendu sur toute la Longarde. Leur capitale se trouve à Kimkaf, au Ponant du royaume de Lonn, et on suppose que la famille Heurtevent la dirige, mais impossible de s'en prendre à eux car ils sont apparentés à la famille royale, ce qui leur offre l'immunité. Ils cherchent à contrôler l’ensemble des messagers, en asservissent parfois. Il y a parmi eux des magiciens confirmés qui mettent régulièrement en œuvre le sortilège de détection pour surveiller l’ensemble des messagers sur tous les royaumes. C’est une véritable plaie…
- Je sais tout ça ! Mais pourquoi m'en voudrait-ils ?
- Il me paraît plausible que des gens cherchant à vous empêcher d’intégrer les rangs des messagers en fassent partie… Mais pourquoi vous ?
Jal le savait parfaitement. Parce que le sort de détection ne fonctionnait pas sur lui. Devait-il en parler à Olympe ? Il ne la connaissait pas suffisamment pour être sûr qu’elle soit digne de confiance. Son anomalie devait demeurer secrète, ou au moins de connaissance limitée. D’ailleurs, lorsque le second Vorbad rapporterait la conversation et poserait la question au capitaine Londren, il ferait tout de suite le lien et jugerait si Olympe devait entrer dans la confidence.M Mieux valait se taire.
- Ils connaissaient la famille Bertili, Artanke et la mienne. Je pense qu’ils m’espionnent depuis un bout de temps. Lidwine Artanke avait parlé de la surveillance qu’exerçait sur elle Baudoin Ernase avant sa mort. Ils comptaient l’utiliser comme moyen de pression.
- Cela sent la Chape, effectivement. Un coup aussi bien organisé ne peut pas être le fait de bandits à la petite semaine.
- Ceux-là disaient avoir été engagés par « le chef ». Peut-être ne font-ils pas partie eux-mêmes de la Chape.
- Pour ne pas l’incriminer… Évidemment. Très bien, ajouta-t-elle en se levant, monseigneur Dernéant, cet entretien est terminé. Votre témoignage sera fort utile au capitaine Londren et à moi-même.
- Je vous en prie, second Vorbad, ce fut un plaisir.
- Vous pourrez revenir et vous tenir au courant de l’enquête, bien entendu. D’ailleurs, peut-être serait-il judicieux de vous adjoindre une protection ? Deux gardes, par exemple ?
- Je vous remercie, mais je pense que les gardes royaux seront beaucoup plus utiles dans leur caserne. Je me tiendrais sur mes gardes, moi aussi. Je vous salue bien !
Il reprit son chapeau, mais Olympe se leva et le suivit jusque dans la cour de la caserne.
Éreinté, il choisit l’itinéraire le plus direct possible vers la rue des Six-Ponts. La faim grondait à nouveau dans son estomac en colère, il entra dans la première boutique venue pour acheter une galette au fromage, satisfait de constater que la cachette de ses écus n’avait pas été découverte. Il avait bien fait de ne pas prendre son sac pour partir voir Liz.
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