XIX. Ne t'avise pas d'avoir des problèmes, seconde partie

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 Ils rentrèrent en ville dans le plus grand silence. Le vide se faisait déjà ressentir cruellement. Liz voulut courageusement briser le climat lourd en lançant:

  • On va voir Mirant ?
  • Oui ! réagit aussitôt Jal pour nourrir la diversion. Tout de suite. Où peut-il être ?
  • Les mages sont habituellement au palais, mais vu que la cérémonie est terminée, le palais est fermé au public.
  • Il faut lui adresser une demande, j'imagine, soupira le jeune homme.
  • Allons voir si on peut lui demander une audience, suggéra Lidwine.

 Il acquiesça. De toute façon, tout lui était égal, à présent. Il referma sa cape encore plus étroitement et enfonça son chapeau. Rien à perdre. Il embraya donc sur cette rue qu'il avait prise si souvent, la rue principale qui menait au palais. Les grilles étaient effectivement fermées et verrouillées. Personne dans la cour. Jal interpella un garde qui frissonnait sur le rempart.

  • Hem.... Excusez-moi... S'il vous plaît !
  • Qui va là ?

 Il se pencha vers eux, la hallebarde à la main.

  • Je suis Jal Dernéant, messager du royaume ! Je voudrais solliciter une audience auprès de Mathurin Mirant, doyen des mages !
  • Le mage Mirant n'est pas ici pour l'instant, mais nous lui transmettrons !

 Jal avait suffisamment d'expérience de la hiérarchie pour savoir que la requête n'atteindrait probablement jamais le mage.

  • Ne prenez pas cette peine, je m'en chargerai. Où puis-je le trouver ?
  • Je ne sais pas. Mais il sera ici demain.
  • Merci !

 Il se retourna vers les deux jeunes femmes.

  • Allons-nous en...

  Il marcha droit sans attendre leur réponse. Elles ne protestèrent pas. Il voyait dans leurs yeux le même vide que dans les siens. Il avait seulement envie de se blottir dans son lit et de dormir. La pluie commençait à s'infiltrer dans les pavés. Soudain, il se mit à fixer les gouttes.

 Cette pluie lui rappelait le jour de son arrivée à Lonn. Il débarquait, rempli d'espoir, les bottes mouillées comme aujourd'hui, seul encore, mais sans cet écusson accroché au nœud de sa cape. Il considérait alors cette pluie comme le plus gros ennui qui lui tombait dessus. Et puis il s'était caché sous un porche, et là, une apparition en robe bleue lui avait adressé la parole. Une apparition qui marchait maintenant à côté de lui, sous une capeline violette où cette même eau tombée du ciel traçait des lignes. Et maintenant, il avait bien plus de poids à porter. Il s'inquiétait déjà pour son cousin parti quelques instants plus tôt, prenait en charge l'avenir de sa cousine qui le suivait, et bientôt devrait quitter cette dame aux yeux verts pour partir seul au-devant de tous les risques.

 Oui, il avait bien fait.

 Il releva soudainement la tête. Liz le regardait, intriguée, et il lui sourit. Elle écarquilla les yeux. Jamais elle ne lui avait vu ce sourire. En fait, elle ne l'avait vu nulle part ailleurs. Si communicatif qu'il s'afficha sur son visage sans lui demander la permission. Un sourire composé exclusivement d'espoir.

 Lidwine frissonna, mais pas à cause de la température; en sentant cette sorte de courant de force émaner de Jal. Une force étrange, qu'elle percevait même de dos, comme un feu qui réchaufferait seulement l'âme. Même la magie ne pouvait pas imiter cette bulle d'une atmosphère différente qu'il promenait autour de lui. Ils restèrent un moment silencieux, sans cesser d'avancer, à profiter de cet apaisement joyeux.

  • Et si nous allions nous acheter des porte-messages ? proposa-t-il.
  • Oui, acquiesça la messagère, excellente idée.
  • Venez, le quartier marchand se situe plutôt par ici.

 Liz leur indiquait une large rue transversale, joliment nommée avenue de la Princesse Orientale. Les boutiques éclairaient le pavé trempé de la rue d'un air engageant. Ils entrèrent dans la première qui venait, poussèrent tous de concert un soupir de soulagement quand la pluie cessa de les marteler. La chaleur, la clarté de l'air les surprit agréablement. Ils repoussèrent leurs capuches avec bonheur.

  • Bonjour mesdemoiselles, monseigneur ! Oh, messager et messagère, pardon... Que puis-je faire pour vous ?
  • Nous cherchons des porte-message neufs.
  • Bien sûr. Par ici, je vous prie...

 Le vendeur, relativement vieux, cassé en deux par le temps, appuyé sur une canne et barbe grisonnante, leur indiqua un rayonnage de petits cylindres de cuir. Jal passa un long moment à les contempler, certains décorés, avec une ouverture ou deux, des boutons de fermeture divers, qui s'accrochent aux épaules, aux poignets, à la ceinture... Certains même intégraient une serrure, magique ou mécanique, pour sécuriser l'accès aux messages. Il admirait, les manipulait, puis les reposait indécis. Lidwine, elle, en choisit assez vite un de grande capacité, fermé par deux boutons dont elle vérifia impitoyablement la solidité, en cuir naturel et imperméable. Elle l'attacha à sa ceinture, juste à côté de Devra. Elle se mit à discuter fermement du prix avec le marchand, tandis que Jal hésitait encore. Il en prit un plutôt fin, très solide, sans décorations mais teinté en bleu, fermé par quatre lanières croisées sur le dessus. Il testait l'aisance pour le suspendre à la sangle de son sac quand le marchand arriva sur lui.

  • Vous voulez celui-ci, messager ?
  • Oui, je l'aime bien.

 Il paya quelques pièces et attacha le porte-message dans son champ de vision, à la sangle de son sac. Il allait sortir mais Liz le tira par la manche et l'entraîna derrière un autre rayonnage. Elle paraissait paniquée.

  • Jal ! souffla-t-elle.
  • Liz, à quoi tu joues ?
  • Il fallait que je te voie seul. Dans quelle maison loge Lidwine ?
  • Mais enfin, tu y a été ! Celle de l'avenue Majeure...
  • A qui appartient-elle ?
  • A la soeur de Mildred, il me semble. Quelle importance ?
  • Donc le blason sur les murs...
  • C'est celui des Artanke. Eh bien ?

 Elle le regarda bien en face, avec ces yeux qui ressemblaient à des miroirs des siens, puis baissa la tête. Elle semblait coupable, elle savait que ce qu'elle allait dire était terrible.

  • Jal, c'est le blason que j'ai vu sur la calèche qui a tenté de m'enlever !

 Il resta un instant ébahi, la foudre l'avait frappé. Il ne pouvait pas croire cela. Ces mots ne s'assemblaient pas, ils ne pouvaient pas avoir de sens. Il finit par déglutir pour humidifier sa gorge.

  • Tu.. tu en es certaine ?
  • Sûre. Jal, je suis désolée, mais... La famille Artanke n'est sans doute pas innocente.

 Il respira profondément ; son rythme cardiaque recommençait à s'affoler. Et Vivien qui n'était plus là...

  • Mais Lidwine doit l'être. Elle l'est forcément... Elle ne trempe pas dans un complot contre moi, c'est impossible ! Ou alors c'est une sacrée comédienne... Mais non, elle ne peux pas être fausse à ce point ! Elle a reçu la fléchette la première...
  • Je ne peux pas le savoir. C'est sans doute une famille assez étendue. Mais c'est vrai, c'est troublant... Elle ne paraît pas être au courant.
  • Je l'espère... Je l'espère tant. Tu ne peux pas savoir.

 Elle lui jeta un regard en coin.

  • Je l'espère pour toi.

 Il reprit son souffle calmement et quitta l'abri du rayon. Lidwine les attendait à la porte.

  • Alors, que fabriquez-vous ?

 Il hésitait à affronter son regard.

  • Rien ! Ne te mêle pas de ça, c'est une surprise.
  • Ah, très bien.

 Elle cligna d'un œil malin.

  • J'en ai aussi une pour toi, Jal !

 Il ne put empêcher une lueur d'intérêt de percer dans son expression. Ils sortirent sous la pluie, remettant leurs capes, emportant leur nouvel équipement. Les pensées de Jal turbinaient à toute vitesse. Il fallait qu'il en sache plus. Et pour cela, il fallait qu'il retourne à la caserne voir Hendiad Londren et interroger peut-être les bandits toujours prisonniers. Il proposa l'excursion. L'escrimeuse fut enchantée de pouvoir retrouver son maître d'armes. Il ignorait si Liz avait capté son intention, mais elle ne protesta pas.

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